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Beau chevalier qui partez pour la guerre,

Qu'allez-vous faire

Si loin de nous ?

J'en vais pleurer, moi qui me laissais dire Que mon sourire

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TRISTESSE

J'AI perdu ma force et ma vie,

Et mes amis et ma gaîté;

J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand j'ai connu la Vérité,
J'ai cru que c'était une amie;
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu'on lui réponde;
Le seul bien qui me reste au monde
Est d'avoir quelquefois pleuré.

RAPPELLE-TOI

(Vergiss mein nicht.)

PAROLES FAITES SUR LA MUSIQUE DE MOZART.

APPELLE-TOI, quand l'Aurore craintive

RAPPER

Ouvre au Soleil son palais enchanté ;

Rappelle-toi, lorsque la nuit pensive

Passe en rêvant sous son voile argenté;

A l'appel du plaisir lorsque ton sein palpite,

Aux doux songes du soir lorsque l'ombre t'invite, Écoute au fond des bois

Murmurer une voix :

Rappelle-toi.

Rappelle-toi, lorsque les destinées
M'auront de toi pour jamais séparé,
Quand le chagrin, l'exil et les années
Auront flétri ce cœur désespéré;

Songe à mon triste amour, songe à l'adieu suprême !
L'absence ni le temps ne sont rien quand on aime.
Tant que mon cœur battra,
Toujours il te dira:
Rappelle-toi.

Rappelle-toi, quand sous la froide terre
Mon cœur brisé pour toujours dormira;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire

Sur mon tombeau doucement s'ouvrira.
Je ne te verrai plus; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi comme une sœur fidèle.
Écoute, dans la nuit,

Une voix qui gémit:
Rappelle-toi.

SOUVENIR

J'ESPÉRAIS bien pleurer, mais je croyais souffrir

O la plus chère tombe et la plus ignorée

Où dorme un souvenir!

Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main?
Alors qu'une si douce et si vieille habitude
Me montrait ce chemin ?

Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m'enlaçait.

Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l'antique murmure
A bercé mes beaux jours.

Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas.
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
Ne m'attendiez-vous pas ?

Ah! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un cœur encor blessé!
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ce voile du passé !

Je ne viens point jeter un regret inutile

Dans l'écho de ces bois témoins de mon bonheur.
Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
Et fier aussi mon cœur.

Que celui-là se livre à des plaintes amères,
Qui s'agenouille et prie au tombeau d'un ami.
Tout respire en ces lieux; les fleurs des cimetières
Ne poussent point ici.

Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages.
Ton regard tremble encor, belle reine des nuits;
Mais du sombre horizon déjà tu te dégages,
Et tu t'épanouis.

Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,
Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour;
Aussi calme, aussi pur, de mon âme atter.drie

Sort mon ancien amour.

Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie? 'Tout ce qui m'a fait vieux est bien loin maintenant; Et rien qu'en regardant cette vallée amie,

Je redeviens enfant.

O puissance du temps! ô légères années!
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets;
Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
Vous ne marchez jamais.

Tout mon cœur te bénit, bonté consolatrice!
Je n'aurais jamais cru que l'on pût tant souffrir
D'une telle blessure, et que sa cicatrice

Fût si douce à sentir.

Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées,
Des vulgaires douleurs linceul accoutumé,
Que viennent étaler sur leurs amours passées
Ceux qui n'ont point aimé!

Dante, pourquoi dis-tu qu'il n'est pire misère Qu'un souvenir heureux dans les jours de douleur? Quel chagrin t'a dicté cette parole amère,

Cette offense au malheur?

En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
Et faut-il l'oublier du moment qu'il fait nuit ?
Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste,
Est-ce toi qui l'as dit?

Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m'éclaire,
Ce blaspheme vanté ne vient pas de ton cœur.
Un souvenir heureux est peut-être sur terre

Plus vrai que le bonheur,

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