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Assez causé sur ce sujet pour le moment. Rien n'empêche d'y revenir. Attendons la huitième année de la Revue Canadienne.

Il est onze heures du soir, la cloche de la messe de Minuit va se faire entendre bientôt, quittons-nous sous ses bons auspices et veuillez me permettre, avant de prendre congé, de vous souhaiter à tous une heureuse et prospère année.

24 Décembre 1870.

BENJAMIN SULTE

CHRONIQUE DU MOIS.

Les intrigues de la Prusse font merveille. Guillaume lui-même est étonné de voir l'unité allemande s'effectuer aussi vite. Il y a à peine six mois, il était l'épouvantail de ces petits royaumes et duchés de population tudesque qui craignaient ses vues ambitieuses et perfides.

Qui l'aurait cru? Aujourd'hui, Bade, la Hesse, le Wurtemberg et la Bavière font cause commune, et, faisant une courbette respectueuse devant le monarque prussien, ils lui décernent le titre d'empereur d'Allemagne. Les protocoles des traités ont été signés et sanctionnés.

Sur les ruines du second Empire français, s'est élevé l'empire gigantesque et menaçant de l'Allemagne.

Le principe des grandes agglomérations nationales inauguré par Napoléon III n'a été pour la France qu'une creuse théorie appliquée au service de la révolution et des sociétés secrètes, tandis que ce même principe a servi à créer une des plus formidables et des plus dangereuses puissances du monde.

Bismark ne peut s'arrêter en aussi beau chemin. Il a essayé toutes les audaces et toutes les hontes. Témoin, la mesure odieuse qu'il a employée contre le roi de Hanovre. Après l'avoir dépouillé de ses états en 1866, il a osé, dès le commencement de la guerre actuelle, mettre tous ses biens sous séquestre. Et, à l'aide de ces capitaux considérables, il a soudoyé par tout l'Europe des agents. chargés de soutenir les intérêts de la Prusse.

Bavarois, Wurtembergeois, Hessois et Badois, apprenez par là qu'elles sont les générosités de la Prusse, et de quel fer sera forgé le carcan qu'elle vous mett.a au cou à la première occasion favorable.

Les ambitions de Bismark grandissent en proportion des évènements qui se déroulent. Hier, il commençait à croire à la conquête

durable de l'Alsace et de la Lorraine, et cela, sans regarder les orages qui s'amoncelaient derrière lui; et voilà qu'aujourd'hui, il tourne les regards du côté du Luxembourg. Le renard a trouvé que les raisins n'étaient pas trop verts.

Après le Luxembourg, viendra le tour de la Hollande et puis celui du Danemark, qui a déjà été forcé de lui céder un lambeau de territoire.

Les limites du rêve sont infinis, ainsi sont les vues du ministre prussien. Mais comme dans les rêves, il surgit tout-à-coup quelque chose d'imprévu qui fait crouler les plus solides échafaudages; de même, on peut s'attendre à ce qu'il surgisse des événements un redoutable inconnu qui renversera l'empire prussien. Le droit de la force ne peut pas plus subsister que le monument bâti sur le sable.

N'eût été la lâche capitulation de Bazaine, Paris ne verrait plus cette terrible avalanche de barbares se refouler de plus en plus autour de ses murailles. Le Prince Frédéric Charles ne serait pas venu tomber à toute course sur l'armée de la Loire et empêcher la jonction de cette dernière avec les troupes de Ducrot et de Vinoy. Le mouvement offensif du général d'Aurelles de Paladines, en se faisant simultanément avec les sorties de Paris, aurait ouvert une route immense protégée par les baïonnettes françaises et d'énormes approvisionnements auraient pu parvenir dans la capitale assiégée. Peut-être, à l'heure qu'il est, la France serait délivrée de l'ennemi et irait, à l'aide de ce résultat décisif, promener jusqu'en Prusse ce drapeau qui a besoin de venger tant d'humiliations.

Malgré ce nouvel échec, on n'a pas encore perdu courage. La haine contre les Prussiens prend de plus profondes racines dans l'esprit de la population. On lève continuellement de nouvelles armées, et on s'avance avec une bravoure, un sang froid et une impétuosité qui ne le cèdent pas aux troupes si bien disciplinées de Von Moltke.

Au nombre des soldats qui se sont signalés daus les derniers engagements, la place d'honneur revient de droit aux zouaves pontificaux. Ils se sont battus avec une valeur audessus de tout éloge, et pendant qu'un corps de 20,000 braves dont ils fesaient partie se faisaient décimer en tenant tête à 60,000 ennemis, ils sauvaient l'armée de la Loire d'un revers considérable, qui aurait eu un résultat désastreux pour les armes françaises. Honneur aux Zouaves Pontificaux ! Honneur à de Charrette, leur digne commandant!

