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I X.

De l'or potable.

POUR accabler mon ami, vous changez le procès criminel que vous lui faites en un autre procès. Vous parlez d'or potable. On ne vous a jamais nié qu'on pût avaler de l'or, du plomb, de l'antimoine. Que ne peut-on pas avaler? Mon ami avale les injures cruelles que vous lui dites avec des complimens; les calomnies dont vous le chargez, les accufations odieufes que vous intentez, et qui, dans d'autres temps, pourraient avoir le cruel effet de faire excommunier un honnête homme. Tandis que vous faites avaler ces pilules fi amères, préparées d'une main qui n'eft ni tout-à-fait judaïque ni tout-à-fait catholique, pourquoi nous invitez-vous à vous parler d'or potable?

Si c'eft votre veau cuit fous la braise, et pulvérisé par cette braise, la chose est impoffible, comme toute la terre en convient.

Si vous voulez parler de l'or potable des charlatans, c'est une queftion très-étrangère. L'or eft indeftructible: l'eau qu'on appelle régale, parce qu'on a donné à l'or le nom de roi des métaux, le diffout; mais cette diffolution eft très-cauftique. Vous ne prétendez pas

fans doute que Moife ait fait boire cette eau aux Ifraélites pour empoifonner tout le peuple de DIEU. On peut précipiter l'or de fa diffolution par un alcali; il fera réduit en poudre, mais il n'aura pas été brûlé, comme le dit le texte; et puis cette poudre n'eft pas mifcible avec l'eau.

Vous dites que Sthal, chrétien et chimifte, a fait de l'or potable; et vous citez ses opufcules, (fans dire quel opufcule) dans lesquels il dit que le fel de tartre, mêlé au foufre, diffout l'or au point de le réduire en poudre qu'on peut avaler. Je fais bien que le foie de foufre diffout l'or, mais il ne le réduit point en poudre. Je ne vous conseille donc pas, Monfieur, d'avaler de l'or du chrétien Sthal, réduit en poudre par le moyen du fel de tartre et du foufre; premièrement, parce que je fuis trèssûr que ces deux ingrédiens ne peuvent pulvérifer l'or qu'en le précipitant de la dissolution, et alors il n'eft plus potable; fecondement, parce que je fuis encore très-sûr que vous feriez en danger de mort fi vous preniez de cette diffolution, que je ne veux pas vous tuer, quoique vous ayez voulu tuer mon ami.

Quant à l'or potable de mademoiselle Grimaldi, voici ce que c'eft. On mêle de l'huile effentielle de romarin ou une autre, ou de l'efprit de vin, avec une diffolution d'or dans

l'eau régale; on enlève ce qui furnage, c'està-dire l'huile, l'efprit de vin qui contient une très-petite partie d'or et d'acide. C'eft un fecret de charlatan pour vendre très-cher une mauvaise drogue; fi donc, Monfieur, ofez-vous attribuer de pareils tours à Moïse?

Hélas! vous avez parlé, fans le favoir, à un homme qui n'est que trop au fait des préparations de l'or; j'ai chez moi plus d'un artiste qui ne travaille qu'à cela : il m'en coûte affez pour que je fois en droit de dire mon avis.

X.

De vingt-trois mille juifs égorgés par leurs frères.

Vous faites un crime à mon ami d'avoir plaint vingt-trois mille juifs maffacrés par les lévites, leurs frères, fans fe défendre. Ah! Monfieur, fi vous êtes juif, ayez quelque compaffion pour vos frères; fi vous êtes chrétien, ayez-en pour vos pères. Mon ami a eu le bonheur d'inspirer l'esprit d'indulgence à bien des gens qui avaient à fe reprocher des féventés impitoyables. N'a-t-il pu parvenir à

vous rendre humain ?

Et Moïfe voyant le peuple nu, car Aaron l'avait dépouillé à caufe de fon ignominie (c) (du veau d'or), et l'avait expofé au milieu de fes ennemis. Moïfe fe met à la porte du camp, et dit : Qui eft au Seigneur fejoigne à moi; et tous ceux de la race de Lévi fe joignirent à lui, et il leur dit : Que chacun mette fon épée fur fa cuiffe; allez et revenez d'une porte à l'autre au travers du camp; que chacun tue fon frère, fon ami et fes proches. Les enfans de Lévi firent ce que Moife ordonnait, et il y eut en ce jour vingt-trois mille hommes de massacrés.

Quoi, Monfieur, voilà (par le texte) Moïse lui-même qui, à l'âge de quatre-vingts ans paffés, fe met à la tête d'une troupe de meurtriers, qu'on fe joigne à moi, et qui avec eux égorge de fes mains vingt-trois mille de fes compagnons. Chacun tue fon frère, fon ami, fon parent! C'est mon ami, à moi, mon innocent ami, que vous accufez d'être l'ennemi des Juifs! c'eft lui qui pleure fur les infortunés qu'on égorge, et c'eft vous qui vous réjouiffez de ce massacre!

Il faut de la févérité, dites-vous, quand les prévaricateurs font nombreux. Ah! Monfieur, ce n'eft pas à vous de le dire. Je ne veux pas

(c) Plufieurs perfonnes fenfibles ont été furprifes qu'Aaron lui-même livrat les coupables, car il paraiffait le plus criminel: le peuple avait demandé des dieux qui marchaffent, et Aaron imagina le bœuf.

vous

vous demander fi vous auriez trouvé bon qu'on égorgeât vingt-trois mille convulfionnaires. Je

ne veux pas vous outrager comme vous ayez infulté mon ami. Quoi! vous auriez donc applaudi à la Saint-Barthelemi; car enfin les foixante et dix mille citoyens qu'on égorgea en France étaient des rebelles à votre religion dominante: ils étaient plus coupables que vos Ifraélites, car ils péchaient contre les lois connues; et les Ifraélites furent moins coupables, quand ils s'impatientèrent de ne point recevoir des lois qu'on leur fefait attendre depuis quarante jours. O homme, qui que vous foyez, apprenez à pardonner!

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Pour moi, Monfieur, quand même vous auriez été convulfionnaire, ce que je ne crois pas, je ne pourrais vous vouloir de mal. Quand même vous auriez écrit des lettres de cachet fous le frère le Tellier, encore aurais-je pour vous de l'indulgence; encore ferais-je votre frère fi vous daigniez être le mien.

X I.

De vingt-quatre mille autres juifs égorgés par leurs frères.

MAIS pardonnez, encore une fois, à mon malheureux ami, fi après avoir plaint vingttrois mille pauvres juifs mis en pièces fans se Mélanges hift. Tome II.

* C

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