Et je voudrais pourtant t'affranchir, ô mon âme, Des liens d'un passé qui ne veut pas mourir; Je voudrais oublier mon origine infâme, Et les siècles sans fin que j'ai mis à grandir.
Mais c'est en vain: toujours en moi vivra ce monde De rêves, de pensers, de souvenirs confus, Me rappelant ainsi ma naissance profonde, Et l'ombre d'où je sors, et le peu que je fus ;
Et que j'ai transmigré dans des formes sans nombre, Et que mon âme était, sous tous ces corps divers, La conscience, et l'âme aussi, splendide ou sombre, Qui rêve et se tourmente au fond de l'univers!
E viens de faire un grand voyage
Qui sur l'atlas n'est point tracé: Pays perdu! dont le mirage Derrière moi s'est effacé.
Le cap noir de la quarantaine Met son ombre sur mon bateau Couvert d'écume et qui fait eau, Mais dont je suis le capitaine.
Ai-je bien ou mal gouverné? Encor n'ai-je point fait naufrage: Sur maint bas-fond si j'ai donné, l'ai vu de haut gronder l'orage.
Enfin, me voilà de retour Du beau pays de l'Espérance, Si vaste, au moins en apparence, Et dont si vite on fait le tour.
C'est fini! Ma riche bannière Et ma voilure sont à bas! Plus de fleurs à ma boutonnière, Et plus de femmes à mon bras; Vieillir! C'est la grande défaite, C'est la laideur et c'est l'affront, C'est plus de rides à mon front Et moins de cheveux à ma tête.
Oui, c'est la chose, et c'est mon tour. O temps où bouillonnaient les sèves, Où mes seuls dieux, l'Art et l'Amour, Traversaient l'orgueil de mes rêves! D'avoir suivi leur vol vainqueur, Je n'ai rapporté, pour ma peine, Qu'un tout petit brin de verveine Avec un grand trou noir au cœur; Et seul, au coin de la fenêtre Où j'accoude mes longs ennuis, Sachant ce que je pourrais être, Je pleure sur ce que je suis.
NS cette vie où nous ne sommes Que pour un temps sitôt fini,
L'instinct des oiseaux et des hommes Sera toujours de faire un nid;
Et d'un peu de paille et d'argile Tous veulent se construire, un jour, Un humble toit, chaud et fragile, Pour la famille et pour l'amour.
Par les yeux d'une fille d'Ève Mon cœur profondément touché Avait fait aussi ce doux rêve D'un bonheur étroit et caché.
Rempli de joie et de courage, A fonder mon nid je songeais; Mais un furieux vent d'orage Vient d'emporter tous mes projets; Et sur mon chemin solitaire Je vois, triste et le front courbé, Tous mes espoirs brisés à terre Comme les œufs d'un nid tombé.
LES deux sœurs étaient là, les bras entrelacés, Debout devant la vieille aux regards fatidiques, Qui tournait lentement de ses vieux doigts lassés Sur un coin de haillon les cartes prophétiques. Brune et blonde, et de plus fraîches comme un matin, L'une sombre pavot, l'autre blanche anémone, Celle-ci fleur de mai, celle-là fleur d'automne, Ensemble elles voulaient connaître le destin.
La vie, hélas! sera pour toi bien douloureuse," Dit la vieille à la brune au sombre et fier profil. Celle-ci demanda: "Du moins m'aimera-t-il ?
Vous me trompiez donc. Je serai trop heu
"Tu n'auras même pas l'amour d'un autre cœur,” Dit la vieille à l'enfant blanche comme la neige. Celle-ci demanda: “Moi, du moins, l'aimerai-je ? - Oui.
- Que me disiez-vous? J'aurai trop de bonheur."
U bout du vieux canal plein de mâts, juste en face De l'Océan et dans la dernière maison, Assise à sa fenêtre, et quelque temps qu'il fasse, Elle se tient, les yeux fixés sur l'horizon.
Bien qu'elle ait la pâleur des éternels veuvages, Sa robe est claire; et, bien que les soucis pesants Aient sur ses traits flétris exercé leurs ravages, Ses vêtements sont ceux des filles de seize ans. Car depuis bien des jours, patiente vigie, Dès l'instant où la mer bleuit dans le matin Jusqu'à ce qu'elle soit par le couchant rougie, Elle est assise là, regardant au lointain.
Chaque aurore elle voit une tardive étoile S'éteindre, et chaque soir le soleil s'enfoncer A cette place où doit reparaître la voile Qu'elle vit là, jadis, pâlir et s'effacer.
Son cœur de fiancée, immuable et fidèle, Attend toujours, certain de l'espoir partagé, Loyal; et rien en elle, aussi bien qu'autour d'elle, Depuis dix ans qu'il est parti, rien n'a changé.
Les quelques doux vieillards qui lui rendent visite, En la voyant avec ses bandeaux réguliers, Son ruban mince où pend sa médaille bénite, Son corsage à la vierge et ses petits souliers,
La croiraient une enfant ingénue et qui boude, Si parfois ses doigts purs, ivoirins et tremblants, Alors que sur sa main fièvreuse elle s'accoude, Ne livraient le secret des premiers cheveux blancs.
Partout le souvenir de l'absent se rencontre En mille objets fanés et déjà presque anciens: Cette lunette en cuivre est à lui, cette montre Est la sienne, et ces vieux instruments sont les siens.
Il a laissé, de peur d'encombrer sa cabine, Ces gros livres poudreux dans leur oubli profond, Et c'est lui qui tua d'un coup de carabine Le monstrueux lézard qui s'étale au plafond.
Ces mille riens, décor naïf de la muraille, Naguère il les a tous apportés de très loin. Seule, comme un témoin inclément et qui raille, Une carte navale est pendue en un coin;
Sur le tableau jaunâtre, entre ses noires tringles, Les vents et les courants se croisent à l'envi; Et la succession des petites épingles N'a pas marqué longtemps le voyage suivi.
Elle conduit jusqu'à la ligne tropicale Le navire vainqueur du flux et du reflux, Puis cesse brusquement à la dernière escale, Celle d'où le marin, hélas! n'écrivit plus.
Et ce point justement où sa trace s'arrête Est celui qu'un burin savant fit le plus noir: C'est l'obscur rendez-vous des flots, où la tempête Creuse un inexorable et profond entonnoir.
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