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térité; mais l'amertume dont son cœur étoit inondé au milieu de la Cour et des honneurs, faisoit fuir l'enjouement et les graces. Il falloit une liberté douce, une vie tranquille, une esprit calme; il falloit enfin le naturel heureux et la position singuliere de Madame de Sévigné, pour mettre dans un aussi beau jour cette imagination brillante et enjouée. Il falloit un objet d'affection tel que Madame de Griguan, pour produire ces élans du cœur, ces expressions de tendresse, si fortes et si touchantes; cet aimable abandon enfin, qui fait le charme le plus puissant des ses Lettres.

Qu'on juge du peu d'importance qu'el le y attachoit, par cet aimable reproche qu'elle fait à sa fille. » Quand je vous »écris des Lettres courtes, vous croyez

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que je suis malade; quand je vous en » écris de longues, vous craignez que je »ne le devienne; tranquillisez-vous. Quand » je commence une Lettre, j'ignore si elle sera longue ou courte ; j'écris tout » ce qui plaît, et tant qu'il plaît à mon » esprit et à ma plume; il m'est impossi» ble d'avoir d'autre regle ; et je m'en trou>> ve bien «<.

C'est à cette aimable indépendance que nous devons tant de traits précieux dans tous les genres; c'est cette plume légere et

vagabonde, quia produit des badinages si ingénieux, des traits d'éloquence si sublimes, des maximes de morale si excellentes.

Ici, je rougirois de louer Madame de Sévigné par des lieux communs, qui deviennent cependant des hommages mérités. Quand on parle de cette femme célebre, ce n'est pas au Panégyriste à exprimer son admiration par des hyperboles exagérées, il lui suffit de raconter ses jouissances, et d'indiquer tour à tour les divers tableaux qui l'ont frappé.

Quel abandon, quel enjouement dans ce badinage, d'autant plus piquant qu'il paroît d'abord sérieux et presque tragi que ! » J'avois envie de réduire à moitié »les Lettres que j'écris à d'Hacqueville, » afin de n'avoir qu'une médiocre part à » l'assassinat que nous commettons tous >> en l'accablant de nos affaires; mais il >> me mande que cela ne suffira pas à » son amitié. Puisque le régime que je lui >> avois prescrit ne lui convient pas, je » lâche la bride à toutes ses bontés, et >> lui rends la liberté de son écritoire ; >> si ce n'est moi qui le tue, ce sera un

>>> autre «<<.

Eh, qui n'est agréablement touché de ce mêlange d'indulgence et d'ironie qu'emploie Madame de Sévigné, pour peindre

à sa fille le détail de ses journées en Bretagne! Jamais la Philosophie n'a su mieux allier la finesse qui saisit les ridicules, avec cette raison saine qui excuse les travers en faveur de la bonhommie. » Je >> reçus hier toute la Bretagne; je fus en» suite à la Comédie; c'étoit Androma» que, qui me fit pleurer plus de six »larmes; c'étoit assez pour une Troupe

de campagne. Le soir on soupa, et puis » le bal: au reste, ne croyez pas que votre » santé ne soit pas bue; cette obligation » n'est pas grande; mais telle qu'elle est, » vous l'avez tous les jours à toute la Bre»tagne. Quarante Gentishommes avoient » dîné ensemble, et avoient bu ensemble » quarante santés; nous dînons à part » ceux-ci me parlent de vous; et nous >> rions un peu de notre prochain. Il est plaisant ici le prochain, sur-tout quand >> on a dîné «,

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Une lecture qu'elle fait par hazard, vient naturellement embellir ses récits; et la morale qu'elle en tire s'applique de même à tout ce qu'elle veut dire. » Je poursuis cette lecture de Nicole, que je » trouve délicieuse; elle ne m'a encore » donné aucune leçon contre la pluie; mais »j'en attends; car j'y trouve tout, et le temps est épouvantable. Cependant la conformité à la volonté de Dieu pour

>Toit seule me suffire, si je ne voulois un >> remede spécifique «.

Son imagination toujours brillante dans les sujets les plus arides, prend un nouvel éclat lorsque l'objet de ses descriptions est susceptible de la richesse de ses couleurs. Elle a déployé tout son talent pour cette poésie descriptive, en peignant cette même Ville, où nous nous disputons aujourd'hui l'honneur de la célébrer elle-même. » Jesuis ravie de la beau» té de Marseille; et l'endroit d'où je dé» couvris la mer, les bastides, les mon»tagnes, est une chose étonnante. Une » foule de Chevaliers vinrent voir M. de Grignan des noms connus, des aven» turiers, des épées, des chapeaux du bel » air, une idée de guerre, de Romans, » d'embarquement, d'aventures, de chaî»nes, de fers, d'esclaves, de servitude, » de captivité moi qui aime les Romans, »je suis transportée; il y a cent mille ames >> au moins de vous dire combien il y en »a de belles, c'est ce que je n'ai pas le loi» sir de compter «.

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On aime à mettre en opposition avec ce charmant tableau, la peinture qu'elle fait dans le même genre, de cette noce brillante de Mademoiselle de Louvois, où l'on découvre un but moral, si bien indiqué, et cependant à peine apperçu par le com

mun des lecteurs; je veux dire de l'empressement de la bassesse, qui prodigue les hommages au crédit. » J'ai été à cette » noce de Mademoiselle de Louvois; que » vous dirai-je ? Magnificence, illumina» tions, toute la France, habits rebattus. >> et rebrochés d'or, pierreries, brasiers, » de feu et de fleurs, embarras de caros>>ses, cris dans la rue, flambeaux allu» més, reculements et gens roués; enfin » le tourbillon, la dissipation, les deman>> des sans réponses, les compliments sans » savoir ce qu'on dit; les civilités sans > savoir à qui l'on parle; les pieds entor» tillés dans les queues: au milieu de tout >> cela, il est sorti quelques questions de » votre santé à quoi ne m'étant pas pres»sée de répondre, ceux qui les faifoient » font demeurés dans l'ignorance, et vrai» semblablement dans l'indifférence de ce » qui en est. O vanité des vanités ! «.

Cette plume si légere, et cependant si profonde, sous cette apparence de légéreté, traçoit, avec la même simplicité, les événements les plus dignes de la haute éloquence. Un homme, qui, au jugement de nos ennemis même, honoroit la nature humaine, est enlevé à la France; Turenne meurt la veille d'un combat ; et nous devons regretter à jamais, que ce héros n'ait pas vécu vingt-quatre heures

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