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Et que son corps sanglant, privé de sépulture,
Des vautours dévorants devienne la pâture!

Plus loin, OEdipe s'emporte contre le grand prêtre, qui répond:

Vous apprendrez trop tôt votre funeste sort:

Ce jour va vous donner la naissance et la mort.
Vos destins sont comblés : vous allez vous connaître.
Malheureux! savez-vous quel sang vous donna l'être ?
Entouré de forfaits à vous seul réservés...

Ce funèbre sujet a été traité par Sénèque, par Pierre Corneille, par Voltaire, qui seul a réuni les suffrages, et par M.-J. Chénier. De nos jours, le Théâtre français a représenté avec succès l'Edipe-Roi de Sophocle.

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2° OEdipe à Colonne est l'expiation des crimes d'OEdipe par ses malheurs, et sa réconciliation avec les dieux, qui lui accordent une mort paisible dans un sanctuaire où l'a guidé sa fille, la pieuse Antigone. Cette pièce a été imitée par Ducis, M.-J. Chénier, et mise par Guillard de Chartres (1752-1814) en un opéra qui a réussi sur la scène.

3o Antigone, est le dévouement de cette fille d'OEdipe, pour son frère Polynice, à qui Créon refuse les honneurs de la sépulture. Sénèque et Stace ont traité ce sujet dans leurs divers poëmes de la Thébaïde, sur la lutte des frères ennemis. Le vieux Garnier, de Rotrou, Alfiéri ont mis avec succès sur le théâtre cet épisode touchant, où le poëte grec s'était peint dans ces paroles : « Je suis né, non pour partager la haine, mais pour partager l'amour. >>

4° Les Trachiniennes, ou la mort d'Hercule sur le mont OEta, près de Trachine, causée par la jalousie de

Déjanire, et la robe fatale de Nessus. L'Hercule mourant de Sénèque, et celui de Rotrou, sont des imitations médiocres des pages dramatiques de Sophocle. M. V. Leclerc a donné une éloquente reproduction de la scène d'Hercule empoisonné par le vêtement funeste :

Quoi! je verse des pleurs!

Des pleurs efféminés trahissent mes douleurs!
Jamais dans ses revers, dans ses jours de détresse,
Hercule a-t-il connu cette indigne faiblessse?
Je cède à mes tourments... Mon fils, viens contem-
[pler]
Tous les maux dont les dieux ont voulu m'accabler.
Je ne suis plus qu'une ombre, inutile à la terre:
Par pitié, roi des dieux, arme-toi du tonnerre!
Foudroie, anéantis ce corps que je te dois;
C'est le premier bienfait que j'implore de toi.
Le mal, à chaque instant, redoublant de furie,
Va chercher dans mon sein les restes de ma vie.....

5o Ajax furieux, ou désespoir et suicide de ce héros vaincu par Ulysse, dans l'héritage des armes d'Achille. Dans une scène déchirante, la principale de la pièce, le héros implore le retour de Teucer son frère, pour qu'il lui rende les honneurs de la sépulture, auxquels tenaient tant les anciens, et fait entendre des imprécations que tous alors, regardaient comme funește. Le guerrier fait ses adieux au foyer de ses pères, à sa mère désolée, à sa patrie.

Oui, le glaive est tout prêt; il ya finir ma vie.
Enfoncé dans les flancs d'une terre ennemie,
Placé dans des rochers où l'a fixé ma main,
Il présente la pointe où s'appuiera mon sein.

4

1

Ce don d'un ennnemi que la Grèce déteste,
Ce fer, présent d'Hector, devait m'être funeste.
De Teucer en ces lieux, dieux! hâtez le retour!
«Que Teucer me retrouve, et qu'il rende à la terre
Le cadavre sanglant de son malheureux frère,
De peur qu'un ennemi prévenant ses secours
Ne m'abandonne en proie aux avides vautours;
Que le fils de Maïa qui, sur les rives sombres,
Des pavots de son sceptre endort les tristes ombres,
Dans le dernier sommeil suspendant mes ennuis,
Y plonge mollement mes mânes assoupis...
Je vous invoque ici, puissantes Euménides!
Voyez ce que m'ont fait les injustes Atrides.
Auteur de tous mes maux, leur superbe mépris
Insulte à mon trépas: payez-leur-en le prix.
Qu'ainsi que par mes mains ma vie est terminée,
La main de leurs parents tranche leur destinée !
Que les Grecs soient punis, et leur camp ravagé...
Soleil, arrête-toi dans ta course divine.

