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le 15 février, pendant neuf cents ans, nonfeulement le prodige de la naiffance de Romulus et de Rémus, mais encore l'aventure de Faunus, qui prit Hercule pour Omphale dont il était amoureux. Mille événemens étaient ainfi confacrés en Europe et en Afie. Les amateurs du merveilleux difaient: Il faut bien que ces faits foient vrais, puisque tant de monumens en font la preuve. Et nous disions : Il faut bien qu'ils foient faux, puifque le vulgaire les a crus. Une fable a quelque cours dans une génération; elle s'établit dans la feconde; elle devient refpectable dans la troifième; la quatrième lui élève des temples. Il n'y avait pas dans toute l'antiquité profane un feul temple, une feule fête, un feul collége de prêtres, un feul ufage, qui ne fût fondé fur une fottife. Tel fut le genre- humain; et c'eft fous ce point de vue que nous l'envisageâmes.

Quelle pouvait être l'origine du conte d'Hérodote, que le foleil, en onze cents années, s'était couché deux fois à l'Orient? où Licophron avait-il pris qu'Hercule, embarqué fur le détroit de Calpé dans fon gobelet, fut avalé par une baleine; qu'il refta trois jours et trois nuits dans le ventre de ce poisson ; et qu'il fit une belle ode dès qu'il fut fur le rivage?

Nous ne trouvons d'autre raifon de tous ces contes que dans la faibleffe de l'efprit humain, dans le goût du merveilleux, dans le penchant à l'imitation, dans l'envie de furpaffer fes voisins. Un roi égyptien fe fait enfevelir dans une petite pyramide de douze à quinze pieds; un autre veut être placé dans une pyramide de cent; un troifième va jusqu'à cinq ou fix cents. Un de tes rois eft allé dans les pays orientaux par mer; un des miens eft allé dans le foleil, et a éclairé le monde pendant un jour. Tu bâtis un temple à un bœuf; je vais en bâtir un pour un crocodile. Il y a eu dans ton pays des géans qui étaient les enfans des génies et des fées : nous en aurons qui efcaladeront le ciel et qui fe battront à coups de montagnes.

Il était bien plus aifé, et même plus profitable d'imaginer et de copier tous ces contes que d'étudier les mathématiques. Car, avec des fables, on gouvernait les hommes; et les fages furent prefque toujours méprisés et écrasés par les puiffans. On payait un aftrologue, et on négligeait un géomètre. Cependant il y eut par-tout quelques fages qui firent des chofes utiles; et c'était-là ce que la perfonne illuftre, dont nous parlons, voulait connaître.

L'hiftoire universelle anglaise, plus volumineufe que le difcours de l'éloquent Boffuet n'eft court et refferré, n'avait point encore paru. Les favans, qui travaillèrent depuis avec un juif et deux presbytériens à ce grand ouvrage, eurent un but tout différent du nôtre. Ils voulaient prouver que la partie du mont Ararat, fur laquelle l'arche de Noé s'arrêta, était à l'orient de la plaine de Sénaar, ou Shinaar, ou Seniar; que la tour de Babel n'avait point été bâtie à mauvaise intention; qu'elle n'avait qu'une lieue et un quart de hauteur, et non pas cent trente lieues, comme des exagérateurs l'avaient dit: que la confufion des langues, à Babel, produifit dans le monde les effets les plus heureux et les plus admirables: ce font leurs propres paroles. Ils examinaient, avec attention lequel avait le mieux calculé, ou du savant Pétau, qui comptait fix cents vingt- trois milliars fix cents douze millions d'hommes fur la terre, environ trois fiècles après le déluge de Noé; ou du favant Cumberland, qui n'en comptait que trois milliars trois cents trente-trois mille. Ils recherchaient si Usaphed, roi d'Egypte, était fils ou neveu du roi Véneph. Ils ne favaient pourquoi Cayomarat, ou Cayoumaras ayant été le premier roi de Perfe, cependant fon petit-fils Siamek paffa pour être

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l'Adam des Hébreux, inconnu à tous les autres peuples.

Pour nous, notre feule intention était d'étudier les arts et les mœurs.

Comme l'hiftoire du refpectable Boffuet finiffaità Charlemagne, madame du Châtelet nous pria de nous instruire en général avec elle de ce qu'était alors le refte du monde, et de ce qu'il a été jusqu'à nos jours. Ce n'était pas une chronologie qu'elle voulait, un simple almanach antique des naiffances, des mariages, et des morts de rois dont les noms font à peine parvenus jufqu'à nous, et encore tout falfifiés. C'était l'efprit des hommes qu'elle voulait contempler.

Nous commençâmes nos recherches par l'Orient, dont tous les arts nous font venus avec le temps. Il n'eft aucune hiftoire qui commence autrement. Ni le prétendu Hermès, ni Manéthon, ni Bérofe, ni Sanchoniathon, ni les Shafta, ni les Veidam indiens, Zoroastre, ni les premiers auteurs chinois ne portèrent ailleurs leurs premiers regards; et l'auteur infpiré du Pentateuque ne parla point de nos peuples occidentaux.

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IL L ne nous fallut ni de profondes recherches, ni un grand effort pour avouer que Chinois, ainfi que les Indiens, ont précédé -dès long-temps l'Europe dans la connaissance de tous les arts néceffaires. Nous ne fommes point enthousiaftes des lieux éloignés et des temps antiques; nous favons bien que l'Orient entier, loin d'être aujourd'hui notre rival en mathématiques et dans les beaux arts, n'eft pas digne d'être notre écolier; mais s'ils n'ont pas décoré, comme nous, le grand édifice des arts, ils l'ont conftruit. Nous crûmes, fur la foi des voyageurs et des miffionnaires de toute espèce, tous d'accord ensemble, que les Chinois inventèrent l'imprimerie environ deux mille ans avant qu'on ne l'imitât dans la baffe Allemagne; car on y grava d'abord les planches en bois, comme à la Chine, et ce ne fut qu'après ce tâtonement de l'art qu'on parvint à l'admirable invention des caractères mobiles. Nous dîmes que les Chinois n'ont jamais pu imiter, à leur tour l'imprimerie d'Europe. M. Warburton, qui ne hait pas à tomber fur les Français, crut

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