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mal des copieux diners au lard mangé sous le pouce, que l'on fait sur les bords de la Mantawa après une marche forcée à travers les bois. Mais il y a là matière de capacité... et de goût. Et nous ne chicanerons pas plus J.-R. d'aimer les repas pantagruéliques du Père Aubin, que nous ne féliciterons d'autres, de leur admiration pour les saucissons de Ste. Beuve et de leur respect pour les autographes fournis par son secrétaire.

Il n'y a pas un lecteur de ce récit qui ne s'éprenne d'intérêt pour les personnages que l'auteur met en scène. Leprohon, le ci-devant citadin, devenu le Jean Rivard des établissements du Nord, le fermier Ayotte et sa brave femme, Pigeon l'intrépide et le bonhomme Aubin, le Baron Brisse de la Mantawa et combien d'autres ?

Nous ne croyons pas qu'il était possible de mieux populariser la cause de l'établissement de ce territoire que ne l'a fait J.-R. par son livre.

Nous ne voudrions certainement pas dire que ce travail est parfait en tout point, mais tel qu'il est, il fera son chemin dans la faveur publique. Et pour nous servir de quelques expressions tirées du vocabulaire polyglotte de Pigeon,-il a assez de tough pour passer slick le raidillon de la critique.

ALPH. DESJARDINS.

The Year Book and Almanac of Canada for 1867, 1868, 1869, and 1870, being an annual statistical abstract for the Dominion and a record of legislation and of public men in British North America. By Arthur Harvey. F. S. S. Ottawa. John Lowe & Co; Publishers, Montreal.

Voilà un volume qui ferait le désespoir d'un lecteur en quête d'émotions. Car, nous le défions d'en trouver dans ces centaines de pages au caractère fin, à l'encolure grave, hérissées de noms et de chiffres, entrelardées d'explications pleines de sobriété. Evidemment, ce n'est pas pour lui que M. Harvey a compulsé cette foule de renseignements précieux éparpillés dans les livres bleus, les documents de commerce, les publications des spécialistes

et autres.

Non, cet ouvrage ne trouverait pas grâce auprès du lecteur frivole. Mais il devra se trouver entre les mains de l'homme public, du législateur, du financier, du négociant et sur les tablettes du journaliste. Voué par état à écrire doctement (?) sur les sujets les plus divers, l'ouvrier de la pensée y trouvera tout un arsenal d'informations, des bataillons entiers de chiffres qu'il pourra faire manoeuvrer habilement en lui servant d'emporte-pièce. Car, il appert que la science de la statistique a fait de tels progrès qu'il est possible aux économistes un peu subtils, de manier assez souplement les chiffres, pour leur faire prouver des choses aussi dissemblables que le pôle et l'équateur.

Mais revenons au Year Book de M. Arthur Harvey. A preuve que cette compilation est grandement utile à consulter, c'est qu'elle s'étend à tout ce qui intéresse les quatre provinces fédérales. Ses données embrassent la constitution, la législation, l'administration, la judicature, le tarif, le service postal, les terres de la couronne, les travaux publics, les importations et exportations, le revenu, les pêcheries, le commerce de bois, les banques de dépôt, d'émission et d'épargnes, la circulation monétaire, les compagnies d'assurance et de télégraphie, les voies ferrées, la navigation, la climatologie, et combien d'autres encore? A tous ceux qui s'occupent d'études

sérieuses, ce travail sera donc d'un grand avantage, en simplifiant les recherches et en groupant ainsi les renseignements les plus divers, avec toute la précision possible.

M. Harvey a eu le bon esprit de s'entourer d'un certain nombre de collaborateurs qui l'ont aidé à compléter sa tâche, en élaborant des travaux sur des questions d'actualité et d'intérêt public. Ainsi on voit au bas de certains articles les noms de MM. E. A. Meredith, L.L.D., E. C. Barber, J. C. Patterson, Thomas Cross, d'Ottawa et M. J. T. Kingston, de Toronto, qu'il serait injuste de ne pas mentionner.

Le Year Book paraît depuis 1867, et il s'est constamment amélioré ; il n'a pas moins cette année par exemple de deux cents pages, petit texte, et ses éditeurs ont eu l'heureuse idée de réunir en un volume la brochure annuelle qu'ils publient sous la direction de M. Harvey. Cela est d'une grande facilité pour établir des termes de comparaison entre ce qui existait les années précédentes et l'état ultérieur de choses.

