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défendre, par les propres mains de l'octogé ́naire ou nonagénaire Moïfe et par fes lévites, il a de plus ofé étendre sa pitié fur vingt-quatre mille autres defcendans de Jacob, affaffinés environ quarante ans après, et toujours par leurs frères.

Vous croyez, ou faites femblant de croire que ces vingt-quatre mille juifs moururent de la pefte en un jour : je le fouhaite. DIEU eft le maître de choisir le genre de mort dont il veut que les hommes périffent. Mais voici le texte dans toute fa pureté.

Et l'Eternel dit à Moïfe: Saifis tous les princes du peuple, et pends-les tous à des potences, à la face du Soleil, &c..... Et on en tua ce jour-là vingt-quatre mille. (*)

Pourquoi défigurez-vous entièrement ce paffage? Ce font les princes du peuple que Moife fait d'abord pendre; et vous traduisez que Moife les affembla avec lui pour faire pendre les coupables! Vous pouvez favoir cependant que Zamri, qui fut affaffiné le premier, était un prince du peuple, dux de cognatione, chef de tribu; et que fa femme, ou sa maîtresse Cosbi, était fille du roi ou prince de Madian, Cosbi, filiam ducis Madian. Pourquoi dites-vous que ce prince et cette princeffe moururent d'une épidémie, d'une pefte qui emporta (*) Nomb. chap. XXV.

vingt-quatre mille hommes en un jour? Occifi funt, on les tua, fignifie-t-il la pefte?

N'eft-il pas vraisemblable que ces princes du peuple, tués par l'ordre exprès de Moïfe, étaient à la tête d'un grand parti contre lui, et qu'ils voulaient dépofféder un vieillard qu'on nous peint âgé de cent vingt ans, dont ils étaient laffés et jaloux; un vieillard dur et mal avifé, felon eux, qui pendant vingt années avait fait errer plus de deux millions d'hommes dans des déferts épouvantables, fans pain, fans habits, fans pouvoir seulement entrer dans cette tèrre promise, malheureux objet de tant de courses? L'auteur du livre des Nombres, quel qu'il foit, ne dit pas cela je ne le dis pas non plus; mais je soupçonne qu'on peut le foupçonner.

Voici ce qui me fait croire qu'on peut me pardonner mon foupçon : je ne recherche point quel eft l'auteur du livre des Nombres, je mets à part l'opinion du grand Newton, et celle du favant le Clerc, et celle de tant d'autres. Je ne veux point deviner dans quel esprit on écrivit ce Bemiddebar, ce livre des Nombres; je me tiens à la Vulgate reçue et confacrée dans notre fainte Eglise, et je n'ose même la citer que fur les difficultés qui regardent l'hiftoire. Je me donne bien de garde de toucher au théologique; je fens bien que cela ne m'appartient pas.

L'hiftorique me dit donc que le prince juif, nommé Zamri, couchait dans fa tente avec fa femme ou fa maîtresse, la princesse nommée Cosbi, fille du grand prince madianite, nommé Sur, lorfque Phinée, petit-fils d'Aaron et petitneveu de Moife, commença le massacre par entrer fubitement dans la tente de ces princes, que l'auteur appelle bordel, lupanar; et cet arrière-neveu de Moife eft affez vigoureux et affez adroit pour les percer tous deux d'un feul coup dans les parties de la génération, parties qui étaient facrées chez tous les peuples de ces cantons, et fur lefquelles même on fefait les fermens. Or cet affaffinat facrilége, commis par le plus proche parent de Moïse, ne nous induit-il pas à croire qu'il s'agiffait de le venger d'une cabale des princes d'Ifraël et des princes de Madian, foulevée contre le légiflateur ? C'eft ce que je laisse à juger par tout homme éclairé et impartial.

X I I.

Remarque fur le prince Zamri et fur la princeffe Cosbi, maffacrés en fe careffant.

A peine ce jeune prince et cette jeune princeffe font fi fingulièrement affaffinés, nubendi tempore in ipfo, que les fatellites de Phinée

coururent affaffiner vingt-quatre mille hommes du peuple, fans compter les princes: Occifi funt, qu'en dites-vous? Je ne fais pas ce que mon ami en a dit : il me mande

que vous le citez à faux; je n'ai point vu en effet dans ses ouvrages le paffage que vous lui imputez. Laiffez-moi juftifier mon ami, et pleurer fur ce pauvre prince et fur cette pauvre princesse maffacrés en fefant l'amour. Si vous ne les avez jamais pleurés, je vous plains. Un de vos plaisans de Paris m'exhorte à me consoler, en me difant que tout cela n'eft peut-être pas vrai : ce plaisant me fait frémir.

Χ Ι Ι Ι.

Quel fcribe écrivit ces chofes.

CE mauvais plaifant, Monfieur, m'empêche de difcuter avec vous quel fcribe a écrit le premier vos volumes juifs, dans quel temps ils ont été écrits, s'ils ont tous été dictés par le Saint-Efprit, fi jamais il ne s'eft trouvé de juif qui ait écrit fans être inspiré, comme ont fait probablement Flavien Jofephe, Philon, Onkelos, Jonathan, et les auteurs du Talmud, et mon ami Ephraïm, juif d'un grand roi, plus brave que votre David, et plus éclairé que votre Salomon.

DIEU me garde, Monfieur, de marcher avec vous fur ces charbons ardens, cachés fous des cendres trompeufes ; c'est à vous d'examiner quelle raifon avait le grand Newton pour décider que le Pentateuque fut composé par Samuël, tandis que plufieurs autres favans le croient rédigé tel qu'il eft par Efdras: pour moi je n'ofe entrer dans cette querelle; il y a des chofes qu'on dit hardiment en Angleterre, et qu'il ferait dangereux peut-être de dire à Paris on peut y jouer avec un prodigieux fuccès toutes les pièces du divin Shakespeare; mais on ne peut y professer toutes les découvertes de Newton.

C'est par la même circonfpection que je ne vous parlerai ni dų magiftrat Colinş, ni du maître ès-arts Wolfton, ni du lord Shaftesbury, ni du lord Bolingbroke, ni du célèbre Gordon, ni de ce fameux membre du parlement Trenchard, ni du doyen Swift, ni de tant d'autres grands génies anglais : quid de quocumque viro et cui dicas fæpe caveto.

J'ajoute caveto in Galliâ et in Hifpania plus quàm in Italiâ. Il eft vrai qu'actuellement toutes ces disputes théologales ne font plus aucun effet ni en Angleterre, ni en Hollande, ni en aucun pays du Nord: on est affez fage pour les méprifer. Un homme qui voudrait

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