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de Saint-Simon (8) a la petite vérole si dangéreusement, que l'on craint pour sa vie. Adieu, mon cher ; je laisse à votre pauvre cœur à démêler tous ces divers sentiments; vous savez les miens il y a long-temps sur votre sujet. Les médisants disent que Blanche d'Adhémar ne sera pas d'une beauté surprenante; et les mêmes gens ajoutent qu'elle vous ressemble; si cela est, vous ne doutez pas que je ne l'aime fort.

(8) Diane-Henriette de Budos, Duchesse de SaintSimon.

LETTRE VI.

AU MÊ M E.

A Paris, vendredi 21 Novembre 1670,

Vous avez une lettre de votre chere femme; n'est-ce pas une folie de se mêler de vous écrire? Ce n'est aussi que pour vous dire que Madame la Duchesse de Saint-Simon est hors de tout danger. Le jour que je vous écrivis, elle avoit reçu tous ses Sacrements, et l'on ne croyoit pas qu'elle dût vivre deux jours Présentement vous pouvez sentir toute la joie que vous donne la bonne santé de ma fille. Elle a reçu tantôt une nouvelle qui lui donne

beaucoup de déplaisir; elle croyoit que le petit de Noirmoutier (1) dût être aveugle; elle avoit fait là-dessus toutes ses réflexions morales et chrétiennes; elle en avoit eu toute la pitié que méritoit un tel accident: tout d'un coup on vient lui dire qu'il verra clair, et que ses pauvres yeux que la fluxion avoit mis hors de la tête, y étoient rentrés heureusement, comme si de rien n'étoit; là-dessus elle demande ce qu'on veut qu'elle fasse de ses réflexions, et dit qu'on vient lui déranger ses pensées; qu'on a bien peu de considération pour elle de lui dire cette nouvelle avant que les neuf jours soient passés. Enfin, nous avons tant ri de cette folie, que nous avions peur qu'elle ne fût malade.

M. le Grand et le Maréchal de Bellefond courent lundi dans le bois de Boulogne sur des chevaux vîtes comme des éclairs; il y a trois mille pistoles de pari pour cette course.

(1) Antoine-François de la Tremoille, Duc de Noirmoutier.

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* LETTRE VI I.

AU MÉ M E.

A Paris, vendredi 28 Novembre 1670.

NE parlons plus de cette femme, nous

l'aimons au-delà de toute raison; elle se porte très-bien; et je vous écris en mon propre et privé nom. Je veux vous parler de M. de Marseille (1), et vous conjurer, par toute la confiance que vous pouvez avoir en moi, de suivre mes conseils sur votre conduite avec lui. Je connois les manieres des Provinces, et je sais le plaisir qu'on y prend à nourrir les divisions; en sorte qu'à moins que d'être toujours en garde contre les discours de ces Messieurs, on prend insensiblement leurs sentiments; et très-souvent c'est une injustice. Je vous assure que le temps ou d'autres raisons ont changé l'esprit de M. de Marseille. Depuis quelque jours, il est fort adouci, et pourvu que vous ne vouliez pas le traiter comme un ennemi, vous trouverez qu'il ne l'est pas. Prenons-le sur ses paroles, jusqu'à ce qu'il ait fait quelque chose de contraire;

(1) Toussaint de Forbin - Janson, Evêque de Marseille, depuis Evêque er Comte de Bauvais, Cardinal et grand Aumônier de France.

rien n'est plus capable d'ôter tous les bons sentiments que de marquer de la défiance; il suffit souvent d'être soupçonné comme ennemi pour le devenir; la dépense en est toute faite, on n'a plus rien à ménager. Au contraire, la confiance engage à bien faire; on est touché de la bonne opinion des autres, et on ne se résout pas facilement à la perdre. Au nom de Dieu, desserrez votre cœur, et vous serez peutêtre surpris par un procédé que vous n'attendez pas. Je ne puis croire qu'il y ait du venin caché dans son cœur, avec toutes les démonstrations qu'il nous fait, et dont il seroit honnête d'être la dupe plutôt que d'être capable de le soupçonner injustement. Suivez mes avis, ils ne sont point de moi seule; plusieurs bonnes têtes vous demandent cette conduite, et vous assu rent que vous n'y serez pas trompé; votre famille en est persuadée; nous voyons les choses de plus près que vous; tant de personnes qui vous aiment, et qui ont un peu de bon sens, ne peuvent guere s'y méprendre.

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Je vous mandai l'autre jour que M. le premier Président de Provence étoit venu de Saint-Germain exprès aussi-tôt que ma fille fut accouchée pour lui faire son compliment; on ne peut témoigner plus d'honnêteté, ni prendre plus d'intérêt à ce qui

Vous

vous touche. Nous l'avons revu aujour d'hui; il nous a parlé le plus franchement et le mieux du monde sur l'affaire que vous ferez proposer à l'assemblée ( des Etats de Provence :) il nous a dit qu'on vous avoit envoyé des ordres pour la convoquer, et qu'il vous écrivoit pour vous faire part de ses conseils, que nous avons trouvés très-bons. Comme on ne connoît d'abord les hommes que par leurs paroles, il faut les croire jusqu'à ce que les actions les détruisent; on trouve quelquefois que les gens qu'on croit ennemis ne le sont point; on est alors fort honteux de s'être trompé; il suffit qu'on soit toujours reçu à se hair, quand on y est autorisé. Adieu, mon cher Comte, je me fonde en raison, et je vous importune.

Madaine de Coulanges (2) m'a mandé que vous m'aimiez. Quoique ce ne me soit pas une nouvelle, je dois être fort aise que cette amitié résiste à l'absence et à la Provence, et qu'elle se fasse sentir dans les occasions.

J'ai bien à vous remercier des bontés que vous avez eues pour mon ***; il m'en est revenu de grands compliments. Le Roi a eu pitié de lui; il n'est plus sur les

(2) Madame de Coulanges étoit à Lyon dans ce temps-là,

Tome I.

B

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