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- Pour y élever un chantier de bois flotté et devenir un grand négociant! ajouta sir Henri avec un sourire.

- Puisse-t-il en être ainsi ! murmura le planteur. C'est son rêve, son idéal à lui. Vous ne comprenez pas ces gens-là, sir Henri; leurs ambitions vous semblent mesquines, ridicules même. Qu'importe ? Ils courent droit à leur but avec l'impétuosité d'un torrent, et malheur à qui veut leur barrer le chemin, ne fût-ce que par un sar

casme!

(A continuer.)

CHRONIQUE DU MOIS.

Il y a des époques néfastes dans l'histoire des peuples comme il y a des heures funèbres dans la vie des individus. C'est une loi qui vient d'en haut et si elle se révèle par fois menaçante comme les foudres de Sinaï, c'est que les sociétés dégénérées ont besoin de secouer leurs dépravations en s'agitant sous les verges du châtiment divin. Plus les fautes sont grandes, plus la punition est terrible. Aujourd'hui c'est la France qu'on flagelle. Le bras qui la courbe semble l'étreindre et la broyer; et comme le malheur a son ironie, il en est qui osent sourire d'incrédulité quand on leur parle du succès final des armes françaises. Bien aveugle serait celui qui n'attribuerait tant de désastres qu'à des circonstances purement humaines. La France ressemblait à une société décrépite. Travaillée sourdement par les sociétés secrètes, matérialisée par les renégats du Christ, étourdie par les paroles des saltimbanques politiques, rongée par les plaies du socialisme et du communisne, elle cachait soigneusement les maux qui la dévoraient, et s'enivrait de de la longue prospérité factice qui l'a énervée.

Quand le croyant sincère allait s'agenouiller devant le Christ, le sceptique lui jetait un sourire moqueur plus mordant que les paroles les plus ironiques. Dans le domaine des idées et des principes les têtes chaudes du radicalisme étaient en ébullition. Les théâtres et les clubes enfumés où règnait le dieu du plaisir avaient remplacé les exercices vivifiants de la religion. On était catholique de nom et l'on était épicuréen en pratique. C'était évidemment le sommeil presque général de la nation. Il fallait secouer la torpeur de ce peuple qui avait pour mission de protéger les lois de l'Eglise. Ce fut un réveil sanglant.

Mais à peine les canons prussiens avaient-ils commencé à rugir qu'on offrit au cœur même de la France une apothéose au sceptre de Voltaire et que l'Empire oubliant lâchement ses promesses retira ses troupes de Rome. A ces hontes et à ces déshonneurs répondent les défaites de Weissembourg et de Forbach. Et puis, quand les Italiens fondent sur Rome comme des oiseaux de proie et ravissent le sceptre du St. Père, un autre sceptre qu'on croyait d'un bronze assez dur pour essuyer les tempêtes de tous les peuples se brise comme un vase d'argile sur l'épée du roi Guillaume.

Inexplicable fatalité pour qui ne croit pas au Christ! La France ne s'est sentie puissante et glorieuse que lorsqu'elle a défendu et protégé le pouvoir temporel du Pape. Elle a été humiliée lors qu'elle a opprimé le pontife-roi C'est sur Rome que la France doit ancrer ses destinées; le passé en fait foi. Et si elle ne le fait point, c'est encore sûr qu'elle ira se briser. Là ont éclaté les gloires du premier et du second empire, et là aussi le premier et le second empire sont venus échouer et périr.

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Avec quelle profondeur d'intuition et avec quelle logique inexorable M. l'abbé Margotti, directeur de l'Unità Catholica de Turin, annonçait en 1866 la chûte prochaine du second empire.-" Napo"léon est au soir, la nuit vient, disait-il !—La chûte ne saurait être éloignée, car les deux causes de l'existence de cet empire ne sub"sistent plus. Ce furent la gloire et la restauration catholique. Or, Napoléon III, au lieu de défendre la religion catholique, la "livre à ses adversaires; et, au lieu de combattre, il recule. C'est "en allant à Rome qu'il devenait Empereur : il s'en va de Rome, "s'achemine donc naturellement à sa ruine. Quand l'oncle recom"mença de persécuter Pie VII, J. de Maistre écrivait:-" Bona"parte attaque le Pape, tant mieux ! à présent la chûte de l'empire "est certaine."-Eh bien ! nous disons la même chose du neveu. "Il abandonne Pie IX, il livre Rome, tant mieux! les funérailles "du second empire ne tarderont pas. L'oraison funèbre est prête. "On peut la diviser en trois points: Allemagne, Mexique, Rome. "Allemagne et Mexique, déchéance de la gloire militaire; Rome, "abandon complet de ces traditions catholiques avec lesquelles la "France ne rompra jamais; abandon par manque de cœur !-La "bataille de Waterloo parut mystérieuse à Napoléon 1er lui-même. "Quelqu'un la lui ayant rappelé au jour anniversaire, 18 Juillet "1816, il s'écria, très-ému :-"Bataille incompréhensible ! concours "de fatalités inouïes! il n'y eut que disgrâces !"-Il ajoutait en se "couvrant les yeux de ses mains: "-Tout ne m'a manqué que quand tout avait réussi !"-Eh bien ! que Napoléon III se prépare

" à pleurer les mêmes humiliations. Lui aussi verra venir sa jour"née incompréhensible."

