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dans les années suivantes; en sorte que sa correspondance s'étend ici sur quarante-neuf ans, au lieu de vingt-sept seulement qu'elle avoit d'abord embrassés. Telle est sur-tout une Lettre précieuse, moins encore parce qu'elle étoit presque inconnue, que par le

moment même où elle fut écrite. C'étoit environ huit jours avant la mort de Madame de Sévigné. Ces lignes pathétiques sont probablement les dernières qu'ait tracées sa main déjà languissante on peut les appeler le chant du cygne. Car n'y a-t-il que les Poëtes qui chantent? et quelle musique plus douce que la prose de notre Sévigné !

Mais pour compléter cette Édition, falloitil compiler jusqu'au moindre billet échappé à sa plume facile? Son génie ne s'est-il pas endormi quelquefois? Son imagination étoitelle également sollicitée dans tous les momens, par tous les sujets et par toutes les personnes ? Non sans doute. Aussi n'admeton ici aucune Lettre qui n'offre quelque trait de sa charmante manière. On n'a pas craint de retrancher ce qui a paru sans intérêt ou répété en d'autres endroits.

L'intérêt qu'inspire Madame de Sévigné se réfléchit sur tout ce qui lui fut attaché, sur ses amis, et principalement sur sa fille.

Madame de Grignan avoit, à en croire sa mère, un esprit supérieur, ou au moins trèsdifférent du sien, à juger par ce qui nous en reste. Aussi les unissons-nous volontiers dans nos entretiens, soit pour opposer, soit pour préférer l'une à l'autre ; comparaison à laquelle il manque d'être éclairée par une égale connoissance des deux sujets. De là une vive curiosité pour les Lettres de Madame de Grignan. On nous saura gré d'en joindre, à celles qui se trouvent dans les Éditions antérieures, quelques-unes qui ne méritoient pas moins de voir le jour, n'en jugeât-on que par celui à qui elles s'adressent, le célèbre BussyRabutin, homme auquel on n'eût pas écrit, sans se servir de tout ce qu'on avoit de goût et d'agrément.

Les autres amis de Madame de Sévigné étoient des personnes tellement remarquables par leur esprit, que le goût se plaît à voir leur style figurer à côté du sien. De telles nuances font valoir les couleurs sans nuire à leur harmonie. Ceux qui les premiers ont mis quelques Lettres des la Fayette et des Coulanges, à la suite de celles de leur amie, ne pouvoient manquer de réussir. L'Éditeur espère ici le même accueil pour des additions qui ont le même hut. Si on a rencontré avec

plaisir l'enjoué Coulanges dans ce Recueil pourquoi n'y appeleroit-on pas aussi BussyRabutin, habile à revêtir des idées justes et ingénieuses d'une diction élégante, pure et concise? Nous insérons, soit en entier, soit par fragmens, plusieurs de ses Lettres les plus dignes de soutenir le voisinage des Lettres de sa Cousine. Ce n'est pas tout. Bussy et Madame de Sévigné avoient un ami commun, Corbinelli, qui souvent écrivoit au premier dans les Lettres de l'autre. Ses apostilles ou Post-scriptum sont dictés par une raison assaisonnée de saillies et ornés d'une érudition choisie. On a complété la correspondance par plusieurs de ces fragmens qui avoient été jusqu'ici négligés. C'est une figure de plus dans le groupe, et qui l'achève, loin de le déparer.

Il semble d'ailleurs que rapprocher les Lettres de quelques hommes d'esprit de celles d'une femme, c'est fournir au Lecteur l'occasion de plus d'une remarque piquante.

Les femmes ont, dit-on, plus que nous, le talent épistolaire, Soit qu'on leur conteste ce privilége naturel, soit qu'on veuille l'expliquer, on aime à mettre en balance l'énergie ou l'urbanité qui nous sont propres, avec le feu vif, la délicatesse, la légèreté, les manières fines et aisées qu'on ne trouve que chez

elles. On se pique de distinguer dans une lettre ce qui est du sexe, ce que la plume d'une femme trouve de mâle éloquence, comme aussi ce qui, dans les lettres d'un homme, tient de l'amabilité féminine, et ressent, en quelque sorte, le souffle des Grâces.

Qu'une femme écrive à un homme ou bien à une autre femme, à son ami ou à son amie, ce ne sera pas le même langage : les sujets seront autres ; le talent aura d'autres formes : l'âge même n'efface point l'empreinte des sexes. Ne la distingue-t-on pas jusques dans la conversation? devant des hommes, les femmes ne causent pas comme entre elles et le commerce épistolaire est-il autre chose qu'une conversation?

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C'est déjà un moyen de faire ressortir cette diversité de touches, que de rassembler, pour ainsi dire, dans le même cadre, des tableaux de diverses mains.

I I.

Ordre nouveau.

Les Lettres de Madame de Sévigné à sa fille avoient bien été publiées dans l'ordre de leurs dates. Mais pourquoi ne pas ranger dans le même ordre toutes celles qu'elle adresse à

d'autres personnes, et celles de ses amis? Il est étonnant qu'on ne se soit pas avisé de généraliser cet arrangement naturel. Aussi le vœu en a-t-il été publiquement exprimé par un Littérateur (1) dont on reconnoît le bon goût au zèle qu'il montre pour la gloire de notre Au

teur. Ainsi toutes les Lettres sont ici distribuées suivant l'ordre des tems; ensorte que --celles de la mère à la fille, font place au milieu d'elles, aux Lettres à ses amis ou aux réponses mêmes de ceux-ci ; que telles de ces dernières, au lieu d'être rassemblées, se trouvent maintenant éparses; que d'autres qui avoient été renvoyées aux derniers volumes, paroissent dans les premiers, et qu'enfin, au lieu de cinq Recueils séparés et sans liaison entre eux (2), on n'aura plus qu'une seule et grande collection beaucoup mieux ordonnée.

Outre sa convenance générale, ce système

(1) M. Barbier, Bibliothécaire du Conseil d'Etat, inséra dans le Magasin encyclopédique, un article très-judicieux sur l'édi tion des Lettres de Sévigné donnée en l'an IX par feu M. de Vauxcelles. On a profité de plusieurs de ses remarques.

(2) Ces cinq recueils étoient, 1o. les Lettres de la mère à la fille; 2°. le choix de Lettres diverses; 3°. les Lettres au Président de Moulceau ; 4°. les Lettres à M. de Pompone. Ce Recueil d'un tems antérieur aux trois autres, se trouvoit le dernier; 5. Enfin, les Lettres à M. de Bussy-Rabutin qui n'ont pas même été complètement rassemblées.

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