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J. C.; c'est pour avoir un prétexte de substituer 700 à 400 dans la grande histoire. Voilà pourquoi il faut absolument qu'Hérodote ait composé une si déplorable notice sur Mélésigénès dit Homère. Mais comment ces mêmes copistes, qui nous ont si heureusement conservé ce nombre de 622, ont-ils défiguré tellement les autres parties du texte, qu'on n'y reconnaît plus le style, la diction, et, comme l'a dit Wesseling, les mots d'Hérodote? Dictionis sane tenor et filum vocabulaque complura herodotea non sunt. Cela vient, répond Bouhier, de ce qu'ils n'entendaient pas le dialecte ionique, qui par bonheur a été mieux connu de ceux qui ont copié les neuf livres d'histoire. En revanche, ceux-ci ont tous eu le tort d'écrire 400 pour 700. Telles sont, Messieurs, les vaines, et j'ose le dire, les puériles hypothèses qu'on ose parer du nom d'érudition. Si vous trouviez à la suite des Provinciales un morceau écrit du style de l'abbé de Pure, que penseriez-vous de ceux qui viendraient vous dire que la différence a pour cause l'altération de ce morceau par des copistes ignorants? Mais ici c'est le fond même, autant que la diction, qui est indigne et d'Hérodote et d'Homère. Ajoutons que les vers de ce poëte y sont cités inexactement. Par exemple, au premier chant de l'Odyssée, un héraut présente une lyre à Phémius qui, avec répugnance et par nécessité, chantait devant les prétendants :

Φημίῳ, ὅς ῥ ̓ ἤειδε παρὰ μνηστῆρσιν ἀνάγκῃ.

Le biographe, qui a fait de ce Phémius un maître d'école, dont Homère enfant a reçu les leçons à Smyrne, prétend que le poëte a saisi dans l'Odyssée une occasion de louer son maître, et de le déclarer le plus

habile dans l'art de chanter; en conséquence il cite le vers de cette manière :

Φημίῳ, ὃς δὴ πολλὸν ἐκαίνυτο πάντας ἀείδων·

ce qu'on ne lit dans aucun endroit ni dans aucun manuscrit du poëme. Maintenant, Messieurs, c'est à vous de juger s'il reste quelque fondement à l'opinion de Bouhier sur ce point, et si tout ne concourt pas au contraire à confirmer celle de Spanheim, de Wesseling, de Valckenaer qui a été reproduite en 1816 par M. Schweighauser, en 1822 par M. Miot.

Hérodote, au premier livre de son histoire, dit que Babylone a eu plusieurs rois dont il parlera dans ses livres ou discours sur l'Assyrie, dooupíotor λóyos; et, à l'occasion de la prise de Ninive, il renvoie à ce qu'il en dira ailleurs, ἐν ἑτέροισι λόγοισι. On conclut de la qu'il a écrit sur l'Assyrie un ouvrage qui ne nous est point parvenu. Cependant Vossius et Fabricius ne voient là qu'une simple promesse qui, selon toute apparence, n'a point été remplie, puisque aucun auteur ancien n'attribue un tel ouvrage à Hérodote. On lit, à la vérité, dans la plupart des éditions de l'Histoire des animaux d'Aristote, le nom Ĥpódotos comme celui d'un auteur, qui, dans une description du siége de Ninive, avait dit qu'un aigle buvait; mais conformément à trois manuscrits, Camus a imprimé ici Hoíodos, et a traduit ainsi le passage d'Aristote : « Les oiseaux qui ont l'on

«

gle recourbé ne boivent absolument point; c'est sans << doute ce qu'Hésiode ignorait lorsque, dans l'histoire « du siége de Ninive, il fait boire l'aigle qui était à << la tête des augures. » A l'appui de cette version, Camus cite, dans une note, les trois manuscrits, l'autorité de Théodore de Gaza et des traducteurs qui ont lu

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aussi Hoíodos, et il ajoute seulement qu'on ne trouve dans Hérodote rien de semblable. Larcher, qui n'aime pas les courtes notes, dit que celle-ci est maigre et n'apprend rien il décide que c'est Hérodote en ses Assyriaques qui est cité par Aristote, et se sert, en conséquence, du témoignage de ce philosophe, pour prouver qu'outre les neuf livres, ou les neuf Muses, où en effet il n'est point parlé de l'aigle qui buvait à Ninive, l'historien avait composé et publié des livres sur l'Assyrie. A mon avis, Messieurs, tout ce qu'on peut opposer à l'opinion de Camus, c'est qu'il n'y a non plus rien de relatif à cet aigle ni au siége de Ninive dans ce qui nous reste d'Hésiode. Sylburge lisait dans Aristote Όμηρος au lieu d'Ησίοδος ou d' Ηρόδοτος, et la même difficulté subsistait. D'autres ont soupçonné qu'il s'agissait ou d'Hérodore ou de quelque autre Hérodote. Enfin on a conjecturé que les neuf livres intitulés Muses, quoique aucune lacune n'y soit fort sensible, pouvaient bien ne nous être parvenus qu'incomplets, et qu'Aristote en possédait une meilleure copie qui comprenait cette histoire assyrienne promise par l'auteur.

