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pamphlet sans nulle difficulté. Je suis done pamphlétaire ? Je ne vous l'eusse pas dit par égard, ménagement, compassion du malheur; mais c'est la vérité. Au reste, ajoutat-il, si vous vous repentez, Dieu vous pardonnera (tant sa miséricorde est_grande ! ) dans l'autre monde. Allez, mon bon Monsieur, et ne péchez plus; allez à Sainte-Pélagie.

Voilà comme il me consolait. Monsieur, lui dis-je, de grâce encore une question. Deux, me dit-il, et plus, et tant qu'il vous plaira, jusqu'à quatre heures et demie qui, je crois, vont sonner. Bien, voici ma ques tion. Si, au lieu de ce pamphlet sur la souscription de Chambord, j'eusse fait un volume, un ouvrage, l'auriez-vous condamné ? Selon. J'entends, vous l'eussiez lu d'abord, pour voir s'il était condamnable. Oui, je l'aurais examiné. Mais le pamphlet vous ne le lisez pas? Non, parce que le pamphlet ne saurait être bon. Qui dit pamphlet, dit un écrit tout plein de poison. De poison? Oui, Monsieur, et de plus détestable, sans quoi on ne le lirait pas, s'il n'y avait du poison? Non, le monde est ainsi fait; on aime le poison dans tout ce qui s'imprime. Votre pamphlet que nous venons de condamner, par exemple, je ne le connais point; je ne sais

en vérité ni ne veux savoir ce que c'est ; mais on le lit ; il y a du poison. Monsieur le procureur du roi nous l'a dit, et je n'en doutais pas. C'est le poison, voyez-vous, que poursuit la justice dans ces sortes d'écrits. Car autrement la presse est libre; imprimez, publiez tout ce que vous voudrez, mais non pas du poison. Vous avez beau, dire, Messieurs, on ne vous laissera pas distribuer le poison. Cela ne se peut en bonne police, et le gouvernement est là qui vous en empê

chera bien.

Dieu, dis-je en moi-même tout bas, Dieu, délivre-nous du malin et du langage figuré ! Les médecins m'ont pensé tuer, voulant me rafraîchir le sang; celui-ci m'emprisonne de peur que je n'écrive du poison; d'autres laissent reposer leur champ, et nous manquons de blé au marché. Jésus, mon Sauveur, sauvez-nous de la métaphore.

Après cette courte oraison mentale, je repris: En effet, Monsieur, le poison ne vaut rien du tout, et l'on fait à merveille d'en ar rêter le débit. Mais je m'étonne comment le monde, à ce que vous dites, l'aime tant. C'est sans doute qu'avec ce poison il y a dans les pamphlets quelque chose... Oui, des sottises, des calembourgs, de méchantes plaisante ries. Que voulez-vous, mon cher Monsieur,

que voulez-vous mettre de bon sens en une misérable feuille ? Quelles idées s'y peuvent développer? Dans des ouvrages raisonnés au sixième volume à peine entrevoit-on où l'auteur en veut venir. Une feuille, dis-je, il est vrai, ne saurait contenir grand chose. Rien qui vaille, me dit-il, et je n'en lis aucune. Vous ne lisez donc pas les mandements de Monseigneur l'évêque de Troye pour le Carême et pour l'Avent? Ah! vraiment ceci diffère fort. Ni les pastorales de Toulouse sur la suprématie Papale? Ah! c'est autre chose eela. Donc à votre avis, quelquefois une brochure; une simple feuille..... Fi! ne m'en parlez pas, opprobre de la littérature, honte du siècle et de la nation, qu'il se puisse trouver des auteurs, des imprimeurs et des lecteurs de semblables impertinences. Monsieur, lui dis-je, les Lettres provinciales de Pascal.. Oh! Livre admirable, divin, le chef-d'œuvré de notre langue! Eh bien! Ce chef-d'œuvre divin, ce sont pourtant des pamphlets, des feuilles qui parurent... Non, tenez, j'ai làdessus mes principes, mes idées. Autant j'honore les grands ouvrages faits pour durer et vivre dans la postérité, autant je méprise et déteste ces petits écrits éphémères, ces papiers qui vont de main en main et parlent aux gens d'à-présent des faits, des choses

d'aujourd'hui; Je ne puis souffrir les' pam phlets. Et vous aimez les Provinciales, petites lettres, comme alors on les appelait, quand elles allaient de main en main. Vrai, conti nua-t-il sans m'entendre, c'est un de mes étonnements, que vous, Monsieur, qui, à voir, semblez homme bien né, homme édu qué, fait pour être quelque chose dans le monde; car enfin qui vous empêchait de devenir baron comme un autre? Honorable→ ment employé dans la police, les douanes, geôlier, ou gendarme, vous tiendriez un rang, feriez une figure. Non, je n'en reviens pas, un homme comme vous s'avilir, s'a baisser jusqu'à faire des pamphlets! Ne rou gissez-vous point? Blaise, lui répondis-je, Blaise Pascal n'était geôlier ni gendarme, ni employé de M. Franchet. Chut! Paix! Parlez plus bas, car il peut nous entendre. Qui donc? L'abbé Franchet? Serait-il si près de nous? Monsieur, il est partout. Voilà quatre heures et demie; votre humble serviteur. Moi le vôtre. Il me quitte et s'en alla courant.

Ceci, mes chers amis, mérite considération; trois si honnêtes gens, M. Arthus Bertrand, ce monsieur de la police, et M. de Broë, personnage éminent en science, en dignité, voilà trois hommes de bien ennemis des pamphlets. Vous en verrez d'autres assez

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et de la meilleure compagnie, qui trompent un ami, séduisent sa fille ou sa femme, prê tent la leur pour obtenir une place honorable, mentent à tout venant, trahissent manquent de foi et tiendraient à grand déshonneur d'avoir dit vrai dans un écrit de quinze ou seize pages. Car tout le mal est dans ce peu. Seize pages, vous êtes pamphlétaire et gare Sainte-Pélagie. Faites en seize cents, vous serez présenté au roi. Malheu reusement je ne saurais. Lorsqu'en 1815 le maire de notre commune, celui-là même d'à-présent, nous fit donner de nuit l'assaut par ses gendarmes, et du lit traîner en prison de pauvres gens qui ne pouvaient mais de la révolution, dont les femmes, les enfants périrent, la matière était ample à fournir des volumes, et je n'en sus tirer qu'une feuille, tant l'éloquence me manqua. Encore m'y pris-je à rebours. Au lieu de décliner mon nom et de dire d'abord comme je fis, mes bons messieurs, je suis Tourangeau, si j'eusse commencé Chrétiens, après les attentats inouis d'une infernale révolution.... dans le goût de l'abbé de la Mennais, une fois monté à ce ton, il m'était aisé de continuer et mener à fin mon volume sans fâcher le procureur du roi. Mais je fis seize pages d'un style à peu-près comme je vous parle, et je fus

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