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L'arrivée du chœur termine le prologue de la scène, où bientôt apparaît Hercule.

Les Suppliantes d'Euripide, sur la sépulture des Argiens tués au siège de Thèbes sous le roi Créon, ont de la ressemblance avec la pièce d'Eschyle. Euripide a écrit aussi une Thébaïde sous le titre de Phéniciennes; il traita la légende de la magicienne Médée, qui a été imitée par tant d'auteurs, sur tous les théâtres anciens et modernes ; il donna Hélène, Oreste, les Héraclides, Hippolyte; ses parties remarquables se trouvent surtout dans les Troyennes rendues par Châteaubrun, dans Andromaque rappelée avec tant de talent et de charme par Racine. Hécube prisonnière, contient des discours qui ont fait donner à Euripide le titre d'orateur par Quintilien.

Ulysse demande à l'épouse de Priam la princesse Polyxène, dont l'ombre d'Achille réclame le sacrifice, pour que les Grecs puissent sortir de la Thrace. Hécube rappelle alors au roi d'Ithaque, qu'étant venu comme espion pendant le siège de Troie, et y ayant été reconnu par Hélène, elle lui a sauvé la vie :

Souviens-toi de ce jour où, d'une voix tremblante,
Et pressant mes genoux d'une main suppliante,
Pâle et défiguré par l'effroi de la mort,
A ma seule pitié, tu remettais ton sort.
Je reçus ta prière, et j'épargnai ta vie;
Je te fis échapper d'une terre ennemie.

Tu dois à mes bontés ce jour qui luit pour toi,
Et tu peux à ce point être ingrat envers moi!
Ulysse outrage ainsi ma fortune abattue!

S'il vit, c'est par moi seule et c'est lui qui me tue!
Il m'arrache ma fille! Ah! cruel! et pourquoi?

Quel dieu vous a dicté cette exécrable loi?
Est-ce Achille aujourd'hui qui veut une victime,
Dont les månes vengeurs s'arment contre le crime?
Eh bien! sacrifiez à l'ombre d'un héros

L'auteur de son trépas, l'auteur de tant de maux :
Sacrifiez Hélène, odieuse furie,

Et non moins qu'aux Troyens, fatale à sa patrie.
Si d'une offrande illustre, Achille est si flatté,
S'il veut voir sur sa tombe immoler la beauté,
Hélène à qui les dieux l'ont donnée en partage,
Remporte sur nous ce funeste avantage;
Hélène est plus coupable et plus belle à la fois...
Eh quoi! pour des captifs désarmés et soumis,
Serez-vous plus cruels que pour vos ennemis ?
Parlez, révoquez l'arrêt de l'injustice:

La Grèce vous écoute, et doit en croire Ulysse.

Alceste, modèle de tendresse conjugale, a offert sa vie aux Parques pour conserver celle d'Admète, roi de Thessalie; la nature, l'affection, sont exprimées d'une manière admirable dans les derniers moments de l'héroïne grecque :

Cher Admète, je touche à mon heure suprême,
Voyez ce que j'ai fait pour un époux que j'aime;
Pour vous sauver le jour je me livre à la mort,
Et ma seule tendresse a voulu cet effort.
Je pouvais, jeune encore, et veuve couronnée,
Aspirer aux liens d'un nouvel hyménée;
Mais je n'ai pas voulu survivre à vos destins,
Pour nourrir dans le deuil des enfants orphelins.
Ma vie est par mon choix éteinte à son aurore:
Vos parents à leur fils se devaient plus encore:
Vous étiez leur seul bien. Par l'âge appesantis,

Ils n'avaient pas le droit d'espérer d'autres fils;
Et si votre bonheur eût fait leur seule envie,
Vous pouviez conserver votre épouse et la vie...
Il faut nous séparer la mort qui me menace,
N'admet point de délai, n'accorde point de grâce.
Adieu, mes chers enfants! adieu! mon cher époux!
Vous que j'ai tant aimés, vivez; souvenez-vous
Qu'Alceste à cet amour appartint tout entière;
Fut la plus tendre épouse, et la plus tendre mère.

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Quinault a mis cette mort en opéra; Lagrange-Chancel l'a traitée avec faiblesse en 1708. - Racine, qui avait encouragé les débuts de ce dernier poëte, trouvait heureux le dévouement d'Alceste, et il était tenté de le reproduire, mais il faut bien des efforts pour intéresser, avec un sujet aussi simple, la scène pendant cinq actes.

