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Rien ne te sert d'être farine;

Car, quand tu serois sac, je n'approcherois pas.

C'étoit bien dit à lui; j'approuve sa
Il étoit expérimenté,

Et savoit que la méfiance
Est mère de la sûreté.

prudence:

FIN DU TROISIÈME LIVRE.

LIVRE QUATRIÈME.

FABLE PREMIÈRE.

LE LION AMOUREUX.

A MADEMOISELLE DE SÉVIGNÉ.

Sévigné, de qui les attraits

Servent aux Graces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d'une fable,
Et voir, sans vous épouvanter,
Un lion qu'Amour sut dompter?
Amour est un étrange maître!
Heureux qui peut ne le connoître
Que par récit, lui ni ses coups!
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,

La fable au moins se peut souffrir:

Celle-ci prend bien l'assurance
De venir à vos pieds s'offrir,
Par zèle et par reconnoissance.

Du temps que les bêtes parloient,
Les lions entre autres vouloient
Être admis dans notre alliance.
Pourquoi non? puisque leur engeance
Valoit la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure outre cela.
Voici comment il en alla :

Un lion de haut parentage,
En passant par un certain pré,
Rencontra bergère à son gré :
Il la demande en mariage.
Le père auroit fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui sembloit bien dur:
La refuser n'étoit pas sûr;

Même un refus eût fait, possible,
Qu'on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin :
Car, outre qu'en toute manière
La belle étoit pour les gens fiers,

Fille se coiffe volontiers

D'amoureux à longue crinière.
Le père donc ouvertement
N'osant renvoyer notre amant,
Lui dit: Ma fille est délicate;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu'à chaque patte
On vous les rogne; et pour les dents,
Qu'on vous les lime en même temps:
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux;
Car ma fille y répondra mieux,
Étant sans ces inquiétudes.
Le lion consent à cela,
Tant son ame étoit aveuglée!
Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée.

On lâcha sur lui quelques chiens :
Il fit fort peu de résistance.

Amour! Amour! quand tu nous tiens, On peut bien dire : Adieu prudence!

FABLE II.

LE BERGER ET LA MER.

Du rapport d'un troupeau, dont il vivoit sans soins,
Se contenta long-temps un voisin d'Amphitrite.
Si sa fortune étoit petite,

Elle étoit sûre tout au moins.

A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien qu'il vendit son troupeau,
Trafiqua de l'argent, le mit entier sur l'eau.
Cet argent périt par naufrage.

Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef comme il étoit jadis,
Quand ses propres moutons paissoient sur le rivage:
Celui qui s'étoit vu Coridon ou Tircis,

Fut Pierrot, et rien davantage.

Au bout de quelque temps il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine;

Et comme un jour les vents, retenant leur haleine,
Laissoient paisiblement aborder les vaisseaux :
Vous voulez de l'argent, ô mesdames les Eaux!
Dit-il; adressez-vous, je vous prie, à quelque autre:
Ma foi! vous n'aurez pas le nôtre.

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