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» tion, comme si elle était toujours assemblée, recueille les voix et ne cesse de délibérer sur chaque point d'intérêt commun » et forme ses résolutions de l'opinion qui » prévaut dans le peuple, dans le peuple >> tout entier, sans exeption aucune ; c'est le "bon sens de Franklin. Aussi ne fait-elle » point de bévues et se moque des cabinets, des boudoirs même peut-être.

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» De semblables idées dans vos pays de boudoirs, ne réussiraient pas, je le crois, près des dames. Cette forme de gouverne»ment s'accommode mal des pamphets et de » la vérité naïve. Il ferait beau parler bon » sens, alléguer l'opinion publique à made

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moiselle de Pisseleu, à mademoiselle Pois» son, à madame du B...., à madame du » C.... Elles éclateraient de rire les aimables » personnes en possession chez vous de gou» verner l'État, et puis feraient coffrer le bon » sens et Franklin et l'opinion. Français char>> mants! sous l'empire de la beauté, des grâ» ces, vous êtes un peuple courtisan, plus » que jamais maintenant. Par la révolution, » Versailles s'est fondu dans la nation; Paris » est devenu l'oeil de boeuf. Tout le monde » en France fait sa cour. C'est votre art, » l'art de plaire dont vous tenez école ; c'est » le génie de votre nation. L'Anglais navi

»gue, l'Arabe pille, le Grec se bat pour être libre, le Français fait la révérence et sert ou » veut servir; il mourra s'il ne sert. Vous » êtes non le plus esclave, mais le plus valet » de tous les peuples.

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"C'est dans cet esprit de valetaille que chez » vous chacun craint d'être appelé pamphlé »' taire. Les maîtres n'aiment point que l'on parleau public d'eux ni de quoi que ce soit, » sottise de Rovigo qui, voulant de l'emploi, » fait, au lieu d'un placet, un pamphlet, où it » a beau dire, comme j'ai servi je servirai, " on ne l'écoute seulement pas, et le voilà sur le » pavé. Le Vicomte pamphlétaire est placé, » mais comment? Ceux qui l'ont mis et main» tiennent là n'en voudraient pas chez eux. » Il faut des gens discrets dans la haute livrée, comme dans tout service, et n'est pire va

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que celui qui raisonne: pensez donc s'it imprime, et des brochures encore! Quand » M. de Broë vous appela pamphlétaire, c'é» tait comme s'il vous eût dit : Malheureux qui n'auras jamais ni places ni gages, mi» sérable, tu ne seras dans aucune anticham»bre, de ta vie n'obtiendras une faveur, une » grâce, un sourire officiel, nì un regard » auguste. Voilà ce qui fit frissonner et fut cause qu'on s'éloigna de vous quand on » entendit ce mot.

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>> En France vous êtes tous honnêtes gens, » trente millions d'honnêtes gens qui voulez » gouverner le peuple par la morale et la religion. Pour le gouverner on sait bien qu'il » ne faut pas lui dire vrai. La vérité est po»pulaire, populace même, s'il se peut dire, » et sent tout-à-fait la canaille, étant l'antipode du bel air, diamétralement opposée au ton de la bonne compagnie. Ainsi le véridique auteur d'une feuille ou brochure "} un peu lue a contre lui de nécessité tout ce qui ne veut pas être peuple, c'est-à-dire » tout le monde chez vous. Chacun le désa» voue, le renie. S'il s'en trouve toujours » néanmoins, par une permission divine, c'est » qu'il est nécessaire qu'il y ait du scandale » Mais malheur à celui par qui le scandale » arrive, qui sur quelque sujet important et » d'un intérêt général dit au public la vérité. » En France excommunié, maudit, enfermé ■ par faveur à Sainte-Pélagie, mieux lui vau

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» drait n'être pas né.

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» Mais c'est là ce qui donne créance à ces paroles, la persécution. Aucune vérité ne » s'établit sans martyrs, excepté celles qu'enseigne Euclide. On ne persuade qu'en souf» frant pour ses opinions, et saint Paul di»sait: Croyez-moi, car je suis souvent en prison. S'il eût vécu à l'aise et se fût enri

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chi du dogme qu'il prêchait, jamais il n'eût » fondé la religion de Christ. Jamais F........ ne » fera de ses homélies que des emplois et un » carosse. Toi donc, vigneron, Paul-Louis » qui seul en ton pays consens à être homine » du peuple, ose encore être pamphlétaire » et le déclarer hautement. Écris, fais pamphlet sur pamphlet, tant que la matière ne »te manquera. Monte sur les toits, prêche l'évangile aux nations et tu en seras écouté, » si l'on te voit persécuté. Car il faut cette. » aide et tu ne ferais rien sans M. de Broë. » C'est à toi de parler et à lui de montrer » par son réquisitoire la vérité de tes paroles. » Vous entendant ainsi et secondant l'un l'au» tre, comme Socrate et Anytus, vous pou» vez convertir le monde. »

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Voilà l'épître que je reçois de mon tant bon ami sir John, qui, sur les pamphlets, pense et me conseille au contraire de M. Arthus Bertrand. Celui-ci ne voit rien de si abominable, l'autre rien de si beau. Quelle différence! et remarquez; le Français léger ne fait cas que des lourds volumes, le gros Anglais veut mettre tout en feuilles volantes, contraste singulier, bizarrerie de nature! Si je pouvais compter que de-là l'Océan les choses sont ainsi qu'il me les représente, j'irais; mais j'entends dire que là, comme en Europe,

il y a des Excellences et bien pis, des héros. Ne partons pas, mes amis, n'y allons point encore. Peut-être, Dieu aidant, peut-être aurons-nous ici autant de liberté, à tout prendre, qu'ailleurs, quoiqu'en dise sir John. Bonhomme en vérité ! J'ai peur qu'il ne s'a buse, me croyant fait pour imiter Socrat e jusqu'au bout. Non, détournez ce calice; la cigüe est amère, et le monde de soi se convertit assez sans que je m'en mêle, chétif. Je serais la mouche du coche, qui se passera bien de mon bourdonnement. Il va, mes chers amis et ne cesse d'aller. Si sa marche nous paraît lente, c'est que nous vivons un instant. Mais que de chemin il a fait depuis cinq ou six siècles! A cette heure en plaine roulant, rien ne le peut plus arrêter.

FIN.

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