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Tantôt entre au fond du naseau. La rage alors se trouve à son faîte montée. L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir. Le malheureux lion se déchire lui-même, Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs, Bat l'air, qui n'en peut mais; et sa fureur extrême Le fatigue, l'abat : le voilà sur les dents. L'insecte, du combat, se retire avec gloire: Comme il sonna la charge, il sonne

victoire, Va par-tout l'annoncer, et rencontre en chemin L'embuscade d'une araignée;

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par-là nous peut être enseignée?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

FABLE X.

L'ANE CHARGÉ D'Éponges, et L'ANE CHARGÉ DE SEL.

Un ânier, son sceptre à la main,
Menoit, en empereur romain,
Deux coursiers à longues oreilles.

L'un, d'éponges chargé, marchoit comme un courrier;
Et l'autre, se faisant prier,

Portoit, comme on dit, les bouteilles':
Sa charge étoit de sel. Nos gaillards pèlerins,
Par monis, par vaux, et par chemins,
Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,
Et fort empêchés se trouvèrent.
L'ânier, qui tous les jours traversoit ce gué-là,
Sur l'âne à l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre bête,
Qui, voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa:
Car au bout de quelques nagées,
Tout son sel se fondit si bien

Marchoit lentement. Expression proverbiale.

Que le baudet ne sentit rien

Sur ses épaules soulagées.

Camarade épongier prit exemple sur lui,
Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui.
Voilà mon âne à l'eau ; jusqu'au col il se plonge,
Lui, le conducteur, et l'éponge.
Tous trois burent d'autant : l'ânier et le grison
Firent à l'éponge raison.

Celle-ci devint si pesante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,
Que l'âne succombant ne put gagner le bord.
L'ânier l'embrassoit, dans l'attente

D'une prompte et certaine mort.
Quelqu'un vint au secours : qui ce fut, il n'importe;
C'est assez qu'on ait vu par-là qu'il ne faut point

Agir chacun de même sorte.

J'en voulois venir à ce point.

FABLE XI.

LE LION ET LE RAT.

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi;

Tant la chose en preuves abonde.

Entre les pattes d'un lion

Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il étoit, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu :
Quelqu'un auroit-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût affaire?
Cependant il avint qu'au sortir des forêts
Ce lion fut pris dans des rets,

Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents,
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.

Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage.

FABLE XII.

LA COLOMBE ET LA FOURMI.

L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits.

Le long d'un clair ruisseau buvoit une colombe,
Quand sur l'eau se penchant une fourmis y tombe:
Et dans cet océan on eût vu la fourmis

S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité.

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.
Elle se sauve. Et là-dessus

Passe un certain croquant qui marchoit les pieds nus:
Ce croquant, par hasard, avoit une arbalète.
Dès qu'il voit l'oiseau de Vénus,

Il le croit en son pot, et déja lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La fourmi le pique au talon.

Le vilain retourne la tête :

La colombe l'entend, part, et tire de long.
Le soupé du croquant avec elle s'envole:

Point de pigeon pour une obole..

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