Page images
PDF
EPUB

de plus. La Cour est consternée, le peuple verse des larmes sur son tombeau, la nation choisit les plus illustres Orateurs pour interpretes de la douleur publique et les Temples retentissent pendant plusieurs jours des éloges que la Patrie et la Religion doivent à sa mémoire.

Immortels Orateurs du siecle de Louis XIV, je lis avec attendrissement les discours que vous avez consacrés à la gloire de Turenne, j'applaudis à vos succès, et

suis loin de vous refuser l'admiration que vous doivent tous les âges. Mais peutêtre n'avez-vous pas assez approfondi le caractere de cet homme, qui fut si grand par sa vertu; peut-être l'apprêt de vos louanges diminue l'intérêt que je goûterois dans un plus simple récit ; peut-être l'art dépare trop des Eloges que l'effusion du cœur pouvoit seule élever à la hauteur d'un si beau sujet. Qu'il me soit permis, sans oublier vos chefs-d'œuvres, d'avouer que Madame de Sévigné vous a pour le moins égalés. Quel Orateur écrivit jamais rien de plus éloquent et de plus sublime?» La nouvelle de la mort de M. » de Turenne arriva Lundi à Versailles; » le Roi en a été affligé, comme on doit » létre de la perte du plus grand Capitai>>ne, et du plus honnête homme du mon» de toute la Cour en fut en larmes; on

» étoit prêt d'aller se divertir à Fontaine» bleau; tout a été rompu. Jamais hom» me n'a été regretté si sincérement.... » Tout Paris et tout le peuple étoit dans » le trouble et dans l'émotion; chacun >> parloit, s'attroupoit pour regretter ce » Héros. Dès le moment de cette perte, M. » de Louvois proposa au Roi de le rem» placer, en faisant huit Généraux au lieu » d'un..... Jamais homme n'a été si prêt » d'être parfait ; et plus on le connois» soit, plus on l'aimoit, et plus on le re» grette. Les soldats poussoient des cris » qui s'entendoient de deux lieues. Ils >> crioient qu'on les menât au combat; qu'ils » vouloient venger la mort de leur Gé»néral, de leur pere, de leur protec>>teur; qu'avec lui ils ne craignoient rien. >> Ils crioient qu'on les laissât faire, et » qu'on les menât au combat...... Ne croyez >> pas que son souvenir soit jamais fini dans » ce pays-ci; ce fleuve qui entraîne tout, » n'entraînera pas une telle mémoire «<.

J'aime à copier ces traits échappés à Madame de Sévigné, dans la plénitude de son affection; c'est la plus belle maniere de la louer. Mais si les Orateurs doivent envier la simplicité touchante d'un pareil récit, quel Poëte dramatique ne sera jaloux de cette scene si pathétique décrite par Madame de Sévigné, pour

annoneer à sa fille la mort de M. de Longueville? Tous les secrets de l'art sont devinés par la nature, et le sentiment y déploie sa sublimité. » Mademoiselle de Vertus étoit retournée à Port-Royal: » on est allé la chercher avec M. Ar»> naud, pour dire cette terrible nouvelle » à Madame de Longueville. Mademoi>> selle de Vertus n'avoit qu'à se montrer; » ce retour précipité marquoit bien quel» que chose de funeste. En effet, dès qu'elle » parut: Ah! Mademoiselle, comment se »porte mon frere? Sa pensée n'osa aller » plus loin. --Madame, il se porte bien » de sa blessure, il y a eu un combat. --Et » mon fils? On ne lui répondit rien. Ah! Mademoiselle, mon fils, mon cher enfant, répondez-moi, est-il mort? --Ma» dame, je n'ai point de parole pour vous » répondre. --Ah! mon cher fils! est-il » mort sur le champ? N'a-t-il pas eu un >> seul moment? Ah, mon Dieu, quel sa>> crifice! Et tout ce que la plus vive dou>> leur peut faire, et par des convulsions, » et par des évanouissements, et par un » silence mortel, et par des cris étouffés, et >> par des larmes ameres, et par des élans » vers le Cicl, et par des plaintes tendres >> et pitoyables; elle a tout éprouvé «. Cette mere qui demande, au premier bruit d'un combat, des nouvelles de son frere, et

[ocr errors]

dont la pensée n'ose aller plus loin; cette meretendre, qui craint de s'informer aussi-tôt de son fils, dont la conservation lui est plus précieuse que ceile de son propre frere, laisse bien loin, dans ce morceau, Andromaque et Clytemnestre, et toutes ces meres sensibles, dont le seul nom fait tant d'honneur au cœur humain.

Tous les sentiments de son cœur étoient peints dans ses Lettres; cette ame, où les grandes choses s'imprimoient si fortement, et où l'expression répondoit à l'image; cette ame étoit pleine de fermeté pour soutenir les maux. Quelle tranquillité au milieu des douleurs! Quelle facilité à en parler, à en badiner même ! >> J'ai commencé aujourd'hui la douche >> c'est une bonne répétition du purgatoire. » On est toute nue dans un petit lieu sou» terrain; derriere un rideau se met quel>> qu'un qui vous soutient le courage pen»dant une demi-heure. C'étoit pour moi » un Médecin de Ganet, qui a de l'esprit » et qui connoît le monde; il me parloit >> donc pendant que j'étois au supplice. Représentez-vous un jet d'eau bouillan»te contre quelqu'une des parties du » corps; on met d'abord l'alarme par>>tout, pour mettre en mouvement tous » les esprits; puis on s'attache aux joinptures qui ont été affligées; mais quand

[ocr errors]
[ocr errors]

> on vient à la nuque du col, c'est une >> sorte de feu et de supplice qui ne peut » se comprendre; c'est là cependant le » nœud de l'affaire; en l'on souffre tout, » et l'on n'est pas brûlé. Enfin, je ferai >> cette vie pendant sept ou huit jours; » c'est principalement pour finir cet adieu >> que l'on m'a envoyée ici, et je trouve » qu'il y a de la raison; je vais renouveller >> un bail de vie et de santé; vous pour»rez encore m'appeller votre bellissima

» madre «<.

>>

Vous appeller belle? Ah, mere incomparable! c'étoit la moindre de vos prérogatives. La bonté, l'indulgence, la douceur, tous les charmes d'une vertu généreuse se découvrent dans vos Lettres. >> Vous savez que je ne puis souffrir que »les vieilles gens disent, je suis trop vieux » pour me corriger; je pardonnerois plu» tôt aux jeunes gens de dire, je suis trop » jeune la jeunesse est si aimable, qu'il » faudroit l'adorer, si l'ame et l'esprit »étoient aussi parfaits que le corps. Mais quand on n'est plus jeune, c'est alors » qu'il faut se corriger, et regagner par » les bonnes qualités ce qu'on perd du côté » des agréables «<.

"

Ses Lettres présentent mille pensées détachées, mille maximes dignes de la Rochefoucault et de là Bruyere. » On aime Tome I. d

« PreviousContinue »