Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non! Tandis que tes valets te montreront ton Louvre, Moi, je te montrerai, César, ton cabanon.
Devant les trahisons et les têtes courbées, Je croiserai les bras, indigné, mais serein. Sombre fidélité pour les choses tombées, Sois ma force et ma joie et mon pilier d'airain! Oui, tant qu'il sera là, qu'on cède ou qu'on persiste, O France! France aimée et qu'on pleure toujours, Je ne reverrai pas ta terre douce et triste, Tombeau de mes aieux et nid de mes amours!
Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente, France! hors le devoir, hélas! j'oublîrai tout. Parmi les éprouvés je planterai ma tente. Je resterai proscrit, voulant rester debout. J'accepte l'âpre exil, n'eût-il ni fin ni terme, Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu'un a plié qu'on aurait cru plus ferme, Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer.
Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis! Si même Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla;
S'il en demeure dix, je serai le dixième;
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là !
PROSCRIT, regarde les roses;
Mai joyeux, de l'aube en pleurs
Les reçoit toutes écloses; Proscrit, regarde les fleurs.
Dans le froid cercueil qui vous gène, Si je pouvais vous parler bas,
Mon frère Abel, mon frère Eugène, Hélas!
Si je pouvais, ô ma colombe, Et toi, mère, qui t'envolas, M'agenouiller sur votre tombe, Hélas!
Oh! vers l'étoile solitaire,
Comme je lèverais les bras!
Comme je baiserais la terre, Hélas!
Loin de vous, ô morts que je pleure, Des flots noirs j'écoute le glas;
Je voudrais fuir, mais je demeure, Hélas!
Pourtant le sort, caché dans l'ombre, Se trompe si, comptant mes pas, Il croit que le vieux marcheur sombre Est las.
Sa haute silhouette noire Domine les profonds labours. On sent à quel point il doit croire A la fuite utile des jours.
Il marche dans la plaine immense, Va, vient, lance la graine au loin, Rouvre sa main et recommence, Et je médite, obscur témoin,
Pendant que, déployant ses voiles, L'ombre, où se mêle une rumeur, Semble élargir jusqu'aux étoiles Le geste auguste du semeur.
N hymne harmonieux sort des feuilles du tremble; Les voyageurs craintifs, qui vont la nuit ensemble, Haussent la voix dans l'ombre où l'on doit se hâter. Laissez tout ce qui tremble Chanter!
Les marins fatigués sommeillent sur le gouffre. La mer bleue où Vésuve épand ses flots de soufre Se tait dès qu'il s'éteint, et cesse de gémir.
Laissez tout ce qui souffre
Quand la vie est mauvaise on la rêve meilleure. Les yeux en pleurs au ciel se lèvent à toute heure; L'espoir vers Dieu se tourne et Dieu l'entend crier. Laissez tout ce qui pleure
C'est pour renaître ailleurs qu'ici-bas on succombe. Tout ce qui tourbillonne appartient à la tombe. Il faut dans le grand tout tôt ou tard s'absorber. Laissez tout ce qui tombe Tomber!
PROMENADES DANS LES ROCHERS
'N tourbillon d'écume, au centre de la baie, Formé par de secrets et profonds entonnoirs, Se berce mollement sur l'onde qu'il égaie, Vasque immense d'albâtre au milieu des flots noirs. Seigneur, que faites-vous de cette urne de neige? Qu'y versez-vous dès l'aube et qu'en sort-il la nuit ? La mer lui jette en vain sa vague qui l'assiège, Le nuage sa brume et l'ouragan son bruit.
L'orage avec son bruit, le flot avec sa fange, Passent; le tourbillon, vénéré du pêcheur, Reparaît, conservant, dans l'abîme où tout change, Toujours la même place et la même blancheur.
Le pêcheur dit: "C'est là qu'en une onde bénie, Les petits enfants morts, chaque nuit de Noël, Viennent blanchir leur aile au souffle humain ternie, Avant de s'envoler pour être anges au ciel."
Moi, je dis: "Dieu mit là cette coupe si pure, Blanche en dépit des flots et des rochers penchants, Pour être dans le sein de la grande nature, La figure du juste au milieu des méchants."
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