Selon Larcher, c'était un ouvrage à part, mais qui n'a pas subsisté longtemps; et le savant Des Vignoles estime que la perte n'en est point du tout regrettable, Hérodote ayant fort peu connu l'Asie, où il n'avait point voyagé. Des Vignoles, dont le système chronologique s'accordait mal avec les traditions recueillies par cet historien, avait intérêt à rabaisser son autorité en ce qui concernait l'Assyrie. Bouhier, à qui au contraire il convenait fort que cette autorité prévalût, ne manque pas de soutenir qu'Hérodote avait visité Babylone.

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Quoique les passages, dit-il, qui ont fait croire qu'Hérodote avait été réellement à Babylone, ne soient « pas bien clairs, il n'est presque pas possible de dou« ter qu'il ne l'ait vue, si on veut prendre la peine « d'examiner la description exacte qu'il fait de toutes « les singularités de cette grande ville et de ses habi<< tants. Il n'y a guère qu'un témoin oculaire qui en puisse parler avec autant de précision, surtout dans «<un temps où aucun autre Grec n'avait encore rien «< écrit là-dessus. De plus, qu'on fasse attention à la << manière dont il parle d'une statue d'or massif de Ju<< piter Bélus qui était dans Babylone et qui avait douze « coudées de hauteur. En avouant qu'il ne l'a pas vue, <«< parce que le roi Xercès l'a fait enlever, n'est-ce pas <«< insinuer tacitement qu'il a vu toutes les autres choses «qu'il dit être dans cette grande ville? Il est aisé aussi de reconnaître par divers autres passages de son ou« vrage qu'il avait conféré, sur les lieux, avec des Chal<< déens et des Perses sur ce qui regardait leur religion " et leur histoire. D'ailleurs il n'est guère vraisembla<< ble qu'un homme, qui avait parcouru tant de différents « pays pour s'instruire de tout ce qui pouvait les con«< cerner, eût négligé d'aller voir une ville qui passait <«< alors pour la plus belle du monde, et où il pouvait << recueillir les mémoires les plus sûrs pour l'histoire « qu'il préparait de la haute Asie, surtout en ayant << approché de si près. Je me suis étendu sur ce point << continue Bouhier, parce qu'un habile chronologiste « (Des Vignoles), pour décrier notre historien, surtout << par rapport à l'histoire des Assyriens, a prétendu qu'il n'avait jamais été à Babylone et qu'il n'en avait « parlé que sur de faux mémoires. J'ose donc dire que

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« cette accusation est sans fondement et pleinement dé<< truite par ce que je viens d'observer. »

Bouhier, pour montrer, non-seulement qu'Hérodote a voyagé en Assyrie, mais encore qu'il a écrit une histoire assyrienne, prétend qu'il en existe un fragment dans une chronique grecque, savoir dans celle qui est connue sous le titre de Chronicon paschale. C'est une assez mauvaise compilation faite au moyen âge. On y lit que Sésostris, de la race de Cham fils de Noé, ayant fait la guerre aux Assyriens et les ayant mis sous le joug, conquit la Chaldée, la Perse, et Babylone; qu'il soumit à son empire toute l'Asie, l'Europe, la Scythie et la Mysie; que, prêt à retourner en Égypte, il choisit quinze mille Scythes et leur assigna des terres en Perse; qu'ils y restèrent sous le nom de Parthes ou Parthides, mot qui équivaut à Scythes dans la langue des Perses; et qu'ils y ont conservé leur lanet leurs anciennes coutumes, ainsi que le rapporte gage le très-savant Hérodote : καθώς Ηρόδοτος ο σοφώτατος ταῦτα Guvεypávato. Or voilà, Messieurs, selon le président Bouhier, un débris des Assyriaques de notre historien, car il ne se rencontre rien de pareil dans les neuf livres : il y est bien dit que Sésostris passa d'Asie en Europe, subjugua les Scythes et les Thraces, mais non pas assurément qu'il fut de la race de Cham, fils de Noé. Ce sont là des personnages, dont Hérodote n'avait jamais, dit Larcher, entendu parler. On a jugé à propos d'attacher son nom à ce qu'on voulait dire de Sésostris dans le Chronicon paschale. Cette chronique n'est pas du quatrième ou du cinquième siècle, comme le croit Larcher: car elle se prolonge jusqu'à l'empereur Héraclius, qui mourut en 641; elle n'est donc que du

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