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avoit faites devant la députation. Une de ces promesses étoit de ne plus employer son temps pour la poésie qu'à des sujets sacrés. Ce talent étoit bien tombé, et Dieu se trouvoit plus mal partagé que ne l'avoit été le monde; mais il est trop ordinaire de ne lui consacrer que des restes en tout genre, et il est trop heureux pour les foibles mortels qu'il consente à s'en accommoder. M. et madame d'Hervart avoient prodigué à La Fontaine, pendant sa maladie, les soins les plus tendres et les plus assidus. Leur amitié fut alarmée de le voir, plus que septuagénaire et à peine échappé à la mort, habiter une maison étrangère et ne recevoir d'autres soins que ceux d'une femme à gages: ils résolurent de lui offrir un appartement dans leur maison. Comme M. d'Hervart étoit en route pour lui en aller faire la proposition, il le rencontre dans la rue, et sur-le-champ il entre en matière: Venez loger chez nous, lui dit-il. J'y allois, répond La Fontaine.

On ne sait rien sur ses derniers moments. Il vit arriver sa fin avec résignation, et la prédit avec assez de justesse: un mois auparavant, il écrivoit à son vieil ami Maucroix : « Le meilleur

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« de tes amis n'a plus à compter sur quinze « jours de vie. » Il mourut à Paris, rue Platrière, le 13 avril 1695, âgé de soixante-quatorze ans. Dans les dernières années de sa vie, il s'étoit imposé les plus grandes austérités, et lorsqu'on l'ensevelit, on le trouva couvert d'un cilice.

On a beaucoup parlé des distractions de La Fontaine, et de cette ingénuité excessive qui donnoit quelquefois à ses discours une assez forte apparence de niaiserie et presque de stupidité. On en a cité un grand nombre de traits, parmi lesquels plusieurs ont paru, à quelques personnes, faux ou du moins exagérés. Il est bien difficile pourtant de discerner ceux qu'on peut admettre d'avec ceux qu'on doit rejeter. La préoccupation, cet état dont le propre est de nous renfermer, pour ainsi dire, au-dedans de nous-mêmes, et d'interrompre toute communication entre notre esprit et les objets extérieurs, donne lieu, chez tous les hommes qui y sont sujets, soit à des discours, soit à des actions approchant de la folie. L'homme plongé très avant dans la méditation ou la rêverie ressemble beaucoup à l'homme enseveli dans un

profond sommeil. Lorsque, s'éveillant de luimême en sursaut, ou réveillé brusquement par d'autres, il veut parler avant d'avoir eu le temps de reprendre ses sens, et de rentrer en possession de ses idées, ce qu'il dit est presque toujours un quiproquo, une disparate, une absurdité enfin. La réflexion n'ayant point de part aux discours tenus dans un pareil moment, un homme d'esprit n'est pas plus à l'abri qu'un sot de dire des sottises; et peut-être un homme de génie y est-il plus exposé que l'un et l'autre, parceque sa préoccupation est ordinairement plus profonde. Je l'avouerai donc, les plus fortes distractions attribuées à La Fontaine peuvent exciter ma surprise, mais non pas mon incrédulité; et les plus ridicules ne dégradent en rien l'image que je me suis faite de son beau génie et de son aimable caractère.

Louis Racine, si voisin de ces temps, si bien instruit de ce qui s'y passoit, et si incapable de trahir la vérité, représente ainsi l'auteur des FABLES. « Autant il étoit aimable par la dou« ceur de son caractère, autant il l'étoit peu par ·les agréments de la société. Il n'y mettoit jamais rien du sien; et mes sœurs, qui, dans

« leur jeunesse, l'ont souvent vu à table chez « mon père, n'ont conservé de lui d'autre idée « que celle d'un homme fort malpropre et fort << ennuyeux. Il ne parloit point, ou vouloit tou« jours parler de Platon. »

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pas

L'abbé d'Olivet, non moins bien informé, non moins véridique, a tracé un portrait assez semblable à celui qu'on vient de voir. « A sa physionomie, dit-il, on n'eût deviné ses talents. « Un sourire niais, un air lourd, des yeux pres« que éteints, nulle contenance: rarement il commençoit la conversation, et même, pour « l'ordinaire, il y étoit si distrait qu'il ne savoit « ce que disoient les autres. Il révoit à tout << autre chose, sans qu'il eût pu dire à quoi il ré« voit. Si pourtant il se trouvoit entre amis, et << que le discours vînt à s'animer par quelque agréable dispute, alors il s'échauffoit véritablement, ses yeux s'allumoient; c'étoit La Fontaine en personne, et non pas un fantôme re« vêtu de sa figure.

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Tous ses sentiments étoient prompts, vifs, passionnés, exclusifs, comme ceux des enfants, avec qui il faut le comparer sans cesse. Il se prenoit tout-à-coup de belle passion pour un

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ateur; il en raffoloit, il en parloit à tout venant, et n'avoit de cesse qu'il n'eût fait éclater en cent lieux son naïf et risible enthousiasme. Racine le mena un jour à ténébres; et, s'apercevant que l'office lui paroissoit long, il lui donna, pour l'occuper, un volume de la Bible, où étoient les petits prophétes. La Fontaine tomba sur la prière des Juifs dans Baruch, et, ne pouvant se lasser de l'admirer, disoit à Racine: C'étoit un beau génie que Baruch; qui étoit<il? » Le lendemain et les jours suivants, il ne rencontroit personne de connoissance dans la rue qu'après les premiers compliments il ne lui dît, en élevant la voix : Avez-vous lu Baruch? C'étoit un beau génie. » Rabelais étoit une de ses plus anciennes passions; il l'admiroit follement, et ne connoissoit nul écrivain, ancien ou moderne, profane ou sacré, à qui l'on ne fît honneur en le mettant en parallèle avec maître François. Il étoit chez Boileau, avec Racine, Boileau le docteur, et quelques autres; on y parloit beaucoup de saint Augustin: il écoutoit de l'air d'un homme qui n'entend rien; enfin, se réveillant comme d'un profond somme, il demanda d'un grand sérieux au docteur s'il

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