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En Angleterre, il se publie depuis longtemps un Year Book extrêmement complet, dont les renseignements sont puisés aux meilleures sources et qui a un immense débit; souhaitons à M. Harvey cette perfection dans ses publications annuelles et un encouragement libéral pour tout ce travail infini. Ajoutons que ses talents de statisticien ne sont pas mis en évidence pour prémière fois Ils lui ont déjà valu de remporter la palme dans un concours d'économie politique sur la question du traité de réciprocité, et ils ont fixé tout récemment l'attention d'hommes compétents, qui lui ont commis le poste responsable de gérant de la Compagnie d'Assurance Provinciale.

JOSEPH TASSE.

History of the Settlement of Upper Canada, with special reference to the Bay Quinte by M. Canniff; 670 pages, Toronto, Dudley & Burns, 1869.

Il s'en faut de beaucoup que l'histoire du Haut-Canada nous soit connue ! Dans cette même Revue Canadienne, notre courageux M. Royal disait, l'autre jour, que nous ignorons et l'histoire des provinces du golfe, comme l'on convient d'appeler le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Ecosse, et les annales des Etats-Unis. Cette vérité est une vérité. Rien de moins raisonnable que la négligence des Canadiens-français en général à s'instruire des faits et gestes de leurs compatriotes ou de leurs voisins, en cela nous sommes restés tout-à-fait français. Nos hommes d'état, nos publicistes, notre clergé aussi probablement s'occupent assez d'études de cette espèce, mais la masse des lecteurs n'y songe jamais d'une manière efficace. Et, pourtant, les populations parlant la langue anglaise dominent en Canada, dominent en Amérique, dominent dans le grand mouvement colonisateur du globe terrestre ! Pourquoi donc omettre l'étude de ce qui les concerne, surtout chez nous ?

C'est bien assez qu'en arrivant à Paris ou à Londres les habitants de la province de Québec soient pris pour des faubouriens de New-York ou de la Nouvelle-Orléans. N'oublions pas que la plupart d'entre eux seraient fort embarrassés de parler pertinemment du Haut Canada ou des pays qui forment le littoral de la mer dans les limites de la Confédération canadienne. Tout ouvrage qui peut fournir des renseignements là-dessus doit nécessairement nous être signalé.

C'est de la guerre de l'indépendance des Etats-Unis que date l'établisse

ment des principaux groupes de colons du Haut-Canada. Le mécontentement produit dans les treize provinces par la conduite égoiste et aveugle du Parlement d'Angleterre causa d'abord une vive agitation des esprits, qui se transforma, au bout de quelques années en une révolte ouverte, à la grande surprise de tout le monde, et des révoltés surtout. Il s'agissait au fond de réclamer de la mère-patrie des libertés commerciales consacrées aujourd'hui par le bon-sens et l'usage, mais que l'on refusait alors aux colonies d'Amérique. Des questions de tarif firent naître la guerre qui sépara les Etats-Unis du gouvernement anglais, comme d'autres questions de tarif suscitèrent en 1861 la guerre de la sécession au Sud.

Les signataires de l'acte d'indépendance des treize Etats étaient au nombre de cinquante six, dont quatorze pratiquaient la contrebande. Les cinquante-six ce composaient de vingt-et-un hommes de lois, dix marchands, quatre médecins, trois cultivateurs, un ministre de l'Evangile, un imprimeur, dix personnes ayant de la fortune, et cinq de professions inconnues. Ils étaient nés dans le Massachusetts neuf, la Virginie sept, le Maryland six, le Connecticut cinq, le New-Jersey quatre, la Pennsylvanie quatre, la Caroline du sud quatre, New-York trois, le Delaware trois, le Rhode Island deux, le Maine un, en Irlande trois, en Angleterre deux, en Ecosse deux, et dans le pays de Galles un.

De tous les calculs que la sagesse humaine et l'intelligence de la politique peuvent agencer, il n'en est pas qui puissent être plus complètement défaits et pris à rebours par les évènements que l'ont été ceux du cabinet de Londres au sujet des colonies de l'Amérique du Nord. Après la chute de Québec, en 1759, la conquète du Canada était indéniable, notre pays pas sait à la couronne anglaise. Cependant un reste d'inquiétude existait encore dans la tête des hommes d'Etat anglais. Voilà, disaient-ils en parlant des Canadiens, une race que nous avons enfin vaincue après un siècle de combats presque continuels; dans cette dernière guerre, nous avions autant d'hommes sous nos drapeaux, en Canada, que les Canadiens comptaient d'âmes dans toute leur vaste colonie; rien ne prouve que nous gardions un pareil pays, tout nous annonce au contraire qu'avant longtemps peut-être il faudra nous en dessaissir, faisons donc en sorte d'en pouvoir garder au moins une parcelle pour arrondir nos possessions voisines.

