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incessamment que s'il écrivoit deux fois la semaine à quelqu'un, il le haïroit bientôt à la mort.

LETTRE LXX VII.

A LA MÊME.

Aux Rochers, mercredi 5 Août 1671.

JE
E suis bien aise que M. de Coulanges
vous ait mandé les nouvelles. Vous ap-
prendrez encore la mort de M. de Guise,
dont je suis accablée quand je pense à la
douleur de Mademoiselle de Guise. Vous
jugez bien, ma fille, que ce ne peut être
que par la force de mon imagination que
cette mort m'inquiete, car du reste, rien,
ne troublera moins le repos de ma vie.
Vous savez comme je crains les reproches
qu'on peut se faire à soi-même. Mademoi-
selle de Guise n'a rien à se reprocher que
la mort de son neveu; elle n'a jamais.
voulu qu'il ait été saigné ; la quantité du
sang a causé le transport au cerveau : voilà
une petite circonstance bien agréable. Je
trouve que dès qu'on tombe malade à Pa-
ris, on tombe mort; on n'a jamais rien.
vu de pareil.

Vous aurez maintenant des nouvelles de nos Etats pour votre peine d'être Bre

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:

tonne. M. de Chaulnes arriva dimanche au soir au bruit de tout ce qui en peut faire à Vitré le lundi matin il m'écrivit une lettre; j'y fis réponse par aller dîner avec lui. On mange à deux tables dans le même lieu; il y a quatorze couverts à chaque table; Monsieur en tient une, et Madame l'autre. La bonne chere est excessive, on remporte les plats de rôti tout entiers; et pour les pyramides de fruits, il faut faire hausser les portes. Nos peres ne prévoyoient pas ces sortes de machines, puisque même ils ne comprenoient pas qu'il fallût qu'une porte fût plus haute qu'eux. Une pyramide veut entrer, une de ces pyramides qui font qu'on est obligé de s'écrire d'un bout de la table à l'autre ; mais bien loin que cela blesse ici, on est souvent fort aise au contraire de ne plus voir ce qu'elles cachent; cette pyramide donc, avec vingt ou trente porcelaines, fut si parfaitement renversée à la porte, que le bruit en fit taire les violons, les hautbois et les trompettes. Après le dîner, Messieurs de Lomaria et Coëtlogon danserent avec deux Bretonnes des passe-pieds merveilleux, et des menuets d'un air que les courtisans n'ont pas à beaucoup près: ils y font des pas de Bohémiens et de BasBretons avec une délicatesse et une justesse qui charme. Je pensois toujours à vous,

et j'avois un souvenir si tendre de votre. danse, et de ce que je vous avois vu danser, que ce plaisir me devint une douleur. Je suis assurée que vous auriez été ravie de voir danser Lomaria: les violons et les passe-pieds de la Cour font mal au cœur au prix de ceux-là; c'est quelque chose d'extraordinaire que cette quantité de pas différents et cette cadence courte. et juste; je n'ai point vu d'homme danser comme Lomaria cette sorte de danse.. Après ce petit bal, on vit entrer tous ceux qui arrivoient en foule pour ouvrir les Etats. Le lendemain M. le premier Président, Messieurs les Procureurs et AvocatsGénéraux du Parlement, huit Evêques, Messieurs de Molac, la Coste et Coëtlogon le pere, M. Boucherat (1) qui vient, de Paris, cinquante Bas-Bretons dorés jusqu'aux yeux, cent communautés. Le soir, devoient venir Madame de Rohan d'un côté, et son fils de l'autre, et M. de Lavardin dont je suis étonnée. Je ne vis point ces derniers, car je voulus venir coucher ici, après avoir été à la tour de Sévigné voir M. d'Harouïs, et Messieurs de Fouché et Chesieres qui arrivoient. M. d'Hareuis vous écrira; il est comblé de vos honnêtetés : il a reçu deux de vos lettres à Nantes, dont je vous suis encore (1) Depuis Chancelier de France.

plus obligée que lui. Sa maison va être le Louvre des Etats: c'est un jeu, une chere, une liberté jour et nuit qui attirent tout le monde. Je n'avois jamais vu les Etats, c'est une assez belle chose. Je ne crois pas qu'il y ait une Province rassem blée qui ait un aussi grand air que celleci; elle doit être bien pleine du moins car il n'y en a pas un seul à la guerre ni à la Cour; il n'y a que le petit Guidon (2), qui peut-être reviendra un jour comme les autres. J'irai tantôt voir Madame de Rohan ; il viendroit bien du monde ici si je n'allois à Vitré: c'étoit une grande joie de me voir aux Etats, où je ne fus de ma vie ; je n'ai pas voulu en voir l'ouverture, c'étoit trop matin. Les Etats ne doivent pas être longs; il n'y a qu'à demander ce que veut le Roi; on ne dit pas un mot; voilà qui est fait. Pour le Gouverneur, il trouve, je ne sais pas comment, plus de quarante mille écus qui lui reviennent une infinité de présents, des pensions, des réparations de chemins et de villes, quinze ou vingt grandes tables, un jeu continuel, des bals éternels, des comédies trois fois la semaine, une grande braverie: voilà les Etats. J'oublie trois ou quatre cents pipes de vin qu'on y boit:

(2) M. de Sévigné son fils, Guidon des Gendarmes Dauphi ns.

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mais si je ne comptois pas ce petit article, les autres ne l'oublient pas, et c'est le premier, Voilà ce qui s'appelle des contes à dormir debout; mais cela vient au bout de la plume quand on est en Bretagne, et qu'on n'a pas autre chose à dire. J'ai mille compliments à vous faire de M. er de Madame de Chaulnes. J'attends le -vendredi où je reçois vos lettres avec une impatience digne de l'extrême amitié que j'ai pour vous.

LETTRE LXXVIII

A LA MÊME.

Aux Rochers, dimanche 9 Août 1671.

Vous n'êtes point sincere quand vous

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me louez tant aux dépens de ce que vous valez. Il me siéroit mal de faire votre panégyrique à vous même, et vous ne voulez jamais que je dise du mal de moi. Je ne veux donc faire ni l'un ni l'autre ; mais enfin, ma fille, si vous avez à vous plaindre de moi, ce n'est point de ne voir pas en vous de bonnes qualités et le fond de toutes les vertus. Vous pouvez remercier Dieu de tout ce qu'il vous a donné; car pour moi je n'ai point assez de mérite pour en donner libéralement. Quoi qu'il en

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