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Mais elle ne voit pas le tableau redoutable
Et feuillette, l'esprit ailleurs, du bout des doigts,
Les planches d'un herbier éparses sur la table,
Fleurs pâles qu'il cueillit aux Indes autrefois.

Jusqu'au soir sa pensée extatique et sereine
Songe au chemin qu'il fait en mer pour revenir,
Ou parfois, évoquant des jours meilleurs, égrène
Le chapelet mystique et doux du souvenir;

Et, quand sur l'Océan la nuit met son mystère,
Calme et fermant les yeux, elle rêve du chant
Des matelots joyeux d'apercevoir la terre,
Et d'un navire d'or dans le soleil couchant.

CHANSON D'EXIL

TRISTE exilé, qu'il te souvienne

Combien l'avenir était beau,
Quand sa main tremblait dans la tienne
Comme un oiseau,

Et combien ton âme était pleine
D'une bonne et douce chaleur,
Quand tu respirais son haleine
Comme une fleur!

Mais elle est loin, la chère idole,
Et tout s'assombrit de nouveau ;
Tu sais qu'un souvenir s'envole
Comme un oiseau;

Déjà l'aile du doute plane
Sur ton âme où naît la douleur;

Et tu sais qu'un amour se fane
Comme une fleur.

QUAND

ROMANCE

UAND vous me montrez une rose
Qui s'épanouit sous l'azur,
Pourquoi suis-je alors plus morose?
Quand vous me montrez une rose,
C'est que je pense à son front pur.

Quand vous me montrez une étoile,
Pourquoi les pleurs, comme un brouillard,
Sur mes yeux jettent-ils leur voile?
Quand vous me montrez une étoile,
C'est que je pense à son regard.
Quand vous me montrez l'hirondelle
Qui part jusqu'au prochain avril,
Pourquoi mon âme se meurt-elle ?
Quand vous me montrez l'hirondelle,
C'est que je pense à mon exil.

LIED

ROUGISSANTE et tête baissée,
Je la vois me sourire encor.

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Pour le doigt de ma fiancée

Qu'on me fasse un bel anneau d'or!

Elle part, mais bonne et fidèle;
Je vais l'attendre en m'affligeant.

Pour garder ce qui me vient d'elle,
Qu'on me fasse un coffret d'argent!

J'ai sur le cœur un poids énorme;
L'exil est trop dur et trop long.
- Pour que je me repose et dorme,
Qu'on me fasse un cercueil de plomb!

ÉTOILES FILANTES

DANS les nuits d'automne, errant par la ville,

Je regarde au ciel avec mon désir,
Car si, dans le temps qu'une étoile file,
On forme un souhait, il doit s'accomplir.

Enfant, mes souhaits sont toujours les mêmes:
Quand un astre tombe, alors, plein d'émoi,
Je fais de grands vœux afin que tu m'aimes
Et qu'en ton exil tu penses à moi.

A cette chimère, hélas! je veux croire,
N'ayant que cela pour me consoler.
Mais voici l'hiver, la nuit devient noire,
Et je ne vois plus d'étoiles filer.

A UN ÉLÉGIAQUE

EUNE homme, qui me viens lire tes plaintes vaines,

Jadis j'ai, comme toi, du plus pur de mes veines
Tiré des pleurs de sang, et le monde en a ri.

Du courage! La plainte est ridicule et lâche.
Comme l'enfant de Sparte ayant sous ses habits
Un renard furieux qui le mord sans relâche,
Ne laisse plus rien voir de tes tourments subis.

On fut cruel pour toi. Sois indulgent et juste.
Rends le bien pour le mal, c'est le vrai talion,
Mais, t'étant bien bardé le cœur d'orgueil robuste,
Va! calme comme un sage et seul comme un lion.

Quand même, dans ton sein, les chagrins, noirs reptiles,
Se tordraient, cache bien au public désœuvré
Que tu gardes en toi des trésors inutiles

Comme des lingots d'or sur un vaisseau sombré.

Sois impassible ainsi qu'un soldat sous les armes ;
Et lorsque la douleur dressera tes cheveux

Et qu'aux yeux, malgré toi, te monteront des larmes,
N'en conviens pas, enfant, et dis que c'est nerveux !

JOSÉ-MARIA DE HEREDIA

ANTOINE ET CLÉOPÂTRE

I. LE CYDNUS.

SOUS l'azur triomphal, au soleil qui flamboie,

La trirème d'argent blanchit le fleuve noir, Et son sillage y laisse un parfum d'encensoir Avec des chants de flûte et des frissons de soie.

A la proue éclatante où l'épervier s'éploie,

Hors de son dais royal se penchant pour mieux voir,
Cléopâtre, debout dans la splendeur du soir,

Semble un grand oiseau d'or qui guette au loin sa proie.

Voici Tarse où l'attend le guerrier désarmé;

Et la brune Lagide ouvre dans l'air charmé

Ses bras d'ambre où la pourpre a mis des reflets roses;

Et ses yeux n'ont pas vu, présages de son sort,
Auprès d'elle, effeuillant sur l'eau sombre des roses,
Les deux Enfants divins, le Désir et la Mort.

II. SOIR DE BATAILLE.

Le choc avait été très rude.

Les tribuns

Et les centurions, ralliant les cohortes,

Humaient encor, dans l'air où vibraient leurs voix fortes, La chaleur du carnage et ses âcres parfums.

D'un œil morne, comptant leurs compagnons défunts,
Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes,
Tourbillonner au loin les archers de Phraortes;
Et la sueur coulait de leurs visages bruns.

C'est alors qu'apparut, tout hérissé de flèches,
Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches,
Sous la pourpre flottante et l'airain rutilant,

Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare,
Superbe, maîtrisant son cheval qui s'effare,
Sur le ciel enflammé, l'Imperator sanglant!

III.-ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

Tous deux, ils regardaient, de la haute terrasse,
L'Égypte s'endormir sous un ciel étouffant
Et le Fleuve, à travers le Delta noir qu'il fend,
Vers Bubaste ou Saïs rouler son onde grasse.

Et le Romain sentait sous la lourde cuirasse,
Soldat captif berçant le sommeil d'un enfant,
Ployer et défaillir sur son cœur triomphant
Le corps voluptueux que son étreinte embrasse.

Tournant sa tête pâle entre ses cheveux bruns,
Vers celui qu'enivraient d'invincibles parfums,
Elle tendit sa bouche et ses prunelles claires;

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