Iphigénie en Aulide d'Euripide, est l'une des tragédies de l'antiquité, où les sentiments aient été portés à la plus haute perfection, et notre Racine trouva le moyen d'embellir et de multiplier encore les beautés de ce chefd'œuvre, dans le rôle d'Achille ardent et impétueux. Celui d'Iphigénie mérite d'être étudié, écoutons le poëte grec :

« O mon père, si j'avais la voix persuasive d'Orphée, » pour me faire suivre des rochers en chantant, et adou>> cir qui je voudrais par mes paroles, ce serait là mon >> refuge, mais je n'ai d'autre science que mes larmes; >> voilà tout ce que je peux. Comme une suppliante, je >> presse contre tes genoux ce corps, que celle-ci a mis >> au monde pour toi. Ne me fais pas mourir avant le

temps, il est doux de regarder la lumière, ne me force >> pas de voir les abîmes souterrains. La première, je >> t'ai nommé mon père, et tu m'appelas ta fille; la pre

>> mière, penchée sur tes genoux, je t'ai donné de douces » caresses, et j'en ai reçu de toi. Tu me disais, alors: » O ma fille, te verrai-je quelque jour dans la maison >> d'un puissant époux, heureuse et florissante, comme >> il est digne de moi? - Et moi, je te disais, suspendue » à ton cou, et pressant ta barbe, que je touche en»core: «Te recevrais-je vieillissant, ô mon père, dans >> la douce hospitalité de ma maison, pour te rendre les >> soins qui m'ont nourrie dans mon enfance? Je garde » la mémoire de ces paroles, mais tu les as oubliées, et » tu veux me faire mourir? N'achève pas, au nom de » Pélops, et de ton père Atrée, et de ma mère qui souffre >> en ce moment, une douleur égale à celle de l'enfan»tement. Qu'y a-t-il, entre moi, et les noces d'Hélène » et de Pâris! D'où est-il venu pour ma perte? Tourne » les yeux vers moi : donne-moi un regard et un baiser, >> afin qu'en mourant, j'emporte ce gage de toi... » Euripide termine par cette pensée trop réaliste : «< Une >> vie malheureuse est préférable à la plus belle mort. >> Tous connaissent les vers classiques de Racine :

Mon père!

Cessez de vous troubler, vous n'êtes pas trahi;
Quand vous commanderez, vous serez obéi.
Ma vie est votre bien; vous voulez le reprendre.
Vos ordres sans détour pouvaient se faire entendre.
D'un œil aussi content, d'un cœur aussi soumis.`
Que j'acceptais l'époux que vous m'aviez promis.
Je saurai, s'il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Chalchas une tête innocente;
Et, respectant le coup, par vous-même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m'avez donné.
Si pourtant ce respect, si cette obéissance,

Paraît digne à vos yeux d'une autre récompense:
Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis.
J'ose vous dire ici qu'en l'état où je suis

Peut-être assez d'honneurs environnaient ma vie
Pour ne pas souhaiter qu'elle me fût ravie...

La prière de l'Iphigénie d'Euripide est touchanté; l'héroïsme de notre poëte a de plus la résignation de la jeune chrétienne.

Iphigénie en Tauride d'Euripide, est également admirable, et Guimond de la Touche nous l'a rendue avec talent.

Racine, dans ses préfaces, nous dit lui-même qu'il a dressé le plan de ses Frères ennemis sur les Phéniciennes d'Euripide; que dans Andromaque, il a emprunté du poële athénien, la jalousie et les emportements d'Hermione. Au début de la Préface de Phèdre, Racine écrit encore: « Voilà une tragédie dont le sujet est pris d'Euripide (Hippolyte), quoique j'ai suivi une route un peu différente de celle de cet auteur, je n'ai pas laissé d'enrichir ma pièce, de tout ce qui m'a paru le plus éclatant dans la sienne » Dans celle d'Iphigénie, le poëte de Louis XIV répète : « J'avoue que je lui dois (à Euripide) un bon nombre des endroits qui ont été le plus approuvés dans ma tragédie; et je l'avoue d'autant plus volontiers, que ces approbations m'ont confirmé dans l'estime et dans la vénération que j'ai toujours eues pour les ouvrages qui nous restent de l'antiquité. J'ai reconnu avec plaisir par l'effet qu'a produit sur notre théâtre tout ce que j'ai imité d'Homère et d'Euripide, que le bon sens et la raison étaient les mêmes dans tous les siècles. Le goût de Paris s'est trouvé conforme à celui d'Athènes; les spectateurs ont

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