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» ignore, qu'à les apprendre; et bien qu'elle con>> tienne en effet beaucoup de préceptes très-vrais » et très-bons, il y en a toutefois tant d'autres » mêlés parmi, qui sont ou nuisibles ou super» flus, qu'il est presque aussi malaisé de les en » séparer que de tirer une Diane ou une Mi>> nerve hors d'un bloc de marbre qui n'est point >> encore ébauché. Puis pour l'analyse des an>> ciens et l'algèbre des modernes, outre qu'elles » ne s'étendent qu'à des matières fort abstraites >> et qui ne semblent d'aucun usage, la première >> est toujours si astreinte à la considération des >> figures, qu'elle ne peut exercer l'entendement >> sans fatiguer beaucoup l'imagination; et on » s'est tellement assujetti en la dernière à cer>> taines règles et à certains chiffres, qu'on en a >> fait un art confus et obscur qui embarrasse l'esprit au lieu d'une science qui le cultive ce qui >> fut cause que je pensai qu'il fallait chercher

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quelque autre méthode, qui, comprenant les

» avantages de ces trois, fût exempte de leurs >> défauts. »

Il se livre alors à des méditations intenses qui absorbent ses pensées pendant les journées silencieuses et les longues nuits d'hiver. Enfin, dans

une de ces heures fortunées et fécondes où le génie recueille le fruit de ses efforts, il découvre la méthode applicable à toutes les sciences, la vraie, l'unique méthode sans laquelle il n'y a pas de science véritable. Cette méthode est celle qu'emploient les sciences mathématiques, ou plutôt c'est l'esprit de cette méthode, le procédé fondamental et universel auquel elles servent d'enveloppe (1). La vraie science, en effet, est celle du nécessaire et de l'absolu, et on ne connaît les vérités nécessaires et absolues que par l'intuition rationnelle et la déduction à priori. La vraie méthode est donc celle qui décompose les difficultés, c'est-à-dire les propositions complexes en propositions plus simples, et celles-ci à leur tour en d'autres encore plus simples, jusqu'à ce que l'esprit se trouve en face de vérités parfaitement claires, dont il saisit à priori le caractère nécessaire et absolu ; et qui ensuite combine ces vérités simples, et les ajoute les unes aux autres de manière à reformer par la synthèse des propositions complexes qui alors se présentent comme des vérités nécessaires, éternelles, immuables, absolues. La vraie méthode

(1) Cf. Disc. de la Méth. et Règles pour la direction de l'esprit. OEuvr., XI, p. 219 sqq.

est donc la synthèse à priori, précédee et éclairée par l'analyse. Elle est employée par les mathématiques; mais elle doit franchir le cercle étroit de ces sciences et s'appliquer à toutes les autres, aux sciences de la nature, à la science de l'homme, à la science de Dieu. Puisqu'il n'y a de science que celle du nécessaire et de l'absolu, il faut en toute question remonter jusqu'aux notions qui ont ce caractère, et les enchaîner ensuite les unes aux autres par des rapports également nécessaires. Tant qu'on n'est pas arrivé là, on n'a fait autre chose qu'aller puiser l'ignorance à une source plus haute; quand on a atteint ces sommets lumineux, l'esprit se repose satisfait dans la clarté et la sérénité de l'idée pure. La méthode expérimentale ou inductive n'est que l'auxiliaire, la servante de l'analyse; elle sert à retrouver le simple sous le complexe, le nécessaire sous le contingent, l'absolu sous le variable et le conditionnel; elle prépare la synthèse à priori.

Ici se montre la nécessité de signes simples et distincts, pour désigner les notions simples et parfaitement claires, et permettre de les enchaîner sans fatigue les unes aux autres. A la hauteur où il s'est élevé, Descartes se rend compte de la vraie nature du langage; et, en particulier, il voit quelle

est la véritable essence de l'algèbre et quels sont les changements qu'il faut lui faire subir pour la rendre ce qu'elle doit être. Il va donc faire de cette science une langue d'une clarté parfaite (en la débarrassant de tous les signes confus qui l'obscurcissent), et, en même temps, une langue universelle, capable d'exprimer tous les rapports des grandeurs en général, applicable, par conséquent, aussi bien aux sciences qui s'occupent du mouvement et de l'étendue qu'à celles qui s'occupent des nombres. C'est donc alors que Descartes invente l'application de l'algèbre à la géométrie, et crée une science nouvelle qui ajoute à la puissance de l'esprit humain. Cette invention est une conséquence, un corollaire de la découverte de la vraie méthode, et celle-ci une conséquence des plus hautes conceptions métaphysiques. Aussi M. Biot (1) est-il obligé de reconnaître, en parlant de l'application de l'algèbre à la géométrie ou analyse que << Descartes fut servi beaucoup en cette >> occasion par la métaphysique de son esprit. >>

Nous pouvons fixer non-seulement l'année mais le jour de ces deux admirables inventions, celle de la méthode et celle de l'application de l'algèbre simplifiée et généralisée aux problèmes de la géo(1) Biogr. univ., art. Desc.

métrie. Descartes dit, en effet, dans ses Olympiques (1) que, le dix novembre 1619, il trouva les fondements d'une science admirable qui le remplit d'enthousiasme; et ce témoignage, rapproché de celui de la seconde partie du Discours, montre que c'est ce jour-là qu'il découvrit sa Méthode et son Analyse.

Ses méditations opiniâtres et profondes, récompensées par de pareils succès, le jetèrent donc dans l'enthousiasme, et lui mirent le feu au cerveau. Ecoutons-le, raconter ce qui se passa alors en lui. Un tel phénomène psychologique et physiologique, chez un pareil homme, vaut la peine d'être médité, et le récit doit en être recueilli dans tous ses détails. Nous empruntons ce récit à Baillet qui l'a écrit en ayant sous les yeux le manuscrit autographe des Olympiques.

Descartes nous apprenait donc, dans ses Olympiques, que, le 10 novembre 1619, s'étant couché tout rempli de l'enthousiasme que lui inspirait la découverte des fondements d'une science admirable (2), il eut dans la même nuit trois songes

(1) V. Inéd., I, p. 9, et Baillet, I, p. 51, 81. Cf. Disc. de la Méth., part. II.

(2) X novembris cùm plenus forem enthusiasmo et mirabilis scientiæ fundamenta reperirem (Inédits). Cf. Baillet.

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