Le traité de Paris, cette lâcheté de Louis XIV, qui valut aux Canadiens français le bienfait immense d'éviter la révolution française, reconnut donc comme bornant le Canada une ligne aussi ressérée que possible vers l'Est. Douze années après, les Etats fidèles se séparèrent de l'Angleterre sans oublier de conserver dans leurs divisions territoriales certaines portions des terres de New-York, du Vermont, du Maine, etc., qui écornent d'autant le Canada, et dont elles font partie géographiquement et historiquement. Les Anglais perdirent les Etats, qu'ils croyaient posséder pour toujours, et gardèrent le Canada qu'ils avaient rétréçi et auquel ils tenaient peu au bout du compte.

Lorsque la guerre de l'indépendance éclata, l'on vit se former un parti que l'histoire reconnaît sous le nom des "United Empire Loyalists," c'està-dire les partisans de l'empire britannique, ou, dans notre langue, les loyaux sujets de Sa Majesté. Ce parti, qui semble avoir été composé surtout de militaires et de fonctionnaires anglais, prit de bonne heure la détermination d'émigrer en Canada. Il renfermait assurément nombre d'hommes de mérite, et de nobles cœurs qui préféraient abandonner leur foyer plutôt

que d'y vivre loin du drapeau d'Albion, Telle est l'origine de la colonisation actuelle du Haut-Canada.

Les tentatives faites par les Français pour l'établissement de cette province se résumaient à peu de chose, et cela, faute de secours indispensables, faute de sympathies, en un mot, grâce à la petitesse de cœur du gouvernement de Versailles. Les intrépides pionniers du Bas-Canada s'étaient avancés partout vers l'Ouestet le Sud, marquant les étapes de leurs courses avantureuses par une ligne de forts qui s'étendait de Québec à la NouvelleOrléans. Un empire français devait exister en Amérique, les préparatifs en étaient faits, les bases jetées, il ne lui fallait plus que la protection d'un monarque patriotique-ce roi manquait à la France. Le soleil de Louis XIV s'est levé un jour sur notre pays, mais il n'a pas su y fournir sa carrière, il est bien vite redescendu dans l'abîme de l'indifférence et de l'oubli. La race anglo-saxonne a débordé sur les territoires français, elle y a planté des racines, y a poussé des rejetons, a formé une nation qui couvre maintenant les trois quarts de la Nouvelle-France. Aimons qu'on nous le dise, afin de tenir en éveil toutes les forces vives de notre petit peuple, lequel, Dieu merci, ne perd point l'espoir de se maintenir à côté du colosse.

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M. Canniff paye aux Canadiens-français un tribut d'éloges auquel nous ne saurions nous montrer indifférents, habitués que nous sommes à lire des livres anglais (et français !) si peu conformes à la vérité historique, ou si dédaigneux de ce qui nous concerne. Un passage que nous traduirons ici montre le sentiment de l'auteur: "Les Canadiens français ne courent point risque d'être privés d'historiens pour retracer leurs annales. Leurs écrivains ont déjà témoigné du patriotisme, de la valeur et de l'habileté de leur race. Actuellement, des travailleurs sérieux fouillent les vieilles archives et acheveront de nous faire connaître l'histoire du temps de leurs ancêtres. Nous ne faisons pas faute aux Canadiens-français de l'amour si vif qu'ils portent à leur langue, à leurs lois, à leur religion et à leurs institutions généralement; ce sont les signes caractéristiques d'une race à l'esprit élevé. Comme Canadien dans le sens patriotique du mot, nous nous réjouissons de nous trouver à travailler de concert avec un peuple aussi dévoué, à former les bases de la Confédération Canadienne."

Rien d'étonnant malgré cela, si M. Canniff prédit la disparition de l'élément français dans une fusion de races qui réunirait deux des plus nobles sangs de la grande famille humaine: c'est l'opinion de presque tous les anglais, il faut la leur laisser, attendu qu'elle est à peu près inoffensive et qu'elle ne sera point dangereuse tant que nous comprendrons assez nos propres droits pour savoir les défendre.

