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trigues, d'événements inattendus, ne lui demandait qu'un jour de travail, et l'on affirme qu'il fit ainsi plus de cent pièces. Ce poëte, qui avait de bonnes scènes dans de mauvais drames, possédait une imagination inépuisable, mais peu réglée : c'est un mélange du beau et de l'absurde, du sublime et du travail, avec une rare facilité pour manier le dialogue. Lope de Vega composa mille huit cents pièces tragi-comédies héroïques ou de cape et d'épée, des comédies, et quatre cents auto sacramentales ou mystères religieux. Trois cents de ces pièces seulement furent imprimées à Madrid, de 1609 à 1617, en vingt-cinq volumes. Surnommé le Phénix de l'Espagne, le Prodige de la nature, Lope de Vega reçut d'Urbain VIII, ami des lettrés et poëte lui-même, la croix de Malte, avec le titre de docteur en théologie; il gagna par ses travaux autant d'argent que de gloire, mais sa bourse était celle des artistes, des pauvres. Cet auteur dramatique était acclamé par la foule quand il paraissait dans les rues; les enfants mêmes le suivaient avec des cris de joie. (On est étonné de ces enthousiasmes, qui intéressent toujours.) L. de Vega finit en 1635, quand apparaissait Corneille; ses obsèques furent célébrées avec une pompe toute royale, et ses œuvres furent représentées dans sa patrie jusqu'à la fin du dix-huitième siècle.

Guilhem de Castro donne, de 1623 à 1625, deux volumes de pièces, parmi lesquelles on distingue deux comédies sur don Quichotte, et la jeunesse du Cid, qui a fourni à Pierre Corneille quelques détails sur ce sujet des temps héroïques de l'Espagne.

Le Diamante donna aussi une tragédie sur le Cid, qu'il appela El honrador de su padre (le vengeur de l'honneur de son père). Dans son Examen du Cid, notre

grand tragique reconnaît qu'il a fait des emprunts au théâtre espagnol.

Michel Cervantes, le plus célèbre écrivain de son pays, né dans la Nouvelle-Castille, travailla pour le théâtre, et y donna une trentaine de comédies plus régulières, plus morales que celles de l'époque, mais toujours compliquées d'incidents romanesques et fantastiques. La première partie de don Quichotte parut en 1605: toute la nation lut avec entraînement cette forte et ingénieuse parodie de l'existence et des mœurs chevaleresques, qu'on avait admirées jusqu'alors: c'est une épopée comique, dont la fable est aussi simple qu'originale; un monument unique d'imagination, de jugement et de style. Cependant la cour ne donna rien à Cervantes; il ne fut aidé dans son dénûment que par l'archevêque de Tolède, et le vice-roi de Naples.

Calderon de la Barca, né à Madrid (1601-1681), contemporain de Pierre Corneille, compose sa première pièce à 14 ans; engagé dans la vie militaire, il continua de cultiver la poésie au milieu des camps; Philippe IV l'ayant distingué, l'appela à la cour en 1636, le combla de faveurs, et fournit aux dépenses nécessaires pour la représentation de ses pièces. En 1651, Galderon entra dans les Ordres, et il n'écrivit plus que des scènes religieuses sa vie, comme celle de son prédécesseur L. de Vega, ne fut qu'une suite de triomphes, et, dit-on, il composa plus de mille drames, mais on n'en a conservé qu'une partie. Noble, fécond, varié, ce poëte perfectionna les formes de L. de Vega, et tous les théâtres de l'Europe ont puisé dans ses compositions; on a remarqué sa tragédie d'Héraclius, sujet traité par Corneille; l'Alcade de Zalaméa, imitée par Collot d'Herbois. Ge vrai talent chrétien fut la dernière étincelle du

génie espagnol, emporté dans une prompte décadence, en littérature comme en politique. Calderon est resté populaire dans sa patrie, comme Shakespeare l'est en Angleterre; cet auteur, dont l'Espagne a célébré le second centenaire en juin 1881, éleva surtout à la perfection les drames religieux, qui depuis le treizième siècle, faisaient les délices de sa nation: ils étaient représentés avec pompe dans les villes, même dans les villages pour les fêtes de Noël, de la Semaine sainte, du saint. Sacrement, tels furent la dévotion à la Croix, le purgatoire de saint Patrice. « Calderon ne peint l'amour que >> avec des traits familiers, écrit Schlegel, l'éminent criti» que de l'Allemagne, il ne lui fait parler que la langue » poétique de l'art, mais la religion est l'amour qui » lui est naturel : c'est le cœur de son cœur, et c'est par » la religion seulement, qu'il met en branle les ressorts » qui remuent et émeuvent l'âme profondément. Cet >> homme heureux s'est vu libre du malheur et de la » peste du doute, en se réfugiant dans l'asile de la foi, >> d'où il contemple et dépeint les tempêtes du monde, » avec une sérénité que rien ne saurait troubler. » Aussi un tel poëte fut-il peu apprécié de notre philosophique dix-huitième siècle.