Détourne tes chevaux aux murs de Salamine;
Raconte à Télamon chargé du poids des ans,
Et les destins d'Ajax, et ses derniers moments:
Oh! combien ce récit va frapper sa vieillesse !
Oh! qu'il va de ma mère affliger la tendresse.
J'entends ses cris perçants, sa lamentable voix;
Je te parle, ô soleil, pour la dernière fois.
Pour la dernière fois, mon meil voit ta lumière...
O jour! O Salamine! ô terres paternelles !
Fleuves sacrés, et vous, mes nourrices fidèles!
Noble peuple d'Athènes, à mon sang allié!
Troie, où pour malheur les dieux m'ont envoyé,
Vous que ma voix appelle à ma dernière heure,
Recevez mes adieux; il est temps que je meure,

Que je termine enfin ma plainte et mes revers,
Mon ombre va chercher du repos aux enfers.

Ces regrets que j'abrège un peu, sont faits pour plaire dans tous les pays, le nom d'Athènes exprimé avec délicatesse devait impressionner les auditeurs de Sophocle; mais le sujet étant peu susceptible de développement, n'a été remis sur la scène que par M. Poinsinet de Sivry.

6o Electre, ou la vengeance de la mort d'Agamemnon par celle de Clytemnestre et d'Egisthe: c'est le même sujet que les Cléophores d'Eschyle, et l'Electre d'Euripide. Sophocle qui, dans le début d'Antigone, fait contraster la fermeté généreuse de cette fille d'OEdipe, avec la faiblesse de sa sœur Ismène, a reproduit ce genre de beauté dans Electre la timidité de Chrysothémis est opposée à ses fiers et tendres sentiments. Dans les vers qui suivent, Electre tient dans ses bras l'urne qu'elle croit contenir les cendres d'Oreste :

O monument sacré du plus cher des humains!
Cher Oreste, est-ce toi que je tiens dans mes mains?
O toi dont mes secours ont protégé l'enfance,
Toi que j'avais nourri dans une autre espérance,
Est-ce ainsi que pour moi depuis longtemps perdu,
Mon frère à mes regards devait être rendu?
Je devais donc de toi ne revoir que la cendre?
Ah! qu'il eût mieux valu dans l'âge le plus tendre,
Périr avec ton père, hélas ! et du berceau
Descendre à tes côtés dans le même tombeau!
Et maintenant tu meurs, ô victime chérie,
Sous un ciel étranger, et loin de ta patrie,
Loin de ta sœur!... et moi je n'ai pu sur ton corps,
Prodiguer les parfums, les ornements des morts!

D'autres ont pris pour toi les soins que j'ai dû

[prendre;
D'autres sur le bûcher ont recueilli ta cendre!
Ces débris précieux, on les porte à ta sœur,
Dans une urne vulgaire, enfermés sans honneur!
O malheureuse Electre! ô frivoles tendresses!
Inutiles travaux et trompeuses caresses!

Soigner tes premiers ans fut mon plus doux plaisir,
Et de mes propres mains j'aimais à te nourrir...
Où sont-ils ces beaux jours, ces jours si fortunés?
Ah! la mort avec toi les a donc moissonnés?
Traduction de La Harpe.

On regrette vivement de ne pouvoir étendre davantage les souvenirs de la belle poésie antique, mais cet opuscule est écrit surtout pour inspirer l'amour véritable du beau, avec le désir de le rechercher dans l'étude des livres. Le sujet d'Electre a été rendu en France par Voltaire qui l'a intitulé Oreste, à cause du rôle plus important qu'il donne à celui-ci; par Grébillon, au génie duquel convenaient les crimes des Atrides; puis par Longepierre, Ducis, A. Soumet; Guillard pour l'opéra; et aussi, par le grand littérateur italien Alfieri, mort en 1803. Ces imitations nous indiquent combien le Théâtre moderne a suivi celui des anciens tragiques; ceux-ci avaient pris la plupart de leurs sujets dans les temps héroïques de cette Grèce, si favorisée des Muses, qu'elle a dignement célébrées.

7° Philoctète, fut composé par Sophocle ayant 85 ans. Voltaire seul a écrit à cet âge sa tragédie d'Irène, dont le travail et le succès brisèrent son existence. La pièce grecque est connue surtout par l'imitation admirable que Fénelon en a faite dans le XII livre du Télémaque.

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