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faut être plus nombreux pour commencer l'exécution. » Darius à cela repart: « Hommes ici présents, sachez, de la façon que veut Otanès, que si vous suivez son avis, vous mourrez tous de male mort; car quelqu'un vous dénoncera au mage pour en avoir profit: vous deviez dès l'abord prendre sur vous le tout; mais puisqu'il vous a plu diviser ce péril et m'en faire participant, mettons la main à l'oeuvre aujourd'hui, ou sinon comp. tez que passé ce jour, je ne me laisse point prévenir par quelqu'autre, mais que j'irai moi-même vous déférer au mage. » A quoi Otanès le voyant avoir tant de hâte, répond:

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Puisque tu nous contrains et ne souffres point de remise, voyons, toi-même, dis-nous un peu de quelle manière nous pourrons entrer au palais et les assaillir; car les gardes, comme tu sais, pour l'avoir vu ou bien ouï dire, étant placées l'une devant l'autre à distances, comment les passerons-nous toutes?» «Darius alors lui repart: » Otanès, il est force choses qui ne se peuvent démontrer par discours mais bien par effet: et d'autres belles en propros, d'où ne sort puis après aucun notable effet apprenez donc, vous, que toutes ces gardes, comment qu'elles soient établies, ne sont point difficiles à passer; car d'abord étant ce que nous sommes nul

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n'osera nous arrêter, chacun ayant de nous ou crainte ou révérence : puis j'ai un prétexte tout propre à nous faire passer sans obstacle, qui est que j'arrive de Perse et viens porter au roi paroles de mon père; car où il est besoin de mensonge, mentons; car nous avons tous même désir, ceux qui parlent vrai comme ceux qui usent de tromperie : les uns mentent pour abuser et en tirer profit après, les autres veulent acquérir bruit de sincérité, pour profiter de la confiance qu'on peut mettre en eux. Ainsi, par moyens différents, nous cherchons tous mêmes avantages. S'ils n'y devaient rien profiter, l'un n'aurait souci de mentir non plus que l'autre de dire vrai or donc, celui des garde-portes qui nous aura laissé passer, quelque jour s'en trouvera bien; qui nous arrêtera soit traité en ennemi, en entrant à force, faisons œuvres de nos mains. »

Après Darius, Gobryas dit : « Amis quelle occasion plus belle aurons-nous jamais de sauver et de recouvrer l'empire, ou sinon mourir, nous que voilà, Perses commandés par un mage, par un Mède, lequel encore n'a point d'oreilles. Ceux d'entre vous qui se trouvèrent présents au trépas de Cambyse, vous savez les imprécations qu'il fit mourant, contre les Perses, s'ils ne tâchaient par tous

moyens à reprendre le commandement, ce qu'alors vous écoutâtes peu; car nous pensions qu'il le disait à dessein de tromper : maintenant donc, moi je me range au sentiment de Darius, qu'il ne nous faut quitter ce lieu, sinon pour aller droit au mage. »

Voilà ce que dit Gobryas, et que tous approuvèrent; mais tandis qu'il délibéraient, une chose avint par hasard. Les mages entre eux résolurent de se rendre ami Préxaspès, parce qu'il avait tout sujet de haïr Cambyse qui lui tua son fils d'un coup de flèche, et parce que seul il savait la mort de Smerdis fils de Cyrus, l'ayant tué de sa propre main, davantage était homme grandement estimé des Perses. Ils l'appellent donc pour tâcher à se l'acquérir, et l'obliger aussi par la foi du serment de tenir secrète et ne dire à qui que ce fut la tromperie qu'ils faisaient aux Perses, lui promettant grandes récompenses, et qu'il aurait tout à souhait. Puis, comme il consentit à ce qu'ils désiraient, ils lui proposèrent après, disant qu'ils allaient assembler les Perses sous le fort royal, l'enga gent à monter sur une tour, de là parler et certifier à tout le peuple que c'était Smerdis fils de Cyrus, non autre qui régnait. Ce qu'ils en faisaient était à cause qu'ils pensaient qu son témoignage aurait créance parmi les

Perses, mêmement qu'il avait plusieurs fois déclaré que Smerdis fils de Cyrus vivait, et se défendait de l'avoir tué. Prexaspès dit que volontiers, et les mages alors ayant convoqué les Perses, le firent monter sur une tour, et là lui dirent de parler; mais lui, ce qu'il avait promis de dire, il l'oublia exprès, et commençant d'Achéménès, conta toute la descendance de la race de Cyrus, puis arrivé à lui, finit en remémorant les grands biens que Cyrus avait faits aux Perses, et ayant narré toutes ces choses, il déclara la vérité que jusqu'alors il dit avoir tenue cachée, ne voyant pas sûreté pour lui à confesser le fait comme il était allé, mais qu'à l'heure présente force lui était de tout dire, et dit que, contraint par Cambyse, il avait lui-même tué Smerdis fils de Cyrus et que c'étaient les mages qui régnaient; et après de grandes imprécations qu'il prononça contre les Perses, s'ils ne recouvraient l'empire et ne punissaient les mages, il se précipite de la tour. Prexaspès donc ayant été homme de bien toute

sa vie, ainsi mourut,

Cependant les sept, délibérés d'attaquer aussitôt le mage, sans davantage demeurer, leur prière aux dieux faite, marchèrent, ne sachant rien de Prexaspès. Déjà ils étaient à mi-chemin, quand ils eurent nouvelle du

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fait de Prexaspès, sur quoi se tirant à l'écart, ils furent partagés d'avis, les amis d'Otanès voulant remettre l'exécution, ne bouger en cet état de choses; ceux de Darius poursuivre et ne point différer. Tandis qu'ils débattaient entre eux, sept couples d'éperviers parurent, lesquels donnaient la chasse à deux couples de vautours, les plumaient et griffaient en l'air; ce que voyant, tous d'une voix approuvèrent l'avis de Darius, et sur un tel présage marchèrent au palais. A l'entrée, leur avint ce qu'avait pensé Darius, à savoir que les gardes leur portant révérence comme aux premiers des Perses, de qui on n'eût jamais soupçonné rien de pareil, les laissèrent passer, non sans l'ordre des dieux, ainsi qu'il est à croire, et nul ne leur dit mot. Venus dans la cour, ils trouvèrent les eunuques chargés d'annoncer; ceux-là s'enquirent de ce qu'ils voulaient et parmi telle enquête querellaient la garde les avoir laissés entrer. Aucuns se mirent en devoir de les empêcher de passer outre; mais eux s'encourageant l'un l'autre et tirant la dague, en donnèrent à qui les voulut retenir, et tout d'un temps coururent à la salle des hommes. Les deux mages y étaient pour l'heure à délibérer touchant le fait de Prexaspès, lesquels comme ils ouïrent le tumulte et les cris que pous

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