Puis, ils se sont liés en étreintes féroces,
Le souffle au souffle uni, l'œil de haine chargé. Le fer d'un sang fiévreux à l'aise s'est gorgé; La cervelle a jailli sous la lourdeur des crosses.
Victorieux, vaincus, fantassins, cavaliers,
Les voici maintenant, blêmes, muets, farouches, Les poings fermés, serrant les dents, et les yeux louches. Dans la mort furieuse étendus par milliers.
La pluie, avec lenteur lavant leurs pâles faces, Aux pentes du terrain fait murmurer ses eaux; la morne plaine où tourne un vol d'oiseaux Le ciel d'un soir sinistre estompe au loin leurs masses.
Tous les cris se sont tus, les râles sont poussés. Sur le sol bossué de tant de chair humaine, Aux dernières lueurs du jour on voit à peine Se tordre vaguement des corps entrelacés ;
Et là-bas, du milieu de ce massacre immense, Dressant son cou roidi, percé de coups de feu, Un cheval jette au vent un rauque et triste adieu Que la nuit fait courir à travers le silence.
O boucherie! ô soif du meurtre! acharnement Horrible! odeur des morts qui suffoques et navres ! Soyez maudits devant ces cent mille cadavres Et la stupide horreur de cet égorgement.
Mais, sous l'ardent soleil ou sur la plaine noire, Si, heurtant de leur cœur la gueule du canon, Ils sont morts, Liberté, ces braves, en ton nom, Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire!
MIEUX que l'aigle chasseur, familier de la nue, Homme! monte par bonds dans l'air resplendissant. La vieille terre, en bas, se tait et diminue.
Monte. Le clair abîme ouvre à ton vol puissant Les houles de l'azur que le soleil flagelle. Dans la brume, le globe, en bas, va s'enfonçant. Monte. La flamme tremble et pâlit, le ciel gèle, Un crépuscule morne étreint l'immensité. Monte, monte et perds-toi dans la nuit éternelle: Un gouffre calme, noir, informe, illimité, L'évanouissement total de la matière Avec l'inénarrable et pleine cécité.
Esprit! monte à ton tour vers l'unique lumière, Laisse mourir en bas tous les anciens flambeaux, Monte où la Source en feu brûle et jaillit entière. De rêve en rêve, va! des meilleurs aux plus beaux. Pour gravir les degrés de l'Echelle infinie, Foule les dieux couchés dans leurs sacrés tombeaux.
L'intelligible cesse, et voici l'agonie,
Le mépris de soi-même, et l'ombre, et le remord, Et le renoncement furieux du génie.
Lumière, où donc es-tu?
un morne exilé, loin de ceux que j'aimais,
Je m'éloigne à pas lents des beaux jours de ma vie, Du pays enchanté qu'on ne revoit jamais.
Sur la haute colline où la route dévie Je m'arrête, et vois fuir à l'horizon dormant Ma dernière espérance, et pleure amèrement. O malheureux! crois-en ta muette détresse : Rien ne refleurira, ton cœur ni ta jeunesse, Au souvenir cruel de tes félicités. Tourne plutôt les yeux vers l'angoisse nouvelle, Et laisse retomber dans leur nuit éternelle L'amour et le bonheur que tu n'as point goûtés. Le temps n'a pas tenu ses promesses divines. Tes yeux ne verront point reverdir tes ruines; Livre leur cendre morte au souffle de l'oubli. Endors-toi sans tarder en ton repos suprême, Et souviens-toi, vivant dans l'ombre enseveli, Qu'il n'est plus dans ce monde un seul être qui t'aime.
La vie est ainsi faite, il nous la faut subir.
Le faible souffre et pleure, et l'insensé s'irrite; Mais le plus sage en rit, sachant qu'il doit mourir. Rentre au tombeau muet où l'homme enfin s'abrite, Et là, sans nul souci de la terre et du ciel, Repose, ô malheureux, pour le temps éternel!
DANS LE CIEL CLAIR
DANS le ciel clair rayé par l'hirondelle alerte,
Le matin qui fleurit comme un divin rosier Parfume la feuillée étincelante et verte
Où les nids amoureux, palpitants, l'aile ouverte, A la cime des bois chantent à plein gosier Le matin qui fleurit comme un divin rosier Dans le ciel clair rayé par l'hirondelle alerte.
En grêles notes d'or, sur les graviers polis,
Les eaux vives, filtrant et pleuvant goutte à goutte, Caressent du baiser de leur léger roulis
La bruyère et le thym, les glaïeuls et les lys; Et le jeune chevreuil, que l'aube éveille, écoute Les eaux vives filtrant et pleuvant goutte à goutte En grêles notes d'or sur les graviers polis.
Le long des frais buissons où rit le vent sonore, Par le sentier qui fuit vers le lointain charmant Où la molle vapeur bleuit et s'évapore, Tous deux, sous la lumière humide de l'aurore, S'en vont entrelacés et passent lentement Par le sentier qui fuit vers le lointain charmant, Le long des frais buissons où rit le vent sonore.
La volupté d'aimer clôt à demi leurs yeux, Ils ne savent plus rien du vol de l'heure brève, Le charme et la beauté de la terre et des cieux Leur rendent éternel l'instant délicieux, Et, dans l'enchantement de ce rêve d'un rêve, Ils ne savent plus rien du vol de l'heure brève, La volupté d'aimer clôt à demi leurs yeux.
Dans le ciel clair rayé par l'hirondelle alerte L'aube fleurit toujours comme un divin rosier; Mais eux, sous la feuillée étincelante et verte, N'entendront plus, un jour, les doux nids, l'aile ouverte, Jusqu'au fond de leur cœur chanter à plein gosier Le matin qui fleurit comme un divin rosier
Dans le ciel clair rayé par l'hirondelle alerte.
PAR la chaîne d'or des étoiles vives
La Lampe du ciel pend du sombre azur Sur l'immense mer, les monts et les rives. Dans la molle paix de l'air tiède et pur Bercée au soupir des houles pensives, La Lampe du ciel pend du sombre azur Par la chaîne d'or des étoiles vives.
Elle baigne, emplit l'horizon sans fin De l'enchantement de sa clarté calme; Elle argente l'ombre au fond du ravin, Et, perlant les nids, posés sur la palme, Qui dorment, légers, leur sommeil divin, De l'enchantement de sa clarté calme Elle baigne, emplit l'horizon sans fin.
Dans le doux abîme, ô Lune, où tu plonges, Es-tu le soleil des morts bienheureux, Le blanc paradis où s'en vont leurs songes? O monde muet, épanchant sur eux
De beaux rêves faits de meilleurs mensonges, Es-tu le soleil des morts bienheureux, Dans le doux abîme, ô Lune, où tu plonges?
Toujours, à jamais, éternellement,
Nuit! Silence! Oubli des heures amères ! Que n'absorbez-vous le désir qui ment, Haine, amour, pensée, angoisse et chimères? Que n'apaisez-vous l'antique tourment, Nuit! Silence! Oubli des heures amères ! Toujours, à jamais, éternellement ?
« PreviousContinue » |