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FABLE II.

LE LION ET LE CHASSEUR.

Un fanfaron, amateur de la chasse,
Venant de perdre un chien de bonne race
Qu'il soupçonnoit dans le corps d'un lion,
Vit un berger. Enseigne-moi, de grace,
De mon voleur, lui dit-il, la maison;
Que de ce pas je me fasse raison.

Le berger dit : C'est vers cette montagne.
En lui payant de tribut un mouton
Par chaque mois, j'erre dans la campagne
Comme il me plaît; et je suis en repos.
Dans le moment qu'ils tenoient ces propos
Le lion sort, et vient d'un pas agile.
Le fanfaron aussitôt d'esquiver;

O Jupiter, montre-moi quelque asile,
S'écria-t-il, qui me puisse sauver!

N'est

La vraie épreuve de courage

que dans le danger que l'on touche du doigt: Tel le cherchoit, dit-il, qui, changeant de langage, S'enfuit aussitôt qu'il le voit.

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FABLE III.

PHÉBUS ET BORÉE.

Borée et le Soleil virent un voyageur

Qui s'étoit muni par bonheur

Contre le mauvais temps. On entroit dans l'automne,
Quand la précaution aux voyageurs est bonne :
Il pleut, le soleil luit; et l'écharpe d'Iris

Rend ceux qui sortent avertis

Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire:
Les Latins les nommoient douteux, pour cette affaire.
Notre homme s'étoit donc à la pluie attendu:
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte.
Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvu
A tous les accidents; mais il n'a pas prévu
Que je saurai souffler de sorte

Qu'il n'est bouton qui tienne : il faudra, si je veux,
Que le manteau s'en aille au diable.

L'ébattement pourroit nous en être agréable: Vous plaît-il de l'avoir? Eh bien! gageons nous deux, Dit Phébus, sans tant de paroles,

A qui plus tôt aura dégarni les épaules

Du cavalier que nous voyons.

Commencez : je vous laisse obscurcir mes rayons.
Il n'en fallut pas plus. Notre souffleur à gage

Se

gorge de vapeurs,

s'enfle comme un ballon,

Fait un vacarme de démon,

Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage

Maint toit qui n'en peut mais1, fait périr maint bateau :
Le tout au sujet d'un manteau.
Le cavalier eut soin d'empêcher que l'orage
Ne se pût engouffrer dedans.

Cela le préserva. Le vent perdit son temps;
Plus il se tourmentoit, plus l'autre tenoit ferme :

Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu'il fut au bout du terme

Qu'à la gageure on avoit mis,
Le Soleil dissipe la nue,

Récrée et puis pénétre enfin le cavalier,
Sous son balandras 2 fait qu'il sue,

Le contraint de s'en dépouiller :
Encor n'usa-t-il pas de toute sa puissance.

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1 Davantage, du mot latin magis.

2 Le balandras ou balandran étoit une sorte de man

teau.

FABLE IV.

JUPITER ET LE MÉTAYER.

Jupiter eut jadis une ferme à donner.
Mercure en fit l'annonce, et gens se présentèrent,
Firent des offres, écoutèrent:

Ce ne fut pas sans bien tourner;

L'un alléguoit que l'héritage

Étoit frayant et rude, et l'autre un autre si.
Pendant qu'ils marchandoient ainsi,

Un d'eux, le plus hardi, mais non pas le plus sage,
Promit d'en rendre tant, pourvu que Jupiter

Le laissât disposer de l'air,

Lui donnât saison à sa guise,

Qu'il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bise, Enfin, du sec et du mouillé,

Aussitôt qu'il auroit bâillé.

Jupiter y consent. Contrat passé, notre homme Tranche du roi des airs, pleut, vente, et fait en somme Un climat pour lui seul : ses plus proches voisins Ne s'en sentoient non plus que les Américains.

■ Occasionoit beaucoup de frais ou de dépense.

Ce fut leur avantage : ils eurent bonne année,
Pleine moisson, pleine vinée.
Monsieur le receveur fut très mal partagé.
L'an suivant, voilà tout changé :,
Il ajuste d'une autre sorte

La température des cieux.

Son champ ne s'en trouve pas mieux; Celui de ses voisins fructifie et rapporte. Que fait-il? Il recourt au monarque des dieux; Il confesse son imprudence. Jupiter en usa comme un maître fort doux.

Concluons que la Providence

Sait ce qu'il nous faut mieux que nous.

FABLE V.

LE COCHET, LE CHAT, ET LE SOURICEAU.

Un souriceau tout jeune, et qui n'avoit rien vu, Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère :

J'avois franchi les monts qui bornent cet état, Et trottois comme un jeune rat

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