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lorsque vous voyez là emplois, argent, » cordons et le baron de Frimont? »

Il y a ici injure à la nation entière. Car on l'accuse de se laisser mener par les préfets, et ceux-ci de mener la nation. Quelle insigne fausseté! Voyez la médisanc! Accuser la nation d'une si lâche faiblesse, les préfets d'ur e telle audace, n'est-ce pas outrager à la fois et la morale publique et celle des préfets? II faut donc venger la morale, qui est, dit maître de Broë, le patrimoine du peuple. Oui, que le peuple ait la morale; c'est son vrai patrimoine. Cela vaut mieux que des terres; et vengeons, punissons. Variations sur cet air: oui, punissons, vengeons.

Pour conclure, maître de Broë prie, dans son patois, les jurés de réprimer vigoureusement tous ceux qui écrivent en français, et se font lire avec plaisir. Sûr de son affaire, il s'écrie: La société sera satisfaite! (C'est la société de Jésus.)

Tel fut, en substance, le dire de M. l'avo cat-général; et toutes ses raisons, si longuement déduites que personne, hors les intéressés, n'eut la patience de l'écouter, furent encore étendues, développées, amplifiées dans le résumé très prolixe qu'en fit M. le président, où même il ajouta du sien, disant que l'auteur de la brochure écrivait pour encou

rager la prostitution, et gâter, par ce vilain mot, l'innocence des courtisans. Mais ceci vint ensuite; il s'agit à présent de la belle harangue de maître de Broë.

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Ce discours, m'a-t-on dit, n'est pas extraordinaire au barreau, où l'on entend des choses pareilles, chaque jour, en plein tribunal, prononcées avec l'assurance que n'avaient pas les Daguessean. Nous en sommes surpris, nous à qui cela est nouveau, et concevons malaisément qu'un homme, siégant. comme on dit, sur les fleurs de lis, sachant lire, un homme ayant reçu l'éducation commune, puisse manquer assez de sens, d'ins truction, de goût, pour ne trouver dans ces paroles d'un paysan à un grand prince, ton métier sera de régner, qu'une injure, et ne pas sentir que ce mot vulgaire de métier, relève, ennoblit l'expression, par cela même qu'il est vulgaire, tellement qu'elle ne serait pas déplacée dans un poème, une composition du genre le plus élevé, une ode à la louange du prince. Si on n'en saurait dire autant des autres termes employés par l'auteur, dans le même endroit, ils ont tous du moins le ton de simplicité naïve convenable au personnage qui parle, et le public ne s'y est pas trompé, souverain juge en ces matières. Personne avant le sens commun n'a vu

là-dedans rien d'offensant pour le jeune prince, auquel il serait à souhaiter qu'on fit entendre ce langage de bonne heure, et toute sa vie. Mais il ne faut pas l'espérer. Car tous les courtisans sont des Jean de Broë qui croient ou font semblant de croire qu'on outrage un grand, quand' d'abord pour lui parler on ne se met pas la face dans la boue. Ils ont leurs bonnes raisons, comme dit la brochure, pour prétendre cela, et trouvent leur compte à empêcher que jamais front d'homme n'apparaisse à ceux qu'ils obsèdent. Cependant, il faut l'avouer, queiques-uns peuvent être de bonne foi, qui, habitués. comme tous le sont aux sottes exagérations de la plus épaisse flagornerie, finissent pas croire insultant, tout ce qui est simple et uni; insolent, tout ce qui n'est pas vit. C'est par là, je crois, qu'on pourrait excuser maître de Broë: Car il n'était pas né peut-être avec cette bassesse de sentiments.Mais une place, une cour à faire.... Le même jour qui met un homme libre aux fers Lui ravit la moitié de sa vertu première.

Et voilà comme généralement on explique la persécution élevée contre cette brochure, au grand étonnement des gens les plus sensés du parti même qu'elle attaque. Répandue dans le public, elle est venue aux mains de

quelques personnages comme Jean de Broë, mais placés au-dessus et en pouvoir de nuire, qui, aux seuls mots de métier, de layette de bavette, sans examiner autre chose, aussi incapables d'ailleurs de goût et de discernement, que d'aucune pensée tant soit peu généreuse, crurent l'occasion belle pour dêployer du zèle, et crièrent outrage aux personnes sacrées. Mais on se moqua d'eux, il fallut renoncer à cette accusation. Un duc, homme d'esprit, quoiqu'infatué de son nom, trouva ce pamphlet piquant, le relut plus d'une fois, et dit: Voilà un écrivain qui ne nous flatte point du tout. Mais d'autres ducs ou comtes, et le sieur Siméon, qui ne sont pas gens à rien lire, ayant ouï parler seulement du peu d'étiquette observée dans cette brochure, prirent feu là-dessus, tonnèrent contre l'auteur, comme ce président qui jadis voulut faire pendre un poète pour avoir tutoyé le prince dans ses vers. Si maître Jean a des aïeux, s'il descend de quelqu'un, c'est de ce bon president, et si vous n'en sortez, vous en devez sortir (1), maître Jean Broë Mais qu'est-ce donc que la cour, où des mots comme ceux-là soulèvent, font explosion? et quelle condition que celle des souverains entourés, dès le berceau, de pareilles gens ! (1) Boileau.

Pauvre enfant! O mon fils, né le même jour, que ton sort est plus heureux. Tu entendras le vrai, vivras avec les hommes, tu connaîtras qui t'aime ; ni fourbes, ni flatteurs n'approcheront de toi.

Après l'avocat-général, Me Berville parla pour son client, et dit :

MESSIEURS LES JURÉS,

Si, revêtus du ministère de la parole sacrée, vous veniez annoncer aux hommes les vérités de la morale, on ne vous verrait point, sans doute, timides censeurs, faciles moralistes, composer avec la corruption et dégrader, par des ménagements prévaricateurs, votre auguste caractère. Vous sauriez vous armer, pour remplir vos devoirs, d'indépendance et d'austérité. La haine du vice ne se cacherait point sous les frivoles délicatesses d'un langage adulateur; vos paroles, animées d'une vertueuse énergie, lanceraient tour à tour sur les hommes dépravés les foudres de l'indignation et les traits pénétrants du sarcasme. Vous n'iriez point contrister le pauvre, alarmer la conscience du faible, et baisser, devant le vice puissant, un œil indignement respectueux; mais votre voix généreuse autant que sévère, flétrirait jusque sous la pourpre les bassesses de la flatterie et la corruption des cours. Fau

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