Page images
PDF
EPUB

présentent immédiatement ces deux méthodes, outre les recherches pénibles et les tâtonnements qu'elles exigent, outre les omissions et les interversions qu'elles peuvent entraîner, leur inconvénient, ou plutôt leur vice essentiel, est de décomposer de grands ouvrages, et de rendre par là moins vive et moins complète l'instruction qu'on doit en tirer. Ces procédés sont bien ceux qu'il convient d'employer, lorsqu'on se propose un travail particulier sur l'histoire d'un pays, d'un siècle, d'une époque; et nous en avons recommandé l'usage, lorsque nous parlions de l'étude qu'un historien doit faire du sujet qu'il va traiter : mais il est question en ce moment de la manière de lire, et non plus d'écrire les annales humaines, et je pense que pour cette étude générale, l'ordre le plus simple, le plus facile et le plus sûr, est de prendre l'un après l'autre les meilleurs ouvrages historiques, tels qu'ils sont, tels qu'ils ont été conçus et disposés par les auteurs. Ainsi la troisième et dernière méthode sera de commencer par Hérodote, de le lire en entier, et de même, après lui, chacun de ses plus dignes successeurs, à mesure qu'ils se présenteront dans tout le cours des âges jusqu'au temps actuel.

J'avoue que cette série chronologique d'auteurs ne correspondra pas toujours à celle des faits racontés dans leurs ouvrages. Cet ordre de lectures nous fera souvent revenir à des époques déjà observées et dépassées, nous ramènera en des lieux que nous aurons déjà visités avec d'autres guides; nous verrons reparaître plusieurs fois les mêmes personnages, les mêines tableaux, et, parmi les historiens les plus modernes, il y en aura qui ne nous parleront que d'histoire ancienne.

J'avouerai même qu'il en résulterait une confusion extrême, si nous n'avions aucune idée préliminaire de la situation des lieux et de l'ordre des temps. Mais aussi voilà pourquoi la géographie et la chronologie ont dû nous introduire, nous initier à l'histoire. Si l'image du globe terrestre et de ses différentes parties s'est dessinée dans nos esprits, si surtout le système chronologique nous demeure toujours présent, si nous ne laissons échapper aucune des notions techniques, controversées et positives, qu'il renferme, si nous avons attaché des dates, certaines ou probables, précises ou approximatives, à tous les événements et à tous les noms célèbres, il nous sera toujours facile de nous placer dans les lieux et dans les temps dont chaque auteur viendra nous entretenir. Nous savons, par exemple, que le roi de Macédoine Alexandre, né l'an 356 avant l'ère chrétienne, ravageait le monde entre les années 336 et 323. Que son histoire nous soit racontée par Diodore de Sicile, ou par Plutarque, Quinte-Curce, Justin, Arrien, qui ont vécu au troisième, quatrième, cinquième ou sixième siècle après le sien, ou bien encore par Rollin, à une distance de plus de deux mille ans, nous ne courons aucun risque de déplacer l'époque de son épouvantable gloire. En quelque siècle qu'un historien ait écrit, et quels que soient les faits qu'il rapporte, ils se rattacheront au tableau d'histoire universelle que nous nous sommes tracé; leur place y sera fixée. Nous distinguerons toujours parfaitement le point précis de ce tableau, qui se développera dans chacun des livres que nous aurons à lire. L'effet de ces lectures successives sera de compléter, de rectifier chaque notion historique, et de lui donner toute l'étendue dont elle est susceptible.

D'ailleurs, Messieurs, je vous prie d'observer que l'ordre que je propose ne s'éloignera pas autant qu'on pourrait le craindre de l'ordre général des faits. Il suit le cours de l'histoire, il la fait voir avançant et croissant de siècle en siècle; s'il la fait quelquefois revenir sur ses pas, du moins il ne peut jamais la transporter au delà du terme qu'elle vient d'atteindre par son mouvement naturel; il lui laisse sa marche continue et progressive. Cet ordre a de plus l'avantage de nous montrer, à chaque époque, l'état des connaissances et des travaux historiques, les directions que prenaient les études et les recherches, les formes qu'on donnait aux ouvrages. Le même fond d'histoire de la république romaine se reproduit, après Denys d'Halicarnasse et Tite-Live, dans beaucoup d'abrégés et de recueils, depuis le premier siècle de l'ère vulgaire jusqu'aux temps de Vertot et de Fergusson; et chaque fois on peut apprécier le goût, la critique, la philosophie de ces différentes époques; et ces observations, en même temps qu'elles gravent mieux les faits dans la mémoire, mûrissent l'instruction morale, politique et littéraire qui doit en dériver.

