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COLLECTION.

DE LETTRES ET ARTICLES

PUBLIÉS

DANS DIFFÉRENTS JOURNAUX.

COURIER FRANÇAIS. — 23 mai 1822. Lettre en réponse à un article du Drapeau blanc, inséré dans le numéro du 14 mai 1822.

Au rédacteur du Drapeau Blanc..

MONSIEUR,

Je lis dans votre journal qu'aux élections de Chinon, M. le marquis d'Effiat a obtenu deux cent vingt voix, et que son concurrent (c'est moi sans vanité que vous nommez ainsi) en a eu cent soixante. Cela peut être vrái, je ne le conteste point; j'aime mieux m'en rapporter, comme vous avez fait aux scrutateurs choisis par M. le mar quis mais de grâce, corrigez cette façon de parler. Je ne fus concurrent de personne à

:

Chinon, n'ayant nulle part concouru, que je sache, avec qui que ce soit je n'ai demandé ni souhaité d'être député, non que je ne tinsse à grand honneur d'être vraiment élu, comme dit Benjamin - Constant; mais diverses raisons me le faisaient plutôt craindre que désirer les périls de la tribune, l'appréhension fondée de mat remplir l'attente de ceux qui me croyaient capable de quelque chose pour le bien général, plus que tout, l'embarras d'être d'une assemblée où je n'aurais pu me taire en beaucoup d'occasions sans trahir mon mandat, ni parler sans risquer d'outre-passer la mesure de ce qui s'y peut dire: vous m'entendez assez. Pour M. le marquis, de tels inconvénients n'étaient point à redouter. Il sera dispensé de parler, et peut opiner du bonnet, chose qui ne m'eût pas été permise. Il n'aura qu'à recueillir les fruits de sa nomination; c'est pour lui une bonne affaire; aussi s'en était-il occupé de longue main avec l'attention et le soin que méritait la chose. Il a heureusement réussi ; aidé de toute la puissance du gouvernement, de son pouvoir comme maire du lieu, de son influence comme président, de sa fortune considérable; tandis que 'moi, son concurrent, pour user de ce mot avec vous, moi laboureur, je n'ai bougé de ma charrue.

Quelques personnes, dont l'estime ne m'est nullement indifférente, m'ont blâme de cette tranquillité. On n'exigeait pas de moi de tenir table ouverte comme un riche marquis, de loger, de défrayer, nourrir et transporter à mes dépens les électeurs; mais on voulait qu'au moins je parusse à Chinon. Un homme de grand sens (1), qui s'est rendu célèbre en enseignant et pratiquant la philosophie, a dit à ce sujet qu'il ne donnerait sa voix, s'il était électeur, qu'à quelqu'un qui la demanderait, à un candidat déclaré : je n'ai pu savoir ses raisons. Il en a sans doute, et de fort bounes; quant à moi, le raisonnement n'est pas ce qui mé guide en cela, c'est une répu-' gnance invincible à postuler, solliciter : j'ai pour moi des exemples à défaut de raisons. Montaigne et Bodin furent tous deux députés aux états de Blois sans l'avoir demandé. Pareille chose est arrivée de nos jours, en Angleterre, à Samuel Romilly, et je pense aussi à Sheridan. Voilà de graves autorités; vous me citerez Caton, qui demanda le consulat ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux; on lui préféra Vatinius, le plus grand ma raud de ce temps-là. Mon désappointement, si j'eusse brigué, comme Caton, serait moins

(1) Le procureur Cousin.

fâcheux que le sien. M. le marquis d'Effiat est un fort honnête homme, et même je crois ses scrutateurs de fort honnêtes gens,

aussi.

D'ailleurs je suis élu dans le sens de Benjamin, je suis vraiment élu, comme vous allez yoir; car aux cent soixante voix que m'accorde. le bureau de M. le marquis d'Effiat, si vous ajoutez celles des électeurs absents par diffé rentes causes, qui tous étaient miens sans nul doute, et puis les voix de ceux des électeurs présents qui n'osèrent, sous les yeux de M.

le

marquis, écrire un autre nom que le sien, de ceux qui, ne sachant pas hre,....... de ceux encore.....; mais que sert ? Voilà déjà bien plus que la majorité. Je puis donc dire que je suis l'élu du département, et que M. le marquis est l'élu des ministres. Cela vaut mieux pour lui, je crois; l'autre me convient davantage. Que si, sortant un peu de la salle électorale, nous prenions les votes de ceux qui paient moins de cent écus, ou n'ont pas trente ans d'âge, parmi ceux-là, Monsieur, j'aurais beaucoup de voix. En effet, les amis de M. le marquis se trouvaient là tous dans cette salle, où pas un d'eux ne manqua de se rendre, gens dont la grande affaire, l'unique affaire était l'élection du marquis. Au lieu que mes amis, à moi, dispersés, occupés

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ailleurs, dans les champs, dans les ateliers, partout où se faisait quelque chose d'utile, n'étaient aux élections qu'en petite partie : la millième partie ne se trouvait pas là présente. -J'ai pour amis tous ceux qui ne mangent pas du budget, et qui comme moi, vivent de travail. Le nombre en est grand dans ces pays et augmente tous les jours. En un mot, s'il faut vous le dire, mes amis ici sont dans le peuple; le peuple m'aime, et savez-vous, Monsieur, ce que vaut cette amitié? il n'y en a point de plus glorieuse; c'est de cela qu'on flatte les rois. Je n'ai garde, avec cela, d'envier au marquis la faveur des ministres, et ses deux cent vingt voix, pour lesquelles je ne donnerais pas, je vous assure, mes cent soixante, non quêtées, non solicitées.

J'ai l'honneur d'être, etc.

Véretz, le 18 mai.

COURIER FRANÇAIS. -1er février 1823.

(Le public entendit mal cette lettre: on y chercha des allusions qui n'y étaient pas. Ce fut la faute de l'auteur; le public ne peut avoir tort. Il s'agit d'un fait véritable, le procès de PaulLouis Courier contre certains chasseurs anglais. Cette affaire fut arrangée par l'entremise de quel ques amis).

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