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pas s'en servir habilement, soit pour donner à son style de la grâce dans les petits détails et les discours familiers, soit pour le relever à propos: car c'est chose reconnue de tous les anciens rhéteurs, que les archaïsmes, pourvu qu'on n'en abuse point, ennoblissent le lan gage; mais la mesure en cela est difficile à garder. Salluste ne sut pas l'observer. Il se fit une étude de parler à l'antique, et encou rut le blâme de ses contemporains, ayant pillé le vieux Caton sans discrétion, disait Auguste. La Fontaine lui-même, chez nous, tout divin qu'il est, et le premier de nos écrivains pour la connaissance de la langue, souvent ne distingue pas assez le français du gaulois. Virgile seul, plein d'archaïsmes, se pare et s'embellit des dépouilles d'Ennius, et chez lui le vieux style a des grâces nouvelles.

Mais que dire d'Apulée, qui, sous les Césars, veut parler la langue de Numa? Je doute fort que de son temps on le pût lire sans commentaire. Il a senti l'agrément que donnait à l'auteur grec ce vernis d'antiquité répandu sur sa diction, et il pense l'imiter! Firenzuola, en traduisant le latin d'Apulée, a su éviter cet excès. Sans reproduire les phrases obscures, les termes oubliés de Fra Jacopone ou du Cavalcanti, il emprunte du vieux toscan une foule d'expressions naïves et charmantes; et

sa version où l'on peut dire que sont amassées toutes les fleurs de cet admirable langage, est, au sentiment de bien des gens, ce qu'il y a de plus achevé en prose italienne.

On ne trouvera point ces beautés dans ma traduction. Aussi n'était-ce pas mon but, quand même il m'eût été possible, non de dire mieux que mon auteur, mais de dire les mêmes choses et d'un ton approchant du sien, de représenter enfin, si j'ose ainsi parler, l'âne de Lucius avec son pas et son allure. Qui ne verrait dans cet ouvrage qu'une narration enjquée, une lecture propre à distraire aux heures de loisir, en jugerait comme ont pu faire les contemporains. Mais pour nous l'éloignement des temps y ajoute un autre intérêt. Comme monument des mœurs antiques, nous avons vraiment peu de livres aussi curieux que celui-ci. On y trouve des notions sur la vie privée des anciens, que chercheraient vainement ailleurs ceux qui se plaisent à cette étude. Voilà par où de tels écrits se recommandent aux savants. Ce sont des tableaux de pure imagination, où néanmoins chaque trait est d'après nature, des fables vraies dans les détails, qui non seulement divertissent par la grâce de l'invention et la naïveté du langage, mais instruisent en même temps

par les remarques qu'on y fait et les réflexions qui en naissent. C'est là qu'on connaît en effet comment vivaient les hom mes il y quinze siècles, et ce que le temps a pu changer à leur condition. Là se voit une vive image du monde tel qu'il était alors; l'audace des brigands, la fourberie des prêtres, l'insolence des soldats sous un gouvernement violent et despotique, la cruauté des maîtres, la misère des esclaves toujours menacés du supplice pour les moindres fautes; tout est vrai dans des fictions si frivoles en apparence, et ces récits de faits, non seulement faux, mais impossibles, nous représentent les temps et les hommes mieux que nulle chronique, à mon sens, Thucydide fait l'histoire d'Athènes; Ménandre, celle des Athéniens, aussi intéressante, moins suspecte que l'autre. Il y a plus de vérités dans Rabelais que dans Méžerai,

RÉPONSE

AUX ANONYMES

QUI ONT ÉCRIT DES LETTRES

A PAUL-LOUIS COURIER,

VIGNERON.

Je reçois quelquefois des lettres anony-mes; les unes, flatteuses, me plaisent, car j'aime la louange ; d'autres, moqueuses, piquantes, me sont moins agréables, mais beaucoup plus utiles : j'y trouve la vérité, trésor inestimable, et souvent des avis que ne me donneraient peut-être aucun de ceux qui me veulent le plus de bien. Afin donc que l'on continue à m'écrire de la sorte, pour mon très grand profit, je réponds à ees lettres par celle-cí imprimée, n'ayant autre moyen de la faire parvenir à mes correspondants, et répondrai de même à tous ceux qui voudraient me faire part de leurs sentiments sur ma conduite et mes écrits.

Un pareil commerce, sans doute, aurait

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