Ce manifeste prophétique adressé à Napoléon lui-même "pour le relire en temps opportun" s'est réalisé à la lettre. Napoléon en courtisant et en favorisant la révolution a préparé sa ruine; et la révolution a écrasé son impérial amphytrion. C'est l'histoire du serpent mordant celui qui l'a rechauffé. L'empire en n'ayant pas de principes ne pouvait espérer de fonder une œuvre durable. C'était un colosse de bronze aux pieds de plâtre menaçant ruine et qui a croulé lorsque le souffle de Dieu a passé.

Quand le lion frappé d'une flèche empoisonnée s'en va mourir au fond du désert, les oiseaux de proie arrivent par nuées et déchirent avec des coups de bec retentissants ce corps dont ils avaient naguère redouté l'ombre même. Ainsi il vient de s'abattre autour de l'empire tombé des nuées d'accusateurs qui déchirent avec grand bruit les lambeaux de pourpre de l'exilé de Wilhemshohe. On fouille dans les ténèbres et dans les profondeurs de son administration passée, comme dans les entrailles d'une victime. On met au jour des statistiques secrètes et compromettantes. On établit des hypothèses habilement enchevrêtées, et l'on accuse. On découvre des favoris qu'on n'avait pas soupçonnés. On explique le secret d'une diplomatie odieuse et avortée. On lance comme un éclair des phrases éblouissantes;-Et l'on accuse encore. Et quels sont ces hommes qui jouent un pareil rôle? Ce sont pour la plupart ceux-mêmes qui depuis vingt-ans ont sapé à grands coups le gouvernement de l'exEmpereur; ceux-là même qui ont rendu sa tâche amère, compliquée et presqu'impraticable; ceux-là même qui l'ont forcé de réduire si considérablement l'effectif de ses armées et en prêchaient l'abolition complète. Ainsi, si l'on retranche l'action indubitable de la providence, on trouve que, par la force même des choses, ce sont ces mêmes accusateurs qui ont amené les humiliations de la France.

Et maintenant, hurlez, fils de Brutus! Les fautes de l'empereur étaient grandes et il en subit le châtiment. Les vôtres sont plus grandes encore, et l'expiation sera plus redoutable. Sous le gouvernement de l'Empereur, la France a joui d'une prospérité matérielle inouïe, tandisque la propagation de vos doctrines socialistes et radicales a tenu continuellement les esprits en alerte et a fait craindre vos violences autant que l'irruption d'un volcan. L'empereur avait un bras de fer pour maintenir l'ordre intérieur parmi un si grand fourmillement de têtes exaltées, quand vous-mêmes vous complotiez traîtreusement pour faire jaillir une révolution.

Beaux types d'hommes, en effet! Il leur sied bien de vouloir

réformer quand ils traduisent leurs idées subversives que par des désordres épouvantables! Leurs émeutiers de Lyon et de Marseilles, partisans d'Esquiros et du général Cluseret, n'ont-ils pas arrêté des prêtres vénérables et voulu renouveler les scènes de 93? Ne demandaient-ils pas à grands cris l'expulsion des Jésuites et la séquestration de leurs biens? Il faut toute l'énergie des autorités et des gens de bien pour pacifier ces hommes qui circulent avec des poings fermés toujours prêts à frapper et des bouches toujours ouvertes pour vociférer.

L'un des grands torts de la République actuelle sera d'avoir attiré sur la France de nouvelles malédictions en appelant an commandement un homme comme Garibaldi, qui est la personnification du renversement de tous les trônes, qui prêche la république universelle et a toujours des paroles fanatiques à lancer partout où il y a un bouleversement social ou religieux à opérer. Que faire de ce lâche qui s'est enfui devant les soldats du Pape et qui a si ridiculement conquis à Monte-Rotundo son quolibet de "duc de Montre-tondos." Paris, la Babylone moderne, la ville des plaisirs et la patrie des arts a dit adieu à son luxe de courtisane. Paris se porte vaillamment sous son corset de fer, et lance en tourbillons dévorants ses armées toutes neuves au métier des armes et qui font noblement leur devoir. Les canons des forteresses ont jusqu'ici brisé et refoulé les lignes prussiennes d'investissement. La guerre semble être entrée dans une nouvelle phase. La large conception de Von Moltke ne pourra probablement pas embrasser tout l'ensemble des opérations. Trochu à Paris, Bazaines à Metz, Bourbaki au nord de la France, l'armée de Rouen, les armées de la Loire au sud, et les Francstireurs partout: voilà ce que la Prusse aura à combattre. Quelque bon jour, l'ennemi verra ses communications coupées par une épaisse muraille de chassepots. Alors ce sera une lutte effroyable qui se terminera par le triomphe des Français. Alors l'Allemagne éprouvera un frisson d'horreur et de désespoir quand elle apprendra, que la fleur de ses armées a été engloutie comme disait le le Maréchal Niel, dans " cette terre vengeresse qui dévore les conquérants."

Un décret royal annonçant le résultat du plébiciste a proclamé les Etats Pontificaux partie intégrale de l'Italie. VictorEmmanuel a dirigé ses troupes sur Rome dans le but apparent de compléter une unité délabrée, il s'est emparé de sa proie sans décla

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