Page images
PDF
EPUB

Avant le pampre du coteau.'

Et je meurs! De sa froide haleine
Un vent funeste m'a touché,

Et mon hiver s'est approché

Quand mon printemps s'écoule à peine.
Arbuste en un seul jour détruit,
Quelques fleurs faisaient ma parure;
Mais ma languissante verdure
Ne laisse après elle aucun fruit.
Tombe, tombe, feuille éphémère,
Voile aux yeux ce triste chemin,
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain !
Mais vers la solitaire allée
Si mon amante désolée

Venait pleurer quand le jour fuit,
Éveille par un léger bruit

Mon ombre un moment consolée."

Il dit, s'éloigne... et sans retour!
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.

Sous le chêne on creusa sa tombe.
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolée ;

Et le pâtre de la vallée

Troubla seul du bruit de ses pas

Le silence du mausolée.

MADAME DESBORDES-VALMORE

S'IL L'AVAIT SU

S'IL avait su quelle âme il a blessée,

Larmes du cœur, s'il avait pu vous voir, Ah! si ce cœur, trop plein de sa pensée, De l'exprimer eût gardé le pouvoir, Changer ainsi n'eût pas été possible; Fier de nourrir l'espoir qu'il a déçu, A tant d'amour il eût été sensible, S'il l'avait su.

S'il avait su tout ce qu'on peut attendre
D'une âme simple, ardente et sans détour,
Il eût voulu la mienne pour l'entendre.
Comme il l'inspire, il eût connu l'amour.
Mes yeux baissés recélaient cette flamme;
Dans leur pudeur n'a-t-il rien aperçu ?
Un tel secret valait toute son âme,
S'il l'avait su.

Si j'avais su, moi-même, à quel empire
On s'abandonne en regardant ses yeux,
Sans le chercher comme l'air qu'on respire
J'aurais porté mes jours sous d'autres cieux.
Il est trop tard pour renouer ma vie ;
Ma vie était un doux espoir déçu:
Diras-tu pas, toi qui me l'as ravie,
Si j'avais su ?

LES ROSES DE SAADI

'AI voulu ce matin te rapporter des roses;

J'A

Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes Que les nœuds trop serrés n'ont pu les contenir.

Les nœuds ont éclaté. Les roses, envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir.

La vague en a paru rouge et comme enflammée. Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée... Respires-en sur moi l'odorant souvenir !

LE PREMIER AMOUR

VOUS souvient-il de cette jeune amie,

Au regard tendre, au maintien sage et doux? A peine, hélas! au printemps de sa vie, Son cœur sentit qu'il était fait pour vous.

Point de serment, point de vaine promesse ;
Si jeune encore, on ne les connaît pas;
Son âme pure aimait avec ivresse,

Et se livrait sans honte et sans combats.

Elle a perdu son idole chérie ;

Bonheur si doux a duré moins qu'un jour!
Elle n'est plus au printemps de sa vie :
Elle est encore à son premier amour.

LAMARTINE

LE LAC

AINSI, toujours poussés vers de nouveaux rivages,

Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour?

O lac! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes

Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence, On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :

"O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices Suspendez votre cours!

Laissez-nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours!

"Assez de malheureux ici-bas vous implorent:
Coulez, coulez pour eux;

Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent;
Oubliez les heureux.

"Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m'échappe et fuit;

Je dis à cette nuit: Sois plus lente; et l'aurore
Va dissiper la nuit.

"Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons!

L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive; Il coule, et nous passons!"

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse, Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la même vitesse

Que les jours de malheur?

Eh quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?
Quoi! passés pour jamais? quoi! tout entiers perdus?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,

Que faites-vous des jours que vous engloutissez?
Parlez nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

O lac! rochers muets! grottes! forêt obscure!
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

« PreviousContinue »