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D'une Beauté je prenais les couleurs.
Une baguette était mon cimeterre;
Puis je partais à la guerre des fleurs
Et des bourgeons dont je jonchais la terre.

Je possédais au vent libre des cieux

Un banc de mousse où s'élevait mon trône. Je méprisais les rois ambitieux,

De rameaux verts j'avais fait ma couronne.

J'étais heureux et ravi. Mais un jour
Je vis venir une jeune compagne.

J'offris mon cœur, mon royaume et ma cour,
Et les châteaux que j'avais en Espagne.

Elle s'assit sous les marronniers verts;

Or, je crus voir, tant je la trouvais belle,
Dans ses yeux bleus comme un autre univers,
Et je restai tout songeur auprès d'elle.

Pourquoi laisser mon rêve et ma gaîté
En regardant cette fillette blonde?
Pourquoi Colomb fut-il si tourmenté
Quand, dans la brume, il entrevit un monde?

L'

L'OISELEUR

'OISELEUR Amour se promène Lorsque les coteaux sont fleuris, Fouillant les buissons et la plaine, Et, chaque soir, sa cage est pleine Des petits oiseaux qu'il a pris.

Aussitôt que la nuit s'efface
Il vient, tend avec soin son fil,
Jette la glu de place en place,
Puis sème, pour cacher la trace,
Quelques grains d'avoine ou de mil.
Il s'embusque au coin d'une haie,
Se couche aux berges des ruisseaux,
Glisse en rampant sous la futaie,
De crainte que son pied n'effraie
Les rapides petits oiseaux.

Sous le muguet et la pervenche
L'enfant rusé cache ses rets,
Ou bien sous l'aubépine blanche
Où tombent, comme une avalanche,
Linots, pinsons, chardonnerets.

Parfois d'une souple baguette
D'osier vert ou de romarin
Il fait un piège, et puis il guette
Les petits oiseaux en goguette
Qui viennent becqueter son grain.

Étourdi, joyeux et rapide,
Bientôt approche un oiselet:
Il regarde d'un air candide,
S'enhardit, goûte au grain perfide,
Et se prend la patte au filet.

Et l'oiseleur Amour l'emmène
Loin des coteaux frais et fleuris,
Loin des buissons et de la plaine,
Et, chaque soir, sa cage est pleine
Des petits oiseaux qu'il a pris.

PAUL BOURGET

PRÆTERITA

NOVEMBRE approche, et c'est le mois charmant

Où, devinant ton âme à ton sourire, Je me suis pris à t'aimer vaguement, Sans rien dire.

Novembre approche,

ah! nous étions enfants,

Mais notre amour fut beau comme un poème.
Comme l'on fait des rêves triomphants
Lorsqu'on aime!-

Novembre approche, assis au coin du feu,
Malade et seul, j'ai songé tout à l'heure
A cet hiver où je croyais en Dieu,

Et je pleure.

Novembre approche,

et c'est le mois béni

Où tous les morts ont des fleurs sur leur pierre,
Et moi je porte à mon rêve fini

Sa prière.

ROMANCE

POURQUOI cet amour insensé

N'est-il pas mort avec les plantes

Qui l'enivraient, l'été passé,
D'odeurs puissantes et troublantes?

Pourquoi la bise, en emportant

La feuille jaunie et fanée,

N'en a-t-elle pas fait autant

De mon amour de l'autre année ?

Les roses des rosiers en fleur,

L'hiver les cueille et les dessèche;
Mais la blanche rose du cœur,

Toujours froissée, est toujours fraîche.

Il n'en finit pas de courir,

Le ruisseau de pleurs qui l'arrose,
Et la mélancolique rose

N'en finit pas de refleurir.

DÉPART

ACCOUDÉ sur le bastingage

Et regardant la grande mer,

Je respire ce que dégage
De liberté ce gouffre amer.

Le large pli des houles bleues,
Que les vents poussent au hasard
D'au delà d'un millier de lieues,
Soulève le bateau qui part.
Sensation farouche et gaie,
Je vais donc vivre sans lien!
Ah! que mon âme est fatiguée
D'avoir tant travaillé pour rien !

Vains devoirs d'un monde frivole,
Plaisirs factices de deux jours,
Cɔupable abus de la parole,
Efforts mesquins, tristes amours,

Tout de ce qui fut moi s'efface
A l'horizon mystérieux,

Et le libre, l'immense espace,

S'ouvre à mon cœur comme à mes yeux.

NUIT D'ÉTÉ

NUIT, ô douce nuit d'été, qui viens à nous
Parmi les foins coupés et sous la lune rose,
Tu dis aux amoureux de se mettre à genoux,
Et sur leur front brûlant un souffle frais se pose!

O nuit, ô douce nuit d'été, qui fais fleurir

Les fleurs dans les gazons et les fleurs sur les branches, Tu dis aux tendres cœurs des femmes de s'ouvrir,

Et sous les blonds tilleuls errent des formes blanches!

O nuit, ô douce nuit d'été, qui sur les mers
Alanguis le sanglot des houles convulsées,
Tu dis aux isolés de n'être pas amers,

Et la paix de ton ciel descend dans leurs pensées.

O nuit, ô douce nuit d'été, qui parles bas,
Tes pieds se font légers et ta voix endormante,
Pour que les pauvres morts ne se réveillent pas,
Eux qui ne peuvent plus aimer, ô nuit aimante!

ÉPILOGUE

LE Fantôme est venu de la trentième année.

Ses doigts vont s'entr'ouvrir pour me prendre la

main,

La fleur de ma jeunesse est à demi fanée,

Et l'ombre du tombeau grandit sur mon chemin.

Le Fantôme me dit avec ses lèvres blanches:
"Qu'as-tu fait de tes jours passés, homme mortel?
Ils ne reviendront plus t'offrir leurs vertes branches.
Qu'as-tu cueilli sur eux dans la fraîcheur du ciel?"

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