Page images
PDF
EPUB

Il est beau de voir ces énormes tronçons d'érable, fixés en un clin d'œil sur leur chariot, venir se présenter, tour à tour, à la scie qui les entame avec une force et, en même temps, une aisance extraordinaires. C'est comme un couteau qui passe dans du fromage, disait un des visiteurs, lors de notre excursion.

Avec une seule scie, on confectionne, à Gosford, mille pieds par heure, de ces rails.

Tout à côté, et mue par le même engin, est une scie de plus petit diamètre, dont la besogne est de tailler les coins. Il faut voir avec quelle rapidité cette besogne s'accomplit: 500 coins dans une heure! On utilise, pour la confection de ces coins, les rognures des tronçons qui ont ont servi à la confection des rails. Les écor. ces, le déchet du bois servent à alimenter le feu de la bouilloire de l'engin; de sorte que rien n'est perdu.

On comprend que ces machines qui, à Gosford, sont établies sous des abris temporaires, dont le coût ne s'élève pas à $50, sout d'un secours immense.

Les traverses, encochées comme je viens de le dire, sont posées en travers de la voie, avec des espacements très-rapprochés. Les rails sont placés dans ces coches, bout à bout; et deux coins de bois, venant à la rencontre l'un de l'autre, fixent ces rails, et les tiennent en place. Tout cet agencement, traverses, rails, coins, forme une charpente serrée et compacte, et dont la solidité est à toute épreuve.

L'objection qui se présente naturellement à l'esprit de ceux qui dissertent sur ce chemin à rails de bois, est la suivante :

Quelle sera la durée de ces rails? Comment résisteront-ils aux diverses causes de détérioriation ?

Les causes de détérioriation sont:

10. Pourriture du bois;

20. Eraillures;

30. Ecrasement;

40. Usure par le frottement;

50. Action de la neige, gelée; longueur de nos hivers, etc. 10. Pourriture des rails. Le bois qui paraît le mieux approprié, ici, à la confection de ces chemins est l'érable.

A maintes reprises déjà, j'avais entendu dire que l'érable se putréfie promptement, et que, conséquemment, les rails, faits avec ce bois ne pourraient avoir une longue durée. Pour justifier cette manière de voir, on invoquait une foule de raisons plus ou moins. plausibles, et surtout, la proportion considérable d'aubier que présente l'érable, etc.

Voulant avoir quelque chose de précis sur ce sujet important, je

me suis adressé à mon savant collègue, l'abbé Brunet, Professeur de Botannique à l'Université Laval, qui a bien voulu me donner les renseignements suivants.

Sur un érable de deux pieds de diamètre, l'épaisseur de l'aubier varie de deux à trois pouces. Cette proportion est peu considérarable; plus forte, cependant, que sur d'autres bois francs, notamment, le merisier rouge. Mais cet aubier se durcit par la dessication; et l'érable se dessèche sans retrait. Lorsque le bois est sec, l'aubier est aussi bon que le bois parfait.

Un point d'une importance pratique considérable, c'est que le bois destiné à la confection de ces rails, de même que le bois de chauffage, doit être coupé durant l'hiver, avant l'ascension de la sève; et cela pour des raisons dont l'énumération m'entraînerait trop loin.

Du reste, je crois devoir faire observer qu'à mon avis, les rails se trouvent dans des conditions exceptionnelles, et qu'on ne doit pas juger du dégré de résistance qu'ils offriront à la putréfaction, en les comparant à un morceau de bois d'érable qui serait tout uniment exposé à l'air.

En effet, toutes choses égales d'ailleurs, les bois poreux sont ceux dont la putréfaction est la plus hâtive.

L'eau, l'humidité, l'air, pénètrent beaucoup plus aisément dans les pores largement ouverts d'un bois mou, que dans les fibres serrées d'un bois dur. La compression énergique et souvent renouvelée à laquelle sont soumis les rails, par le passage des engins et des wagons lourdement chargés, n'a-t elle pas l'effet de rapprocher les molécules, de les tasser, de les condenser et diminuer par là les pores et les espaces vides? Et n'arrive-t-il pas, avant longtemps, que cette compression énergique donne à l'aubier, de même qu'à tous les rails un dégré de compacité que ne pourrait jamais acquérir un morceau du même bois qui serait uniquement exposé à l'air, et ne serait pas soumis aux mêmes influences!

Cela, il me semble, saute aux yeux, et je serais bien étonné si l'expérience ne venait pas confirmer plus tard ces données toutes théoriques et de pur raisonnement.

Les rails, appuyés sur les coches des traverses, sont disposés de façon à n'être jamais en contact avec le sol ou ballast. Par conséquent, toutes leurs surfaces se trouvent constamment plongées dans un bain d'air qui les maintient dans un état de siccité parfaite.

Les rebords des rails sont un peu arrondis afin de ne pas permettre à l'eau des pluies de séjourner à leur surface.

Enfin, l'érable n'est pas sujet à la vermoulure.

Avec toutes ces conditions, il est évident que la pourriture des rails ne peut être que très-lente.

20. Eraillures du bois. Je l'avouerai, après ce que j'avais vu à Clinton, l'automne dernier, cette détérioration est celle que je redoutais le plus de rencontrer à Gosford. Je me hâte d'ajouter que j'ai été agréablement détrompé; M. Hubert lui avait rémédié à cet inconvénient-le plus grave de tous à mon avis-de la manière la plus ingénieuse, et avec un succès complet.

