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fortes de fuperfluités, avec autant d'attention que les néceffités de la vie.

En Angleterre, le fol produit beaucoup plus de grain qu'il ne faut pour nourrir ceux qui cultivent les terres, & ceux qui procurent les vêtemens. Il peut donc y avoir des Arts frivoles, & par conféquent du luxe. En France, il croît affez de bled pour la nourriture des Laboureurs, & de ceux qui font employés aux Manufactures. De plus, le commerce avec les Etrangers peut rendre pour des chofes frivoles tant de chofes néceffaires, qu'on n'y doit guéres craindre le luxe.

A la Chine, au contraire, les femmes font fi fécondes, & l'espèce humaine s'y multiplie à un tel point que les terres, quelques cultivées qu'elles foient, fuffifent à peine pour la nourriture des Habitans. Le luxe y eft donc pernicieux; il faut qu'on s'attache aux Arts néceffaires & qu'on fuie ceux de la volupté.

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» Notre luxe eft fi grand, dit un Au- ́ teur Chinois, que le Peuple orne de » broderies les fouliers des jeunes garçons » & des filies qu'il eft obligé de vendre. « Tant d'hommes étant occupés à faire des habits pour un feul, le moyen qu'il n'y ait bien des gens qui manquent d'habits?

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CHAPITRE XVII.

Des Impôts.

És revenus de l'Etat font une portion que chaque Citoyen donne de fon bien, pour avoir la sûreté de l'autre, ou pour en jouir agréablement. Pour bien fixer ces revenus, il faut avoir égard aux néceflités de l'Etat, & aux néceffités des Citoyens.

Lorfque dans un Etat tous les particuliers font Citoyens, que chacun y pofféde par fon domaine ce que le Prince 'y pofléde par fon empire, on peut mettre des impôts fur les perfonnes, fur les terres, ou fur les marchandifes, fur deux de ces chofes, ou fur les trois enfemble.

Les droits fur les marchandises font ceux que les peuples fentent le moins.

Il y a dans les Etats modérés, un dédommagement pour la pefanteur des tributs, c'eft la liberté. Il y a dans les Etats Defpotiques un équivalent pour la liberté, c'est la modicité des tributs.

On peut augmenter les tributs dans la plupart des Républiques, parce que le Citoyen qui croit payer à lui-même,

a la volonté de les payer. Dans la Monarchie on peut augmenter les tributs, parce que la modération du Gouvernement y peut procurer des richesses ; c'est comme la récompenfe du Prince, à caufe du refpect qu'il a pour les Loix.

Dans le Gouvernement Monarchique, les impôts font le feul bien que le luxe peut procurer, & le feul bien qu'il puiffe recevoir.

L'impôt par tête eft plus naturel à la fervitude; l'impôt fur les marchandises eft plus naturel à la liberté. Ce dernier impôt étant payé par l'acheteur, quoique le marchand l'avance, eft un prêt que le marchand a déjà fait à l'acheteur.

La liberté a produit l'excès des tributs; mais l'effet de ces tributs exceffifs eft de produire à leur tour la fervitude, & l'ef fet de la fervitude de produire la diminution des tributs.

Les Monarques de l'Afie ne font guères d'Edits, que pour exempter chaque année de tributs quelque Province de leur Empire. Les manifeftations de leur volonté font des bienfaits. Mais en Eu

горе, les Edits affligent même avant qu'on ne les ait vus, parce que nos Princes y parlent toujours de leurs befoins, & jamais des nôtres.

Les befoins imaginaires de l'Etat font

ce que demandent les paffions & les foiblefles de ceux qui gouvernent, l'envie malade d'une vaine gloire, & une certaine impuiffance d'efprit contre les fantaifies. Ce n'eft point à ce que le Peuple peut donner qu'il faut mefurer les revenus publics, mais à ce qu'il doit donner.

La maxime des grands Empires d'Orient, de remettre les tributs aux Provinces qui ont fouffert, a quelquefois lieu dans les Etats Monarchiques; mais elle accable plus que fi elle n'y étoit pas. Pour foulager un Village qui paye mal, on charge un autre qui paye mieux; on ne rétablit point le premier, on détruit le fecond. Le peuple eft défefpéré entre la néceffité de payer, de peur des exactions; & le danger de payer, de peur des furcharges.

Que quelques Citoyens ne payent pas affez, le mal n'est pas grand; leur aifance revient toujours au public. Que quelques particuliers payent trop, leur ruine fe tourne contre le public.

Il n'y a point d'Etat où l'on ait plus befoin de tributs que dans ceux qui s'affoibliffent; de forte que l'on eft obligé d'augmenter les charges, à mesure qu'on est moins en état de les porter.

Plus les fujets font pauvres, dit on,

plus les familles font nombreuses. Plus on eft chargé d'impôts, plus on se met en état de les payer; deux fophifmes qui perdront à jamais les Monarchies.

La Régie eft l'adminiftration d'un bon pere de famille qui leve lui-même avec économie & avec ordre fes revenus.

Par la Régie, le Prince épargne à l'Etat les profits immenfes des Fermiers, qui l'appauvriffent; il épargne au peuple le fpectacle des fortunes fubites qui l'affligent. Par la Régie, l'argent levé paffe par peu de mains; il va directement au Prince, & revient plus promptement au peuple.

L'hiftoire des Monarchies eft pleine des maux faits par les Traitans. Tout eft perdu, lorfque la profeffion lucrative des Traitans parvient encore par fes richeffes à être une profeffion honorée; un dégoût faifit tous les autres états: l'honneur perd toute fa confidération, les moyens lents & naturels de fe diftinguer ne touchent plus.

Il y a un lot pour chaque profeffion. Le lot de ceux qui levent les tributs, eft les richeffes; & les récompenfes de ces richeffes, font les richeffes mêmes. La gloire & l'honneur font pour cette nobleffe qui ne connoît, qui ne voit, qui ne fent de vrai bien que l'honneur H

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