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tant où nous avons ouvert ce cours d'histoire. « S'il a « mêlé, disions-nous, à des récits instructifs des tra«ditions fabuleuses, du moins il a fixé tous les sou« venirs jusqu'alors épars; il a recueilli, pour ainsi << dire, tous les débris des peuples et des siècles; racon<< tant comme Homère invente, toujours simple et riche <«< comme lui; animant ses tableaux, éclairant ses narra<< tions l'une par l'autre, habile à les poursuivre, à les « interrompre, à les reprendre; créant, par un chef-d'œu« vre de l'art d'écrire, la science des lieux, des temps et « des faits.» Son ouvrage sera, Messieurs, le sujet qui nous occupera dans nos prochaines séances.

Discours d'ouverture. t. I, p. xxxiii.

DEUXIÈME LEÇON.

NOTICE SUR LA VIE ET LES TRAVAUX D'Hérodote.

Messieurs, quoique Hérodote ait été nommé par Cicéron le prince des historiens et le père de l'histoire, le genre historique s'était annoncé, avant le siècle de Périclès, par un assez grand nombre d'essais. Il avait été cultivé, même hors de la Grèce; et, malgré beaucoup de recherches, on ne parvient pas à déterminer le lieu ni l'époque de son origine. Le phénicien Sanchoniaton a été souvent désigné comme antérieur à Moïse; plusieurs le font contemporain d'Abraham; d'autres le retardent jusqu'au temps de la guerre de Troie, ou même jusqu'à celui de David et de Salomon, lesquels, selon Bossuet, sont postérieurs à Priam. Quoi qu'il en soit, Sanchoniaton avait, dit-on, écrit les anuales des premiers hommes. Le texte phénicien de cet ouvrage ne subsiste plus; Philon de Byblos en fit, vers la fin du premier siècle de notre ère, une prétendue version grecque, qui ne s'est pas conservée tout entière, mais dont Eusèbe et Porphyre ont extrait plusieurs fragments. Rien ne nous garantit la fidélité ni de cette traduction ni de ces extraits. Il se peut même que le grammairien Philon ait forgé jusqu'au nom de Sanchoniaton, s'il est vrai que ce nom signifie, en ancien phénicien, amateur de la vérité. Ce qu'il y a de plus curieux dans ces fragments est ce qu'ils contiennent de relatif à l'âge antédiluvien : c'est une succession de dix générations depuis Protogone, ou le premier homme,

jusqu'à Magus et Amynus, ou plutôt une sorte de tableau généalogique des éléments, des métaux et des arts. L'auteur attache à des noms de personnages l'ordre dans lequel il suppose que se sont succédé les découvertes et les inventions humaines; tout est sensiblement allégorique dans les récits et même dans la nomenclature et, malgré l'importance qu'on a voulu quelquefois donner à ces antiquités, la raison n'y peut apercevoir qu'un tissu de fictions tout à fait indignes du nom d'histoire.

De là, néanmoins, nous ne rencontrons plus d'historiens profanes, que vers le siècle qui a précédé immédiatement celui d'Hérodote. Alors un Milésien nommé Cadmus s'efforçait d'éclaircir les antiquités de Milet. Cet essai passe pour le plus antique, et commence une liste qui bientôt devient assez longue. Vossius, Fabricius et Harlès l'ont recueillie tout entière, en joignant au nom de chaque auteur le peu de notions qu'on a sur sa personne et sur ses écrits. Pour écarter des discussions qui n'ont à peu près aucun intérêt, je me bornerai à vous rappeler ce que Barthélemy a dit de ces premiers historiens grecs. Anacharsis visite une bibliothèque où Euclide de Mégare lui montre les livres d'Eugéon, de Déiochus, d'Eudémus, de Démoclès.

