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'Est-ce que vous pourrez, sans tristesse et sans plainte, Voir nos ombres flotter où marchèrent nos pas,

Et la voir m'entraîner, dans une morne étreinte,
Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas?

"Et s'il est quelque part, dans l'ombre où rien ne veille, Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports, Ne leur irez-vous pas murmurer à l'oreille :

Vous qui vivez, donnez une pensée aux morts?

"Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines, Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds, Et les cieux azurés et les lacs et les plaines,

Pour y mettre nos cœurs, nos rêves, nos amours;

"Puis il nous les retire. Il souffle notre flamme.
Il plonge dans la nuit l'antre où nous rayonnons,
Et dit à la vallée, où s'imprima notre âme,
D'effacer notre trace et d'oublier nos noms.

"Eh bien! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages;
Herbe, use notre seuil! ronce, cache nos pas!
Chantez, oiseaux! ruisseaux, coulez ! croissez, feuillages!
Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas.

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Car vous êtes pour nous l'ombre de l'amour même,

Vous êtes l'oasis qu'on rencontre en chemin !

Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême

Où nous avons pleuré nous tenant par la main !

"Toutes les passions s'éloignent avec l'âge,

L'une emportant son masque et l'autre son couteau,
Comme un essaim chantant d'histrions en voyage
Dont le groupe décroît derrière le coteau.

"Mais toi, rien ne t'efface, Amour! toi qui nous charmes !
Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard !
Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes ;
Jeune homme on te maudit, on t'adore vieillard.

"Dans ces jours où la tête au poids des ans s'incline,
Où l'homme, sans projets, sans but, sans visions,
Sent qu'il n'est déjà plus qu'une tombe en ruine
Où gisent ses vertus et ses illusions;

"Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles,
Comptant dans notre cœur, qu'enfin la glace atteint,
Comme on compte les morts sur un champ de batailles,
Chaque douleur tombée et chaque songe éteint,

"Comme quelqu'un qui cherche en tenant une lampe,
Loin des objets réels, loin du monde rieur,
Elle arrive à pas lents par une obscure rampe
Jusqu'au fond désolé du gouffre intérieur ;

"Et là, dans cette nuit qu'aucun rayon n'étoile,
L'âme, en un repli sombre où tout semble finir,
Sent quelque chose encor palpiter sous un voile...
C'est toi qui dors dans l'ombre, ô sacré souvenir!"

A QUOI BON ENTENDRE

A QUOI bon entendre

Les oiseaux des bois?

L'oiseau le plus tendre

Chante dans ta voix.

Que Dieu montre ou voile

Les astres des cieux !

La plus pure étoile

Brille dans tes yeux.

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Si vous n'avez rien à m'apprendre,
Pourquoi me pressez-vous la main ?
Sur le rêve angélique et tendre,
Auquel vous songez en chemin,
Si vous n'avez rien à m'apprendre,
Pourquoi me pressez-vous la main ?

Si vous voulez que je m'en aille,
Pourquoi passez-vous par ici?
Lorsque je vous vois, je tressaille,
C'est ma joie et c'est mon souci.
Si vous voulez que je m'en aille,
Pourquoi passez-vous par ici?

QUAND NOUS HABITIONS TOUS ENSEMBLE

UAND nous habitions tous ensemble

QUAN

Sur nos collines d'autrefois,

Où l'eau court, où le buisson tremble,
Dans la maison qui touche aux bois,

Elle avait dix ans, et moi trente;
J'étais pour elle l'univers.

Oh! comme l'herbe est odorante
Sous les arbres profonds et verts!

Elle faisait mon sort prospère,
Mon travail léger, mon ciel bleu.
Lorsqu'elle me disait: Mon père,
Tout mon cœur s'écriait: Mon Dieu !

A travers mes songes sans nombre,
J'écoutais son parler joyeux,

Et mon front s'éclairait dans l'ombre
A la lumière de ses yeux.

Elle avait l'air d'une princesse
Quand je la tenais par la main.
Elle cherchait des fleurs sans cesse
Et des pauvres dans le chemin.

Elle donnait comme on dérobe,
En se cachant aux yeux de tous.
Oh! la belle petite robe
Qu'elle avait, vous rappelez-vous?

Le soir, auprès de ma bougie,

Elle jasait à petit bruit,

Tandis qu'à la vitre rougie

Heurtaient les papillons de nuit.

Les anges se miraient en elle.
Que son bonjour était charmant !
Le ciel mettait dans sa prunelle
Ce regard qui jamais ne ment.

Oh! je l'avais, si jeune encore,
Vue apparaître en mon destin !
C'était l'enfant de mon aurore,
Et mon étoile du matin !

Quand la lune claire et sereine

Brillait aux cieux, dans ces beaux mois,
Comme nous allions dans la plaine!
Comme nous courions dans les bois !

Puis, vers la lumière isolée
Étoilant le logis obscur,

Nous revenions par la vallée

En tournant le coin du vieux mur;

Nous revenions, cœurs pleins de flamme,
En parlant des splendeurs du ciel.
Je composais cette jeune âme
Comme l'abeille fait son miel.

Doux ange aux candides pensées,
Elle était gaie en arrivant ...-
Toutes ces choses sont passées
Comme l'ombre et comme le vent!

O SOUVENIRS! PRINTEMPS! AURORE!

SOUVENIRS! printemps! aurore! Doux rayon triste et réchauffant ! Lorsqu'elle était petite encore, Que sa sœur était tout enfant...

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