En premier lieu, les rails de Gosford sont plus larges que ceux de Clinton; ce qui leur permet, conséquemment, d'offrir une surface plus grande, ensuite, la surface des roues est d'un pouce plus large que celle des rails, enfin, les roues adhérentes de l'engin des Gosford n'ont pas de rebord, et ces roues ont une largeur presque double de celle des rails. C'étaient les rebords de ces roues adhérentes qui produisaient surtout les éraillures et dans l'engin de Gosford, les roues de derrière et les roues de devant seules sont munies de ces rebords.

Le sciage du bois doit avoir une grande influence sur la production de ces éraillures. Si le sciage a lieu suivant le fil du bois, il est évident que ces éraillures auront moins de chance de se produire.

On m'a fait voir une section du chemin sur laquelle des wagonsplateformes lourdement chargés ont roulé depuis plus de trois mois, à raison de 50 ou 60 par jour. On calcule que ces rails ont fait un service ordinaire de trois années; je les ai examinés attentivement sur une étendue de plusieurs arpents, et n'ai vu, par ci, par là, que quelques éraillures insignifiantes.

30. Ecrasement. Les rails qui ont servi depuis le printemps sont là pour attester qu'ils ne s'écrasent pas sous la charge qu'ils ont à porter. La pression rapproche les molécules, comme je l'ai dit plus haut, condense le bois, mais ne l'écrase pas. D'ailleurs, la largeur des rails et des roues, leur forme, etc., s'opposent à ce que cet accident ait lieu.

40. Neige, gelée, longueur de nos hivers.

Je ne vois pas comment les rails de bois pourraient être emdommagés par la neige ou par la longueur de nos hivers. Quant à la gelée, il pourrait arriver que l'eau, après avoir pénétré dans les petites fissures qu'on voit sur plusieurs rails, se congelât, fit éclater le bois etc. Mais d'abord, ces fissures sont très-superficielles, et se remplissent bientôt de terre, de poussière, qui en s'y tassant, les oblitère. En suite, au moyen d'un enduit particulier dont on revêt ces rails, et dont je parlerai plus loin, ces fissures se trouvent complètement bouchées.

50. Usure du bois. Cette usure, dès lorsqu'il ne se produit pas d'éraillures, sera lente. Au reste, il ne faut faut pas oublier que quand une des surfaces des rails se trouve usée ou emdommagée d'une manière ou d'une autre, on retourne ce rail sens dessous. Pour cela, il suffit d'enlever les coins qui tiennent les rails en place, ce qui peut se faire en deux minutes.

Auprès de l'établissement j'ai remarqué un certain nombre de rails et coins enduits d'une couche noirâtre récemment appliquée. On a bien voulu me donner le secret de cette composition chimique. J'ai la ferme conviction que cet enduit antiseptique agira à merveille, et pour remplir les petites fissures qui se rencontrent par ci, par là, sur certains rails, et pour conserver le bois. Seulement je me permettrai de faire remarquer qu'à mon avis, il entre dans cette composition certains ingrédients dont l'emploi n'est pas nécessaire. Le mélange ne perdrait rien par leur absence, et serait plus économique.

Tout bien considéré, ces chemins à rails de bois me paraissent destinés à changer complètement la face de ce pays. Par l'économie de leur construction de même que par les services qu'ils sont appelés à nous rendre, ce sont comme on a déjà dit, nos véritables chemins de colonisation, surtout dans le voisinage des grands centres.

Je crois qu'on ne tardera pas à se convaincre qu'il faut les considérer autrement que comme un pis-aller et qu'ils peuvent être appelés à rendre des services immenses, même sur des chemins où le trafic et le roulage sont assez considérables.

HUBERT LARUE.

NOTICE BIOGRAPHIQUE

SUR

MGR. F. BAILLARGEON, ARCHEVEQUE DE QUEBEC

Virtute virit, memoria vivit, gloria vivet.
Il a vécu dans la vertu, il vit dans la mémoire
des hommes, il vivra dans la gloire.

Monseigneur Charles-François Baillargeon, Archevêque de Québec, est né à l'Ile-aux-Grues, le 26 avril 1798. Son père était le sieur François Baillargeon, et sa mère, Dame Marie-Louise Langlois, de Saint-Jean. Ses premiers ancêtres venus en ce pays s'appelaient Jean Baillargeon, de la paroisse de Loudigny, en Angoumois, et Marguerite Guillebourday, de Marçay, en Poitou; leur mariage fut célébré à Québec en 1650. Le sieur-Jean Baillargeon s'établit d'abord dans l'Ile d'Orléans, en cette partie qui forme aujourd'hui la paroisse de Saint-Laurent.

A l'époque de l'enfance de Mgr. Baillargeon, l'Ile-aux-Grues, dont la population était peu considérable, n'avait pas l'avantage de posséder un curé résident; elle était visitée à de rares intervalles par le curé du Cap Saint Ignace. M. Viau, devenu plus tard grand vicaire de l'archevêque de Québec, était alors curé de cette paroisse et, dans ses visites à l'Ile-aux-Grues, il avait bien su remarquer la supériorité du jeune Baillargeon sur les enfants de son âge. Un jour, il le fait mander: "Sais tu lire, mon cher"? lui dit-il-Non, M. le curé, répond l'enfant avec candeur, mais je désire beaucoup ap prendre à lire."-"Aimerais-tu à faire des études ?"-Je le voudrais

[ocr errors]
« PreviousContinue »