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siez-vous,

prend de leur réputation. Si j'osais évoquer ici, par un privilége d'orateur, l'ombre du grand Laubardemont, de ce zélé, dece dévoué procureur du roi en son temps, il prendrait mon parti contre son successeur; il serait avec moi contre vous, Monsieur l'avocatgénéral, et vous soutiendrait que vous et nous, en tout vivons mieux que nos anciens, duscomme je l'ai dit, le redis, et le dirai, Messieurs, pour ce délit, me condamner au maximum de la peine. Mais n'en faites rien, et plutôt écoutez ce que j'ajoute ici. J'ai employé beaucoup d'étude à connaître le temps passé, à comparer les hommes et les choses d'autrefois avec ce qui est aujourd'hui, et j'ai trouvé, foi de paysan, j'ai trouvé que tout va mieux maintenant, ou moins mal. Si quelques uns vous disent le contraire, ils n'ont pas, comme moi, compulsé tous les registres de l'histoire, pour savoir à quoi s'en tenir. Ceux qui louent le passé ne connaissent que le présent.

Ainsi de la morale, Messieurs : c'est moi qu'il en faut croire là-dessus, et non pas le procureur du roi. J'en sais plus que lui, sans nul doute, et mon autorité prévaut sur la sienne en cette matière. Pourquoi? Par la même raison que je viens de vous dire, l'étude, qui fait que j'en ai plus appris, et par

d'autres raisons encore : car la morale a deux parties, la théorie et la pratique. Dans la théorie, je suis plus fort que messieurs les procureurs du roi, ayant eu plus qu'eux le loisir et la volonté de méditer ce que les sages en ont écrit depuis trois mille ans jusqu'à nos jours. Mes principes..... fiez-vous-en, Messieurs, à un homme qui chaque jour lit Aristote, Plutarque, Montaigne, et l'Évangile dans la langue même de Jésus-Christ. Le procureur du roi en dirait-il autant? lui, occupé de toute autre chose: car enfin les devoirs de sa charge, les soins toujours assez nombreux d'une louable ambition, sans laquelle on n'accepte point de tels emplois, et d'autres soins, d'autres devoirs qu'impose la société à ceux qui veulent y tenir un rang; visites, assemblées, jeu, repas, cérémonies, tant de soucis, d'amusements, laissent peu de temps à l'homme en place pour s'appliquer à la morale que j'étudie sans distraction. Je dois la savoir, et la sais mieux, n'en doutez pas; et voilà pour la théorie. Quant à la pratique, ma vie laborieuse, studieuse, active, chose à noter, et contemplative en même temps, ma vie aux champs, libre de passions, d'intrigues, de plaisirs, de vanités, me donnerait trop d'avantages dans quelque parallèle que ce fût, et je puis, je dois même dire

que je ferais honneur à ceux avec qui je me comparerais, fût-ce même avec vous, Monsieur le procureur du roi. Oui, sur ce banc où vous m'amenez, et où tant d'autres se sont vu condamner à des peines infames, sur ce banc même, je vous le dis, ma morale est audessus de la vôtre, à tous égards, sous quelque point de vue qu'il vous plaise de l'envisager, et si l'un de nous en devait faire des leçons à l'autre, ce ne serait pas vous qui auriez la parole; par où j'entends montrer seulement, que je ne me tiens point avili de l'espèce d'injure que je reçois, et dont la honte, s'il y en a, est et demeurera toute à ceux qui s'imagineraient m'outrager.

En effet, le monde ne s'abuse point, et les sentences des magistrats ne sont flétrissantes qu'autant que le public les a confirmées. Caton fut condamné cinq fois; Socrate mourut comme ayant offensé la morale. Je ne suis Caton, ni Socrate, et sais de combien il s'en faut. Toutefois me voilà dans le même chemin, poursuivi par les hypocrites et les flatteurs de la puissance. Quel que soit votre arrêt, Messieurs, et ceci, j'espère, ne sera point pris en mauvaise part; oui, Messieurs, je veux qu'on le sache, et regrette qu'il n'y ait ici plus de gens à m'écouter: en respectant votre jugement, je ne l'attends pas néanmoins

pour connaître si j'ai bien fait. J'en aurais pu douter avant ce qui m'arrive, n'ayant encore que la conscience de mon intention. Mais par le mal que l'on me veut, je comprends que mon œuvre est bonne. Aussi n'aurais-je fâché personne, si personne ne m'eût applaudi. La voix publique se déclarant autant qu'elle le peut aujourd'hui, m'apprend ce que je dois penser, et ce que, sans doute, vous pensez avec tout le monde de l'écrit qu'on accuse devant vous. Parmi tant de gens qui l'ont lu, de tout âge, de toute condition, j'ajoute même encore, et de toute opinion, je n'ai vu nul qui ne m'en parût satisfait quant à la morale, et grâce au ciel, je suis d'un rang, d'une fortune qui ne m'exposent point à la flatterie. Une chose donc fort assurée, dont je ne puis faire aucun doute, c'est que le public m'approuve, me loue. Si cependant, Messieurs, vous me déclarez coupable, j'en souffrirai de plus d'une façon, outre le chagrin de n'avoir pu vous agréer, comme à tant d'autres; mais j'aime mieux qu'il soit ainsi, que si le contraire arrivait, et que je fusse absous par vous, coupable aux yeux de tout le monde.

Voilà ce que Paul-Louis voulait dire. Ces paroles, et d'autres qu'il eût pu ajouter, n'eussent pas été perdues peut-être; car en de tels débats, la voix de l'accusé a une

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grande force; mais peut-être aussi n'eût-il pas empêché par-là les jurés de le condamner, comme ils ont fait, unaniment et quasi sans délibérer, tant le fait leur parut éclairci par la lumineuse harangue de M. l'avocatgénéral. Le président posa deux questions : Paul-Louis est-il coupable? Oui. Bobée est-il coupable? Non. La cour renvoie Bobée, condamne Paul-Louis à deux mois de prison et 200 francs d'amende. Appel en cassation. Si le pourvoi est admis, l'accusé parlera, et touchera des points qui sont encore intacts dans cette affaire vraiment curieuse.

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