Page images
PDF
EPUB

mangèrent, et en préfentèrent une feffe au révérend père Brebeuf, qui, pour se tirer d'affaire, leur dit qu'il fefait maigre ce jour-là. Le révérend père Charleroi qui fut mon préfet, il y a foixante et quinze ans, au collège de Louis le Grand, et qui était un peu bavard, a conté cette aventure dans fon hiftoire du Canada.

Vous rapportez vous-mêmes que mon ami vit à Fontainebleau, en 1725, une belle fauvage du Mississipi qui avoua avoir dîné quelquefois de chair humaine. Cela eft vrai, et j'y étais; non pas au dîner de la sauvage, mais à Fontainebleau.

Vous favez, Meffieurs, ce que Juvénal rapporte des Gafcons et des Bafques qui avaient eu une cuisine semblable. Jules-Cefar, le grand Céfar notre vainqueur et notre législa teur, a daigné nous apprendre dans fon livre, (Sept. de bello gallico) que lorfqu'il-affiégeait Alexia en Bourgogne, le marquis de Critognac, homme très-éloquent, propofa aux affiégés de manger tous les petits enfans l'un après l'autre felon l'ufage. Je ne me fâche point quand on me dit que c'était la coutume de nos pères. Pourquoi donc les Juifs fe fâcheraient-ils quand on leur dit en converfation que leurs pères ont quelquefois fuivi le confeil de ce M. de Critognac ?

Voulez-vous que j'ajoute au témoignage de Cefar celui d'un faint qui eft d'un bien plus grand poids? c'eft St Jérôme. J'ai vu, dit-il, dans "une de fes lettres; j'ai vu étant jeune, dans ,, la Gaule, des Ecoffais qui, pouvant se ", nourrir de porcs et d'autres bêtes, aimaient "mieux couper les feffes des jeunes garçons " et les tetons des jeunes filles. Puis fervez... Ipfe adolefcentulus viderim in Galliâ Scotos humanis vefci carnibus, et cum pecorum et pecudum nates reperiant, tamen juvenum nates et fœminarum papillas folere abfcindere, et has ciborum delicias arbitrari. (e)

Y a-t-il donc tant à s'émerveiller, Monfieur, ou Meffieurs, que les Juifs aient fait quelquefois la même chère que nous, et que tant d'autres nations qui nous valaient bien ? Je fuis perfuadé que M. Pinto n'eft point du tout humilié qu'une femme de Samarie ait fait autrefois avec fa commère, la partie de manger leurs enfans l'un après l'autre. Cela fit un procès par-devant le roi d'Ifraël. Où avez-vous pris que les deux femmes plaidèrent devant le roi de Syrie?

(e) Lettre contre Jovinien, liv. II, pag. 53, édition de Saint Jerome in-folio, à Francfort, chez Chrift Genskium, 1684.

X X X I.

Menaces de manger fes enfans.

Vous raisonnez, je crois, un peu légèrement quand vous dites que les menaces faites par Moïfe aux Juifs qu'ils mangeraient leurs enfans n'eft pas une preuve que cela arrivait, et qu'on ne pouvait les menacer que d'une chofe qu'ils déteftaient. Dites-moi, je vous prie, de ce que Céfar menaça nos pères les magiftrats de la ville de Vannes de les faire pendre, en concluriez-vous qu'ils ne furent pas pendus, fous prétexte qu'ils n'aimaient pas à l'être? On ne vous a point dit que les mères juives mangeaflent fouvent leurs enfans de gaieté de cœur; on vous a dit qu'elles en ont mangé quelquefois : la chofe eft avérée. Pourquoi vous et moi nous mangeons-nous le blanc des yeux pour des aventures fi antiques?

X X X I I.

Manger à table la chair des officiers, et boire le fang des princes.

IL eft dit dans l'Analyfe de la religion juive et chrétienne, attribuée à Saint-Evremond, que la promeffe faite dans Ezéchiel d'avaler la chair

des vaillans, de boire le fang des princes, de manger le cheval et le cavalier à table regarde évidemment les Juifs, et que les promeffes précédentes font pour les corbeaux. M. Fréret eft de cette opinion; mais qu'importe? Je vous cite ici Saint-Euremond, parce qu'on mettait fous fon nom mille ouvrages auxquels il n'avait pas la moindre part. Vous en ufez ainfi avec mon ami. Laiffons-là tous ces vilains repas, et vivons ensemble paifiblement. Que je voudrais avoir l'honneur de vous donner à dîner dans ma chaumière avec des philofophes tolérans qui daignent y venir quelquefois! Nous ne mangerions ni le cheval ni le cavalier; nous parlerions des fottifes anciennes et modernes. Vous nous inftruiriez; vous trouveriez en nous des cœurs ouverts et des efprits dignes peut-être de vous entendre.

Χ Χ ΧΙΙΙ.

Tout ce qui fera voué ne fera point racheté, mais mourra de mort.

les

Vous accufez mon ami d'avoir dit que facrifices de fang humain sont établis dans la loi de cet execrable et déteftable peuple. Je ne me fouviens point d'avoir lu ces belles épithètes ainfi accolées. Je crois pouvoir affurer que c'eft

une

une calomnie, non pas exécrable et déteftable, mais une pure calomnie: d'autant plus que vous ne citez ni la page ni le livre. Mais il n'eft pas question ici de favoir si un écrivain a injurié et calomnié un autre écrivain à lui inconnu l'an 1771, dans un ouvrage imprimé en 1776. Il s'agit d'entendre le chapitre 27 du Lévitique, qui dit : Ce qui fera voué au Seigneur ne fera point racheté, mais mourra de mort. Ce texte eft affez clair, ce me femble, il n'y a pas à disputer. Et quand vous dites que ces facrifices font défendus ailleurs, que prouvez-vous par ce fingulier raisonnement? vous prouvez que vous avez trouvé des contradictions : c'est à vous à vous fauver de ce piége que vous vous êtes tendu. Je me retire de peur d'y tomber.

X X XI V.

Jephté.

Vous n'ofez dire nettement que, felon le texte, Jephté n'égorgea point fa fille. La chose eft conftante, trop avérée par les plus grandshommes de l'Eglife. Vous dites que peut-être cela s'expliquait d'une autre façon; que Jephté pourrait avoir mis fa fille en couvent; que Louis Capelle et dom Martin ont faifi cet Mélanges hift. Tome II. * F

« PreviousContinue »