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Lieutenant-Général au Gouvernement de Provence, et des Armées de Sa Majesté. Madame de Sévigné s'étoit flattée qu'en faisant le mariage de sa fille avec un homme de la Gour, elle passeroit sa vie avec elle, et n'avoit pas même prévu que Madame de Grignan, dont l'esprit, la jeunesse et la beauté étoient si propres à orner la Cour de Louis XIV, pouvoit s'en voir éloignée par cette même raison. Quoi qu'il en soit, M. de Grignan reçut, à quelque temps de là, un ordre du Roi pour se rendre en Provence, où dans la Suite il commanda presque toujours en l'absence de M. le Duc de Vendôme, qui en étoit Gouverneur. Cette circonstance obligea Madame de Grignan à faire de fréquents voyages en Provence, et devint pour Madame de Sévigné la source des plus grandes inquiétudes. Elle fut si excessivement touchée de cette séparation, qu'on eût dit que son amitié pour sa fille en étoit encore plus vive. Toutes ses pensées ne tournoient alors que sur les moyens de la revoir, tantôt à Paris où sa fille venoit la trouver, et tantôt en Provence où elle alloit chercher sa fille. Il étoit cependant impossible que dans les intervalles, il n'y eût des absences assez longues pour donner lieu à un commerce de Lettres, suivi de part et

d'autre avec la derniere-exactitude. Les Lettres de la mere, qui ont été soigneusement conservées, ne contribuent pas peu à nous faire regretter la perte des réponses de la fille. En effet, rien ne pouvoit être plus agréable que d'entendre parler Madame de Grignan, après avoir été présents, comme nous sommes en quelque sorte, à la conversation de Madame de Sévigné; mais nous devons, ce me semble, nous trouver encore très-heureux du partage qui nous est échu.

Ce fut vers la fin de Mai 1694, que Madame de Sévigné fit son dernier voya ge à Grignan. Elle y fut présente au mariage du Marquis de Grignan, son petitfils, avec Mademoiselle de Saint-Amant: on peut voir la jolie description qu'elle fait de cette noce dans une Lettre à M.

de Coulanges, du 3 Février 1695 (1). Elle parle dans une autre Lettre au même, du i5 Octobre 1695 (2), d'une maladie de Madame de Grignan en ces termes » Il y a trois mois que ma fille est » accablée d'une sorte de maladie, qu'on >> dit qui n'est point dangereuse, et que »je trouve la plus triste et la plus ef» frayante de toutes celles qu'on peut

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(1) Voyez le Recueil des Lettres chois.es.
(2) Ibidem.

ces,

» avoir. Je vous avoue, mon cher cou» sin, que je m'en meurs, et que je ne >>suis pas la maîtresse de soutenir toutes » les mauvaises nuits qu'elle me fait passer. » Enfin, son dernier état a été si violent, » qu'il en a fallu venir à une saignée du » bras; étrange remede, qui fait répan»dre du sang, quand il n'y en a déja que > trop de répandu; c'est brûler la bougie » par les deux bouts: c'est ce qu'elle nous disoit; car, au milieu de son ex» trême foiblesse et de son changement » rien n'est égal à son courage et à sa >> patience, etc. « Dans ces circonstanil est aisé d'imaginer ce que souffrit Madame de Sévigné: elle ne pouvoit craindre six mois durant, comme elle fit pour les jours de sa fille, sans que cela prit beaucoup sur sa santé; elle se relevoit les nuits pour aller voir si sa fille dormoit, et s'oublioit ainsi elle-même, pour ne songer qu'à l'état de Madame de Grignan. Excédée enfin de soins et de fatigues, elle tomba malade le 6 Avril 1696, d'une fievre continue, qui l'emporta le quatorzieme jour, à l'âge de soixante-dix ans et deux mois. Une fin pareille étoit bien digne de la tendresse qu'elle eut pour sa fille; mais les grands sentiments de Religion, qui lui firent demander et recevoir les derniers Sacre

ments

ments le cinquieme jour de sa maladie, ne permettent pas de douter, qu'en faisant à Dieu le sacrifice de sa vie, elle n'ait fait encore celui de sa tendresse même.

Les regrets de Madame de Grignan furent proportionnés à la grandeur de la perte qu'elle venoit de faire ; et rien. ne paroît moins fondé que l'opinion de ceux qui ont cru que la mere mourut brouillée avec la fille: il n'y eut tout au plus, dans le cours de leur vie, que quelques légers nuages que la seule tendresse avoit formés ; et quel autre sujet de plainte pouvoit donc avoir Madamede Grignan contre sa mere, si ce n'étoit d'en être aimée (1)?

Madame de Sévigné se peint si bien elle même dans ses Lettres, que, n'ayant pas voulu dérober au Lecteur le plaisir de l'entendre s'expliquer sur ce qui la touche je n'ai rien dit de plusieurs circonstances, de sa vie dont elle s'entretient avec saa fille. Qu'il me soit permis seulement d'ob server qu'il y auroit de l'injustice à juger du caractere de Madame de Sévigné, sur l'idée que nous en a laissée le Comte de: Bussy, son cousin, dans son Histoire amoureuse des Gaules (2), où tout le

(1). Quid enim nisi sequeretur: amatam 3 Ovid. Métam.

(2) Ecrite en 16593Tome. I

bien qu'il est comme forcé de dire de Madame de Sévigné, est exténué avec autant d'affectation, que les plus légers défaūts qu'il croit appercevoir en elle, sont malignement exagérés. On sait qu'il n'aimoit pas sa cousine en ce temps-là, et que dans la suite il chanta la palinodie, et dans ses Lettres, et dans ses Mémoires. Mais à ce portrait infidele de Madame de Sévigné, n'oublions pas d'opposer celui qu'en fit autrefois, sous le nom d'un inconnu, Madame de la Fayette (1), une de ses meilleures amies, et un des plus beaux esprits du siecle passé.

Tous ceux qui se mêlent de peindre » les belles, se tuent de les embellir pour aleur plaire, et n'oseroient leur dire un >> seul mot de leurs défauts. Pour moi » Madame, grace au privilege d'inconnu » dont je jouis auprès de vous, je m'en » vais vous peindre tout hardiment, et » vous dire vos vérités bien à mon aise,

sans crainte de m'attirer votre colere » Je suis au désespoir de n'en avoir que d'agréables à vous conter; car ce me seroit un grand plaisir, si, après vous > avoir reproché mille défauts, je me

(1) Marie-Madeleine de la Vergne, Comtesse de la Fayette, Auteur de plusieurs Ouvrages aussi estìmés pour l'agrément du style, que pour la délicaesse des sentiments.

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