Il est évident que la lutte actuelle est une guerre à mort qui se terminera par l'épuisement et la ruine des vainqueurs aussi bien que des vaincus. D'un côté, c'est une rage d'ambition et de conquête poussée jusqu'au paroxisme; de l'autre côté, c'est le courage sublime et désespéré qui s'impose les plus incroyables sacrifices. D'un côté, c'est une guerre à outrance pour faire ratifier l'annexion violente d'un territoire étranger; de l'autre côté, c'est un peuple qui fait couler le sang par toutes ses artères pour conserver son intégrité territoriale. Ici on envoie des centaines de mille hommes à la boucherie par haine du nom français et pour soutenir la plus impertinente des prétentions, là on oppose la résistance la plus héroïque des temps modernes pour conserver une puissance qui s'en va en décombres. Ici on fait jouer les combinaisons les plus misérables et les intrigues les plus hardies; là on improvise des armées gigantesques malgré les trahisons qui se succèdent comme des coups de foudre.

Au milieu de ces bassesses et de ces grandeurs mises en parallèle, c'est la mort qui règne en souverain et c'est le canon qui est son porte-voix.

Quand donc viendra le jour où la France ne marchera plus avec cet aveuglement fatal qui la conduit au précipice? Quand brisera-t-elle la statue de Voltaire qui est là debout au milieu de Paris comme un prophète de malheur ? Quand abjurera-t-elle ses erreurs et son impiété et marchera-t elle, comme les Bretons et les Vendéens, sous les auspices du Dieu qui fait gagner les batailles? Si les épouvantables désastres qu'elle a subis sont le signal de la régé nération et du réveil religieux, il faudra bien reconnaitre que le dojgt de Dieu était là.

Avez-vous lu le testament de Pierre 1er " empereur et autocrate de toutes les Russies, etc, à tous ses descendants et successeurs au trône et gouvernement de la nation russe?" Toute la politique russe s'y trouve résumée avec une précision mathematique.

Plusieurs des recommandations du Czar sont déjà des faits acquis à l'histoire, comme le démembrement de la Suède, la conquête de la Perse, et l'envahissement de la Pologne. Il conseillait de "s'étendre sans relâche vers le nord, le long de la Baltique, ainsi que vers le sud le long de la Mer Noire." Il conseillait d'entretenir la nation "dans un état de guerre perpétuelle pour former le soldat," de n'établir un interrègne de paix que pour "améliorer les finances de l'Etat et faire ainsi servir la paix à la guerre et la guerre à la paix dans l'intérêt de l'agrandissement de la Russie." Tel a toujours été et tel est encore le mobile de la politique extérieure de ce pays.

Il recommandait de "fonder une suprématie universelle par une sorte de royauté ou de domination sacerdotale;" et joignant lui-même l'exemple au précepte, il s'était arrogé le titre de chef suprême du schisme oriental. Ainsi il a fondé une unité politique, nationale et religieuse qui lui donnait un contrôle absolu sur la personne de ses sujets, tout aussi bien que sur leurs propriétés et leur conscience. Cette prérogative suprême a été religieusement conservée par Catherine II surnommée l'infernale, et par l'empereur Nicolas. Par ce moyen les Czars ont conduit leurs sujets comme des automates mis en mouvement par le doigt du mécanicien.

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Il y a aussi dans ce testament de Pierre le Grand un article qui est frappant d'actualité. Il recommandait à ses successeurs de s'approcher le plus possible de Constantinople et des Indes, leur promettant que celui qui y règnerait serait le vrai souverain du monde." La guerre de Crimée a eu pour effet de reculer indéfiniment l'exécution d'un projet aussi ambitieux.

Actuellement la Russie se trouve dans une attitude plus menaçante que jamais pour l'Angleterre dans son commerce des Indes, et pour l'Europe qui se défend avec peine contre les envahissements de plus en plus accentués de cette redoutable puissance.

Les alarmes causées par la circulaire de Gortschakoff ne semblent pas en voie de s'éteindre. Cependant on semble s'entendre pour réunir en janvier prochain un congrès des puissances signataires du traité de Paris de 1856. Il résulte d'après les correspondances échangées de part et d'autre que la Russie ne veut rien céder de ses prétentions originaires. Si la conférence projetée se réunit en prenant pour base la note du ministre russe, ce ne sera guère qu'une assemblée réunie pour donner le signal d'une conflagration générale; sinon, ce sera de la part de l'Angleterre et de l'Autriche une abdication de l'honneur. Albion préparerait la ruine de son commerce; l'Autriche effectuerait la désagrégation de son empire, et "l'homme malade " n'aurait qu'à aller dormir dans la fosse qui lui est creusée depuis longtemps.

Le congrès à Washington s'est ouvert par un message du Président Grant au Sénat et à la Chambre des Représentants. Comme toujours, ce n'est qu'un préambule officiel, qui annonce la discussion des plus graves intérêts, qui met en saillie les points culminants de la politique et demande au peuple de dicter, par l'entremise de ses mandataires, sa volonté souveraine.

Ce Message n'est pas un chef d'œuvre de style. Mais quand on a

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