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ce moment, il me délierait de ma promesse, j'en ai la conviction. Dès que j'ai vu clair dans mon âme je n'ai pas perdu une minute. J'ai tout avoué à mon beau-frère, il était bien triste quand je l'ai quitté. Cependant il m'a donné pour vous cette poignée de main. "S'il vous rend heureuse, m'a-t-il dit en s'éloignant, je tâcherai d'oublier le mal qu'il m'a fait..." Voulez-vous, mon ami, ajouta-telle en souriant, courir le risque de sa haine?

Ivre de reconnaissance et de tendresse, Éverard se jeta devant elle à genoux, lui saisit les mains et se cacha le visage dans les plis de sa robe.

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-Que faites-vous ? murmura-t-elle en se penchant vers lui. Allons, soyez homme; songez que vous devez être mon protecteur; je veux rester fière de vous, et pour cela, il faut que mes regards s'élèvent plus haut que moi pour vous voir... n'est-ce pas mon habitude depuis bien des jours ?

Il fit un effort pour se relever.

- Pardonnez-moi, dit-il, après qu'il l'eut tenue longtemps en silence pressée contre sa poitrine, et qu'il eut scellé sur ses lèvres le solennel engagement d'être à elle pour toujours; pardonnezmoi, c'était trop d'émotion pour une seule journée, trop de souffrance et trop de bonheur. Mais mon cœur est fort, il peut supporter le poids de la joie et de l'espérance qui l'inondent. Maintenant, partons, je brûle d'embrasser notre enfant!

ÉMILE JONVEAUX.

CHRONIQUE DU MOIS.

L'évènement politique le plus considérable que doive signaler cette chronique est incontestablement la guerre qui a éclaté si brusquement entre la France et la Prusse. C'est de l'Espagne qu'est partie l'étincelle qui doit peut-être mettre l'Europe entière en feu. La vieille Espagne déchirée par les factions, l'Espagne où Carlistes, Alphonsistes, Montpensiéristes, Espartéristes et républicains se disputent les rênes du pouvoir; l'Espagne qui se tord sous les étreintes de la Révolution, a beau se mettre à la recherche d'un roi, comme Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale, elle n'a eu qu'un fiasco complet. Si l'on juge par le refus des uns de siéger sur le trône des nobles Castillans, la royauté y est peu enviable; et si d'un autre côté on examine la ténacité des autres à intriguer en dépit de tous les obstacles pour y parvenir, on verra que ce n'est pas chose facile. Décidément la patrie de Prim et Serrano est malheureuse dans le choix de son candidat. La politique espagnole a fait faux bond sur ce point. Après avoir entamé d'inutiles négociations anprès du roi Fernando, du duc d'Aoste et du duc de Gênes, on trama dans l'ombre pour offrir la candidature à un prince à peu près ignoré, membre de la famille royale de la Prusse et petit-fils de Murat, le bombardeur de Madrid.

A cette nouvelle qui éclate comme un coup de foudre, la France piquée au vif dans son orgueil national, et voyant une menace contre sa puissance et son inviolabilité territoriale dans la nomination d'un prince Prussien sur le trône d'Espagne, demanda immédiatement au roi Guillaume la résignation du Prince LéopoldHohenzollern. Le cabinet de Berlin prétexta ne s'être nullement

ingéré de la candidature de ce dernier et ne point connaître les négociations ouvertes à ce sujet.

Il est peut-être à propos de remarquer ici avec quel luxe de noms on a doté le prince Léopold-Etienne-Charles-Antoine-GustaveEdouard-Thassilo-Hohenzollern Signaringen. Faisons venir à la suite de cela le royal cortège de prénoms que porte sa digne épouse Antonia-Maria-Fernande-Micaele-Gabrielle-Raphael d'Assise-Anna Gonzagua-Sylvina Julia-Augusta !...... fille du roi de Portugal; et il sera de la plus haute évidence pour tous qu'avec une aussi longue suite de prénoms postés en avant-garde on peut marcher d'un pas ferme et assuré vers ses glorieuses destinées...

Ceci toutefois n'empêcha pas le prince Hohenzollern de résigner sa candidature en présence de l'attitude menaçante de la France. Préalablement M. Benedetti se rendait, de la part du gouvernement français auprès du roi Guillaume pour lui demander des explications. Celui ci avoua que "comme chef de la famille royale" il avait donné son consentement à la nomination du Prince Hohenzollern; mais lorsqu'on lui demanda de s'interposer contre cette candidature non comme chef de famille, mais comme roi, il donna un refus formel. Il refusa également de promettre qu'aucun prince Prussien ne monterait sur le trône d'Espagne à l'avenir. En même temps, il faisait préparer secrètement des armements considérables, et finalement il donna congé à l'ambassadeur Français avec une courtoisie peu diplomatique. Dès lors toutes les relations entre les deux pays furent brisées. Indigné de l'insulte faite à son ambassadeur, le gouvernement Français convoqua immédiatement le Conseil des Ministres sous la présidence de Napoléon III. Après avoir fait au Sénat et au Corps législatif l'exposé des négociations on vota un crédit de 50 millions pour le ministère de la guerre et un autre crédit de 16 millions pour le ministère de la Marine; on donna ordre de préparer le départ de la flotte pour la Baltique et de lancer à toute vapeur les différents corps d'armée vers la frontière. Le 19 de juillet la guerre contre la France était déclarée solennellement au milieu de l'enthousiasme presqu'universel de la population, tandis que toutes les autres puissances de l'Europe, les yeux tournés vers les frontières du Rhin, attendaient avec anxiété le premier coup de canon qui devait annoncer le commencement des hostilités.