Nous ne connaisons pas M. Canniff, mais il nous semble qu'il n'entend pas la langue française, ce qui fait qu'imitant la plupart de ses compatriotes, il a laissé imprimé dans son livre des noms français affreusement orthographiés. Ne serait-il pas possible ordinairement, de confier à un ami versé dans ces études les épreuves des ouvrages qui renferment des noms, des citations ou des traductions de français? Le premier venu entre nous aurait corrigé, par exemple le "Conte de Frontenac," répété ainsi plusieurs fois, et même aurait trouvé moyen de traduire " Kannata" autrement que par " love of cabins." Kannata signifie amas de cabanes" et non pas .6 amour de cabanes."

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Jusqu'à la fin du siècle, le Haut-Canada ne reçut presqu'aucune immigration des îles britanniques, il resta pour ainsi dire au pouvoir des U. E.

Loyalists. C'est alors que naquit parmi ceux-ci la faction appelée le Family Compact, dont l'influence se faisait sentir encore tout dernièrement. Les fondateurs de ce parti ambitionnaient la possession des meilleures terres de la province et le contrôle des affaires publiques. Grâce aux circonstances, et aussi à l'habileté qu'ils surent déployer, leur projet se réalisa passablement bien. L'histoire politique n'est pas muette à cet égard.

Lorsqu'arrivèrent les immigrants d'outre-mer, la colonisation prit un élan définitif et nous l'avons vu accomplir des progrès extraordinaires dans cette province, maintenant la plus peuplée de la Confédération. Comme le Bas-Canada était resté jusqu'en 1841 séparé politiquement du Haut, il nous était très-peu connu. Le premier parlement de l'union entraîna nos hommes publics de ce côté et ils s'étonnèrent de la beauté du climat, de la fertilité du sol et de la science agricole de ses habitants. M. Etienne Parent est le premier qui engagea nos co provinciaux à ne point demander d'établir le chiffre des représentants du peuple d'après celui de la population. "Nous sommes aujourd'hui les plus nombreux, dit-il, mais voyez donc ce qui nous entoure en Haut-Canada, tout ne nous prouve-t-il pas qu'avant longtemps ce pays sera couvert d'une population qui l'emporterait finilement sur la nôtre par le nombre de ses députés?" Ce qui avait été ainsi prédit arriva, et nous pûmes alors nous retrancher derrière le fait de notre modération d'autrefois pour repousser les tentatives d'une province devenue en quinze ans plus peuplée que la nôtre et plus exigeante.

La Bibliotheca Canadensis de Morgan nous apprend que l'auteur du Settlement of Upper-Canada est né à Belleville et qu'il a pris ses degrés comme médecin dans cinq ou six institutions renommées du Canada et des pays étrangers; il a écrit sur la chirurgie un volume, et quelques opuscules. Son dernier ouvrage lui vaudra certainement une place honorable dans l'estime de ses compatriotes vu qu'il a été le premier, croyons nous, à recueillir et à publier autant de notes touchant l'histoire de la colonisation de sa province. Le livre nous parait excellent comme renseignement historique, et quant au style, nous nous en rapportons à des juges plus accrédités qui l'ont déclaré digne d'éloge. L'espace ne nous permet pas de l'examiner en détail, mais le public le lira et il pourra en tirer profit. Les pionniers du Haut-Canada, les difficultés des premiers établissements, les missions religieuses, les évènements politiques locaux, la fondation de la presse, les parlements, l'extension du commerce et de la navigation, tout nous passe pour ainsi dire sous les yeux et devient intéressant pour des Canadiens.

Terminons par un trait que l'histoire n'a peut-être point consigné. Il nous revient à la mémoire en lisant dans le Settlement of Upper-Canada que vers le commencement de ce siècle les livres étaient d'une rareté extrême en Haut-Canada. Garneau nous apprend que, dans sa jeunesse, l'on copiait à la plume les ouvrages qui nous arrivaient de France par des occasions uniques, ou qui étaient restés dans le pays après la conquête.

L'on devine bien qu'en cet état les écrits traitant du fonctionnement de la machine constitutionnelle anglaise devaient être excessivement rares chez nous, lorsqu'en 1791, il plut à M. Pitt de nous gratifier d'une constitution politique modelée, disait-on, sur celle de l'Angleterre. A ce nom seul toutes les espérances se réveillaient; avoir les priviléges et les libertés politiques que ce titre de constitution anglaise impliquait, c'était un bonheur inespéré, too good to be true. Enfin la première session du premier parlement eut lieu, et l'on fut étonné du peu de latitude qu'offrait le nouveau régime. Un

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