Nous suivrons donc cette méthode, non pas pourtant avec une telle rigueur que la succession chronologique des ouvrages n'éprouve jamais le moindre dérangement. D'abord les dates précises de la composition de ces livres ne seront pas toujours très-bien connues; les recherches les plus exactes ne dissipent point, à cet égard, toutes les incertitudes, au moins en ce qui concerne les temps antiques et une partie du moyen âge. Mais lors même que ces dates seront parfaitement déterminées, nous ne craindrons pas d'en modifier tant soit peu la série, si une avance ou un retard de quel

ques années suffit pour rapprocher des livres qui ont une même matière, ou pour établir entre eux des rapports plus étroits ou plus sensibles. Quoique Tite-Live n'ait écrit qu'après César et Salluste, on peut penser qu'un auteur qui remonte aux origines de Rome, doit être lu avant ceux qui racontent des événements du septième siècle de cette république. De si légers déplacements, qui n'excéderont pas la limite d'un siècle, ni le plus souvent d'un demi-siècle, n'altéreront point le système général; au contraire, ils en garantiront et en accroîtront l'utilité. On a fait consister quelquefois la supériorité de l'homme sur les animaux, en ce qu'il peut, non-seulement suivre ses plans, mais s'en écarter. C'est une perfection fort équivoque, et dont il est sage de se défier beaucoup; mais il l'est aussi de laisser dans le plan même quelque latitude, dans la méthode quelque flexibilité, afin de mieux pourvoir à tous les besoins, de mieux recueillir tous les fruits d'un grand travail.

Voici donc l'ordre que nous allons suivre : notre attention se fixera d'abord sur les principaux historiens grecs antérieurs à notre ère, Hérodote, Thucydide, Xénophon, Polybe, Denys d'Halicarnasse et Diodore de Sicile, ou plutôt Diodore et Denys, afin de rapprocher les Antiquités Romaines de ce dernier des ouvrages latins de Tite-Live, de César et de Salluste. Parvenus à l'ère vulgaire, nous continuerons la série des historiens latins par Velléius Paterculus et Tacite, et celle des Grecs par Josèphe et Plutarque, aux livres desquels nous joindrons la géographie essentiellement historique de Strabon. Il serait inutile en ce moment de compléter et d'étendre plus loin cette nomenclature.

Il est assez entendu que de siècle en siècle, nous nous arrêterons aux histoires grecques, latines, orientales, ou en langues modernes, qui se recommanderont par la beauté de leurs formes, ou par l'importance des matières et l'originalité des témoignages. Toutes les autres seront écartées; et néanmoins comme il en est qu'on peut avoir assez occasion de consulter et de citer, j'en donnerai, à mesure que l'ordre des temps les amènera, des notions succinctes, où j'indiquerai leurs dates, leur objet et leurs usages accidentels.

A l'égard des ouvrages dont la lecture entière et attentive me paraît indispensable, je tâcherai de mieux faire connaître la manière de les étudier. Mon premier soin sera de recueillir ce qu'on sait de la vie des auteurs, de leur caractère moral, de l'exercice qu'ils ont donné à leurs talents. Nous voudrons savoir aussi quelle a été la destinée de ces livres, quel accueil ils ont reçu, comment ils ont été jugés par les contemporains et par la postérité, quelles contradictions ou quelles condamnations ils ont essuyées, quels autres malheurs ils ont subis, tels que les mauvaises traductions et les fastidieux commentaires. Entrant ensuite dans l'examen du fond de ces ouvrages, nous reconnaîtrons les parties d'histoire qui s'y trouvent exposées, les sources, les caractères, l'esprit et les formes des récits, en y appliquant les règles de critique, les principes de littérature et de philosophie qui doivent dominer et féconder le genre historique. Plusieurs morceaux mériteront d'être particulièrement étudiés; et il s'offrira de temps en temps des difficultés à résoudre; non pas celles qui ne tiendraient qu'à la grammaire ou à des circonstances minutieuses, mais celles qui concerneraient

« PreviousContinue »