Quand je lus ces auteurs, dit Anacharsis à Euclide, « non-seulement je fus révolté des fables absurdes qu'ils << rapportent; mais à l'exception des faits dont ils ont été « les témoins, je les rejetai tous. Car enfin, dès qu'ils ont « été les premiers à nous les transmettre, dans quelles << sources les avaient-ils puisés? Euclide répond que ces « faits subsistaient dans la tradition, mais il avoue que « les récits se sont peu à peu chargés de circonstances

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« merveilleuses, et que les premiers historiens ont « adopté sans examen cet amas confus de vérités et ⚫ d'erreurs. Bientôt Acusilaüs, Phérécyde, Hécatée de << Milet, Xanthus, Hellanicus et d'autres encore, mon« trèrent plus de critique; et, s'ils ne débrouillèrent pas « entièrement le chaos, ils donnèrent au moins l'exemple du mépris que méritent les fictions des premiers siècles. Voici, poursuit Euclide, l'ouvrage dans lequel Acusilaüs, en rapportant les généalogies des << anciennes familles royales, remonte aux siècles an« térieurs à la guerre de Troie et jusqu'à Phoronée, roi d'Argos. Je le sais, répond Anacharsis; et j'ai bien ri, quand j'ai vu cet auteur, et ceux qui l'ont suivi, « nommer Phoronée le premier des humains.... Aban« donnant Acusilaüs, Euclide passe à Phérécyde qui a « recueilli les traditions relatives à l'ancienne histoire

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d'Athènes, et par occasion à celle des peuples voisins. « Son ouvrage contient des détails intéressants, tels << que la fondation de plusieurs villes et les émigrations « des premiers habitants de la Grèce; ses généalogies << ont un défaut qui, dans l'origine des sociétés, assurait « la gloire d'une maison : après être parvenues aux << siècles les plus reculés, elles se dénouent par l'inter<< vention de quelque divinité. On y voit, par exemple, qu'Orion était fils de Neptune et d'Euryalé, Triptolème fils de l'Océan et de la Terre. Vers le même « temps (que Phérécyde), parurent Hécatée de Mile <«<et Xanthus de Lydie. Ils jouirent l'un et l'autre d'une réputation affaiblie et non détruite par les travaux << de leurs successeurs. Le premier, dans son histoire « et ses généalogies, se proposa de même d'éclaircir les antiquités des Grecs. Il a quelquefois l'attention de

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« les discuter et d'en écarter le merveilleux. Voici, dit-il «< au commencement de son histoire, ce que raconte « Hécatée de Milet : j'écris ce qui me paraît vrai; les « Grecs, à mon avis, out rapporté beaucoup de choses << contradictoires et ridicules. Croirait-on qu'après «< cette promesse, il accorde le don de la parole au bé«<lier qui transporta Phryxus en Colchide! L'histoire ne « s'était encore occupée que de la Grèce. Hécatée étendit son domaine; il parcourut l'Égypte et d'autres con«trées jusqu'alors inconnues... Voici, continue Euclide, « l'histoire de Lydie par Xanthus, écrivain exact et <«<< très-instruit des antiquités de son pays; elle est ac«<< compagnée de plusieurs ouvrages qu'Hellanicus de << Lesbos a publiés sur les différentes nations de la « Grèce. Cet auteur manque quelquefois d'ordre et «< d'étendue, mais il termine avec honneur la classe de « nos premiers historiens. >>

Je n'ai pas besoin d'ajouter que ces ouvrages ne subsistent plus, et qu'ils ne nous sont connus que par les jugements qu'en ont portés quelques auteurs classiques, particulièrement Denys d'Halicarnasse, et par un très-petit nombre d'extraits dispersés en des livres écrits depuis l'ère vulgaire. C'est à ces sources que Barthélemy a puisé les observations que vous venez d'entendre. Sevin, qui a publié, dans le recueil de l'Académie des inscriptions, un mémoire sur Hécatée de Milet, en a fait un autre sur Charon de Lampsaque, qui paraît avoir vécu aussi avant Hérodote, et qui avait laissé une histoire de Perse. Les neuf petits fragments qui en restent sont transcrits et commentés dans cette dissertation de Sevin. Purement romanesques, ils n'ont, à vrai dire, aucune sorte d'importance : le der

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