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Josophie, madame de La Sablière, le retira dans sa maison, où elle donnoit déja un logement à Bernier, qui fit pour elle un ABRÉGÉ de Gassendi.

Il trouva toutes sortes de biens dans l'asile que lui avoit donné cette femme généreuse. Débarrassé des soins qui concernent la vie, il s'abandonna à cette molle incurie, à cette paresse doucement occupée, qui contribuèrent peutêtre à répandre dans ses vers un charme, un abandon que n'ont pas les écrits faits à la tâche, et inspirés par le besoin. Se faisant expliquer par son ami Bernier, qu'il pouvoit voir à toute heure, les principes de la philosophie naturelle d'Épicure et de Descartes, il enrichissoit le trésor de ses idées et de ses images poétiques. Il demeura près de vingt ans chez madame de La Sablière, et il n'en sortit que lorsqu'elle fut morte. Il étoit devenu un hôte naturel de cette maison, et en quelque sorte la propriété de la maîtresse; un jour que celle-ci avoit congédié à-lafois tous ses domestiques : Je n'ai gardé avec moi, dit-elle, que mes trois animaux: mon chien, mon chat, et La Fontaine.

La Fontaine brigua, pendant plusieurs an

nées, une place à l'académie françoise, avant de l'obtenir. La première fois qu'il se mit sur les rangs, un ennemi, ou plutôt un rigoriste, jeta sur le bureau le recueil des CONTES; et cette espèce de délation, faite si ouvertement, enchaîna le zèle de ceux que scandalisoit le moins la licence de ces joyeux écrits. Furetière dit que La Fontaine ne fut redevable de son admission qu'aux ennemis qu'avoit alors son compétiteur. Ce compétiteur étoit Boileau: il est possible en effet que plusieurs académiciens aient pardonné plus volontiers, dans ce moment, les atteintes portées à la morale par le conteur que les blessures faites à leur amour-propre par le satirique. Ce qui est certain, c'est que La Fontaine fut reçu à la majorité de seize voix contre sept. Le roi, dont on avoit intéressé la religion, et qui d'ailleurs étoit fâché que Boileau n'eût pas été préféré, prétendit qu'il y avoit eu du bruit et de la cabale dans l'académie, et différa, pendant six mois, de donner son agrément à l'élection. Il le donna lorsque Despréaux eut été nommé à son tour; et, après avoir témoigné son contentement de ce dernier choix, il dit: Vous pouvez

recevoir incessamment La Fontaine ; il a promis d'être sage 1.

L'année qui suivit son admission dans cette compagnie, Furetière en fut exclus pour l'affaire de son dictionnaire, et c'est cet événement qui fut cause de sa haine contre La Fontaine, jusque-là son ami. L'opinion commune est qu'au scrutin qui devoit décider de son sort La Fontaine, dont l'intention étoit de mettre une boule blanche, mit une boule noire par distraction. Quelle qu'ait été la cause de ce vote défavorable, Furetière en conçut une violente animosité

La Fontaine arrivoit souvent trop tard à l'académie pour participer à la distribution des jetons. Ses confrères, qui l'aimoient, dirent un jour, d'un commun accord, qu'il falloit faire en sa faveur une exception à la régle. «Messieurs, leur dit-il, cela ne seroit pas juste; je suis venu trop tard, c'est ma faute. » Une autre fois, il partit de trop bonne heure pour l'académie ; mais il n'est pas sûr pour cela qu'il y soit arrivé à temps. Étant à dîner chez M. Le Verrier, il s'ennuie de la compagnie et se lève de table; on lui demande où il va; il répond : à l'académie. On lui représente qu'il n'est encore que deux heures. «Je le sais bien, dit-il; aussi je prendrai le plus long. » Il est impossible de dire aux gens avec plus d'ingénuité qu'on s'ennuie en leur compagnie.

contre La Fontaine. Il la fit éclater indécemment dans un de ses FACTUM, où il appelle son ancien ami un Arétin mitigé; le dénonce pour ses contes aux chefs de la magistrature et de la religion; enfin, prétend que s'il a fait, dans la COUPE ENCHANTÉE, l'éloge du c...age volontaire, c'est qu'apparemment il s'en est bien trouvé. La Fontaine ne porta aucune plainte: son unique vengeance fut une épigramme, assez injurieuse, à la vérité, puisqu'il y est question de coups de bâton. Furetière riposta, et, comme il avoit déja fait, outragea la femme pour se venger du mari.

La Fontaine eut encore une autre querelle. Lulli lui ayant demandé les paroles d'un opéra, il s'étoit mis aussitôt à traiter le sujet de Daphné. Lulli, après l'avoir amusé quelque temps, refusa l'ouvrage comme n'étant pas propre à être mis en musique. Fâché d'avoir pris une peine inutile, piqué d'un refus assez mortifiant, poussé d'ailleurs, comme il le dit lui-même, par la ville et la cour, les amis et les indifférents, il employa le peu qu'il avoit de bile à composer une satire intitulée LE FLORENTIN. Cette satire, on ne peut le dissimuler, renferme des personnalités

dures et même grossières; mais Lulli avoit un caractère si vil, et des mœurs si dépravées, qu'on ne pouvoit guère lui dire ses vérités sans tomber dans l'injure et dans le cynisme.

Si La Fontaine eut querelle avec deux hommes, dont l'un fut constamment décrié, et dont l'autre souilla la fin de sa vie par une action déloyale et des écrits calomnieux, en revanche, il fut lié d'une amitié étroite et solide avec la plupart des hommes de son siècle les plus distingués par le talent et le caractère. Molière, Racine, Boileau, Chapelle, Chaulieu, La Fare, étoient chéris de lui et le chérissoient de même. Ils aimoient en lui sa bonhomie, son ingénuité, sa douceur, tout, jusqu'à cette simplicité qui le rendoit l'objet de leurs plaisanteries, et dont ils abusoient, dit-on, quelquefois. Parmi ses contemporains, Molière seul pensa qu'il pouvoit bien être un homme de génie. Il avoit à souper Racine, Boileau, La Fontaine, et Descoteaux, célèbre musicien du temps; La Fontaine étoit ce jour-là, encore plus qu'à son ordinaire, plongé dans une profonde rêverie: Racine et Boileau, pour le tirer de cette espèce de léthargie, se mirent à le railler, et si vivement, qu'à la fin Molière en eut

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