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correctement son nom. Je le trouve encore contesté, Monsieur, par la manière dont vous écriviez votre nom jusqu'à la restauration, et j'aime mieux penser que vous ne vous êtes trompé que dix ans, plutôt que de penser que vous vous êtes trompé vingt ans.

Voilà, Monsieur, une suite de faits, d'objections et de raisonnements qui égare ceux qui recherchent l'exactitude authentique de votre nom, comme ceux qui cherchent à s'instruire sur l'affinité ou la différence de votre famille avec celle de Maximilien de Béthune, baron de Rosny, duc de Sully. La solution de ce problème est nécessaire à ceux qui écriront désormais l'histoire du Boulonnais où vous êtes maintenant appelé à figurer un jour; et je la désire, parce que je réunis des matériaux pour ce travail, si judicieusement mené jusqu'en 1803 ou 1804 par M. Henry.

J'ai l'honneur d'être bien sincèrement,
Monsieur, votre très humble et très

obéissant serviteur,

LÉON DE CHANLAIRE,

électeur du collège du Pas de Calais.

PAMPHLET DES PAMPHLETS.

PENDANT que l'on m'interrogeait à la préfecture de police, sur mes noms, prénoms, qualités, comme vous avez pu voir dans les gazettes du temps, un homme se trouvant là sans fonctions apparentes, m'aborda familièrement, me demanda confidemment si je n'étais point auteur de certaines brochures; je m'en défendis fort. Ah! Monsieur. me dit-il, vous êtes un grand génie, vous êtes inimitable. Ce propos, mes amis, me rappela un fait historique peu connu que je vous veux conter par forme d'épisode, digression, parenthèse, comme il vous plaira; ce m'est

tout un.

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Je déjeûnais chez mon camarade Duroc, logé en ce temps-là, mais depuis peu, notez, dans une vieille maison fort laide, selon moi, entre cour et jardin, où il occupait le rezde-chaussée. Nous étions à table, plusieurs, joyeux, en devoir de bien faire, quand tout

coup arrive, et sans être annoncé, notre camarade Bonaparte, nouveau propriétaire de la vieille maison habitant le premier étage,

I venait en voisin, et cette bonhomie nous étonna au point que pas un des convives ne savait ce qu'il faisait. On se lève, et chacun demandait : Qu'y a-t-il ? Le héros nous fit rasseoir. Il n'était pas de ces camarades à qui l'on peut dire, mets-toi et mange avec nous Cela eût été bon avant l'acquisition de la vieille maison. Debout à nous regarder, ne sachant trop que dire, il allait et venait. Ce sont des artichauts dont vous déjeûnez là ? Oui, général. Vous, Rapp, vous les mangez à l'huile? Oui, général. Et vous, Savary, à la sauce? moi, je les mange au sek. Ah! général, répond celui qui s'appelait alors Savary, vous êtes un grand homme; vous êtes inimitable.

Voilà mon trait d'histoire que je rapporte exprès, afin de vous faire voir, mes amis, qu'une fois on m'a traité comme Bonaparte, et par les mêmes motifs. Ce n'était pas pour rien qu'on flattait le Consul, et quand ce bon Monsieur, avec ses douces paroles, se mit à me louer si démesurément que j'en faillis perdre contenance, m'appelant homme sans égal, incomparable, inimitable, il avait son dessein, comme m'ont dit depuis des gens qui le connaissent, et voulait de moi quelque chose, pensant me louer à mes dépens. Je ne sais s'il eut contentement. Après maints dis

cours, maintes questions, auxquelles je répondis le moins mal que je pus; Monsieur, me dit-il en me quittant, Monsieur, écoutez, croyez-moi; employez votre grand génie à faire autre chose que des pamphlets.

J'y ai réfléchi et me souviens qu'avant lui M. de Broë, homme éloquent, zélé pour la morale publique, me conseilla de même, en termes moins flatteurs, devant la Cour d'as sises. Vil pamphlétaire.... Ce fut un mouvement oratoire des plus beaux, quand se tour nant vers moi qui, foi de paysan, ne songeais à rien moins, il m'apostropha de la sorte: Vil pamphlétaire, etc., coup de foudre, non de massue, vu le style de l'orateur, dont il m'assomma sans remède. Ce mot soulevant contre moi, les juges, les témoins, les jurés, l'assemblée (mon avocat lui-même en parut ébranlé), ce mot décida tout. Je fus con damné dès l'heure dans l'esprit de ces messieurs, dès que l'homme du roi m'eut appelé pamphlétaire, à quoi je ne sus que répondre Car il me semblait bien en mon âme avoir fait ce qu'on nomme un pamphlet; je ne l'eusse osé nier. J'étais donc pamphlétaire à mon propre jugement, et voyant l'horreur qu'un tel nom inspirait à tout l'auditoire, je demeurai confus.

Sorti de là, je me trouvai sur le grand

et

degré avec M. Arthus Bertrand, libraire, un de mes jurés, qui s'en allait dîner, m'ayant déclaré coupable. Je le saluai; il m'accueillit, car c'est le meilleur homme du monde, chemin faisant, je le priai de me vouloir dire ce qui lui semblait à reprendre dans le Simple Discours condamné. Je ne l'ai point lu, me dit-il; mais c'est un pamphlet, cela me suffit. Alors je lui demandai ce que c'était qu'un pamphlet, et le sens de ce mot qui, sans, m'être nouveau, avait besoin pour moi de quelque explication. C'est, répondit-il, un écrit de peu de pages comme le vôtre, d'une feuille ou deux seulement. De trois feuilles, repris - je, serait-ce encore un pamphlet? Peut-être, me dit-il, dans l'acception com. mune; mais proprement parlant, le pamphlet n'a qu'une feuille seule; deux ou plus font une brochure. Et dix feuilles? quinze feuilles? vingt feuilles? Font un volume, dit-il, un ouvrage.

Moi, là dessus, Monsieur, je m'en rapporte à vous qui devez savoir ces choses. Mais hélas ! j'ai bien peur d'avoir fait en effet un pamphlet, comme dit le procureur du roi. Sur votre honneur et conscience, puisque vous êtes juré, monsieur Arthus Bertrand, mon écrit d'une feuille et demie est-ce pamphlet ou brochure? Pamphlet, me dit-il,

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