Malgré la gravité proverbiale de l'Espagne, et la douce harmonie de la langue portugaise, ces peuples adaptaient dans leurs tragi-comédies des scènes bouffones et vulgaires; cet usage existe toujours chez la forte race anglaise, où Shakespeare a de grosses plaisanteries, à côté de pages sublimes d'énergie et de délicatesse. Ce vice s'est glissé dans nos premiers opéras, mais Quinault purifia bientôt ce genre de notre théâtre, qui a maintenant tant d'éclat et de succès. La société française avait appris la langue de l'Italie, dans ses ex

péditions en ce pays sous les Valois, et par des alliances avec la famille artistique des Médicis; la langue de Charles-Quint était répandue en Europe, comme le français après la gloire de notre dix-septième siècle : l'espagnol fut parlé dans les cours d'Autriche, de Bavière, de Bruxelles, de Milan, de Naples; le mariage de Louis XIII avec la fille de Philippe III, celui de Louis XIV avec la fille de Philippe IV, mirent la langue de Madrid à la cour de France. « Lorsque Corneille donna le Cid, écrit Voltaire, les Espagnols avaient sur tous les théâtres la même influence que dans les affaires publiques; leur goût dominait ainsi que leur politique. En Italie même, leurs comédies, leurs tragi-comédies obtinrent la préférence, chez une nation qui avait l'Aminte et le Pastor Fido, et qui était la première, qui eût cultivé les arts. La plupart de nos comédies étaient imitées du théâtre de Madrid. Les pièces italiennes du seizième siècle étaient de belles déclamations imitées du grec, mais peu faites pour toucher le cœur. >>

de Corneille.

- Préface du théâtre

Toute cette littérature du midi de l'Europe est peu connue en France, surtout avec notre système de ne nous occuper que de celle de notre nation; mais pendant qu'elle s'épanouissait avec un certain éclat, la langue française était à peine créée; ce n'est qu'au dix-septième siècle qu'elle prit des formes arrêtées et exactes : les vers de Malherbe lui donnèrent pureté, harmonie; elle reçut noblesse et correction dans la prose de Descartes et de Balzac. Il était donc utile de rappeler les lettres italiennes et espagnoles avant d'étudier celles du siècle de Louis XIV, qui les surpassent dans presque tous les genres, surtout dans la tragédie, et dans l'éloquence chrétienne. Nous devons aussi ne pas négliger la solidarité des races la

tines, différentes de celles du nord et du centre de l'Europe.

ORIGINES DE LA POÉSIE. DU THÉATRE EN FRANCE.

Ce n'est qu'au dix-neuvième siècle, qu'on s'est occupé réellement des origines de la langue française. M. Villemain et les littérateurs de son école, ont recherché les débuts de notre littérature au moyen âge. Le plus ancien monument de notre langue est le Le Serment de Louis le Germanique en 842, et la réponse du peuple; mais la poésie fut le berceau de notre langue,, comme celui de tous les idiomes du monde : il y eut un poëme sur Boëce, ami malheureux du conquérant Théodoric, plus tard des vers religieux des Vaudois. La France du Midi eut, du onzième au treizième siècle, les troubadours (du mot troubar trouver, inventer), qui cultivérent surtout le genre lyrique; leurs poésies, courtes d'ailleurs, se composaient de sirventes, plaincts, tensons sur l'amour et la chevalerie. « L'idiome provençal, qui >> était celui des troubadours, nos plus anciens poëtes, » a écrit Laharpe, est le premier que la poésie ait » parlé, et même avec succès, pendant plusieurs siè»cles. Ils nous donnèrent la rime, soit qu'ils en fus>> sent les inventeurs, soit qu'ils l'aient empruntée des >> Maures d'Espagne, comme on le croit avec d'autant » plus de vraisemblance, que la rime chez les Arabes » était de la plus haute antiquité; on sait d'ailleurs » que ces peuples conquérants, lorsqu'ils passèrent

d'Afrique dans le midi de l'Europe au huitième siè»cle, la trouvèrent entièrement barbare; ils portèrent » dans les climats méridionaux le goût de la poésie » galante, avec quelque teinture des sciences et des

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