Il est probable que les raisons de cette guerre ne paraitront pas très-plausibles de prime-abord aux yeux d'un grand nombre, si l'on ne tient pas compte des évènements qui sont survenus depuis l'avènement du roi Guillaume sur le trône de Prusse en 1861, et surtout depuis la victoire de Sadowa. La politique astucieuse et hardie de Bismark qui soulève des différents interminables avec ses voisins,

s'empare de territoires contestés, s'adjuge le Sleswig, met la main sur le Holstein, dépouille le Danemark, bat en brèche l'empire d'Autriche; cette politique de conquête et d'agrandissement s'était faite sous les yeux de la France, en dépit de ses protestations et à son détriment. Si rien n'arrête les projets du ministre Prussien, il essaiera de réaliser l'unification de l'Allemagne sous l'empire de la Prusse, son rêve favori; et si à la suite de cela, il parvenait à raîner l'Espagne à sa remorque par l'établissement d'un Hohenzollern sur le trône d'Espagne, quelle sécurité la France aurait-elle de se voir cernée d'un côté par les Pyrénées et de l'autre côté par des canons échelonnés et braqués sur les rivages du Rhin. Et si l'on ajoute à cela les ressources infinies de M. de Bismark qui fait jouer ses ficelles dans toutes les cours de l'Europe, qui fait force promesses sans jamais les exécuter, qui érige des simulacres de concessions pour les faire crouler par la suite, et qui finalement ac capare tout à son profit avec une dignité farouche qu'il faut bien se garder de blesser on verra que la politique Française a dû se heurter presqu'à chaque jour contre lui. Si l'on découvre une trame habilement ourdie, de suite on lui en attribue la paternité, tant sa réputation est bien établie. On l'a même accusé d'avoir préparé la Révolution Espagnole en 1868 et de l'avoir alimentée avec les thalers Prussiens; les relations secrètes qu'il entretenait avec les chefs du mouvement révolutionnaire furent alors dénoncées par la presse étrangère; et, depuis lors, ces accusations n'ont jamais manqué de vraisemblance.

Quoiqu'il en soit des véritables causes qui ont fait naître ces difficultés, la guerre est aujourd'hui un fait accompli. M. Thiers n'a pu la conjurer. Ses paroles ont été étouffées dans le tumulte général et il a dû descendre de la tribune. Le parti de la paix a été hué et le drapeau blanc a été mis bas aux applaudissements frénétiques de la foule.

Toute la France a été saisie d'un vertige militaire et les démonstrations les plus enthousiastes se sont succédées à chaque apparition de troupes, effectuant leurs préparatifs de départ pour la fron tière. Des listes de souscriptions furent ouvertes immédiatement par les journaux et des sommes considérables versées d'emblée pour le soulagement des blessés. A Paris surtout l'enthousiasme de la population ne connut point de bornes. La Marseillaise devint à l'ordre du jour, elle fut adoptée par tous pour leur hymne national; on la chanta dans les cafés et dans les théâtres, et d'un bout de Paris à l'autre elle retentit répétée par des milliers de poitrines.

Au milieu de ces circonstances si graves, la turbulente gaieté des

Français ne les a pas abandonnés un seul instant. "Bonne chance mon brave," crie un bourgeois à un sergent de chasseur. Et le sergent de répondre: "Aïe donc ! nous avons pris un billet d'aller et retour." "Nous allons enfin boire de la vraie bière allemande," dit l'un des soldats. Un étudiant en médecine, amateur de la dissection et de la phrénologie, interpelle quelqu'un par ces mots; "Tu m'apporteras une tête de Prussien." Au moment où un parti de jeunes gens passait en criant: "Vive la guerre," un colosse Prussien vocifère dans un langage franco-allemand: "Fife la baix !" et il est accueilli par d'énormes éclats de rire. Il y eût dans toute la capitale illumination comme au jour d'une victoire; et de tous côtés on entendait les cris de: "Vive la guerre.-Vive l'empereur. - Vive la France! - A bas la Prusse ! - A bas Bismark!"

Lorsque la déclaration de guerre vint à la connaissance du roi Guillaume, il se trouvait à la station du chemin de fer de Berlin à son retour d'Ems. Il ne put réprimer un mouvement d'indignation à la lecture de cet acte où la France déclarait "accepter la guerre qu'on lui offrait." Le vieillard ne put retenir ses larmes et il se jeta entre les bras de son fils. Tous ceux qui l'entouraient en furent vivement affectés. On tint conseil de guerre; et immédiatement dans tout le pays où écume le Lager Beer et fleurit la choucroute, on se mit sous les armes et on se concentra vers les frontières.

Quoique les armements et le départ des troupes se soient opérés avec une rapidité prodigieuse, on semble convenir que la France, avec son admirable organisation militaire aurait dû fondre brusquement sur le territoire ennemi. Par son œuvre d'envahissement elle aurait assuré un succcès gigantesque à ses armes et elle aurait doté la Prusse d'un nouveau Sadowa. Mais d'un autre côté, il faut ávouer que c'eût été se jeter tête baissée sous une grêle de boulets et de mitraille, si l'on considère que la Prusse s'était préparée à cette guerre d'une manière formidable. Cela n'est que trop rationnel en admettant que ce conflit a été l'œuvre préméditée de M. de Bismark.

Les Français ont débuté par un léger succès en emportant d'assaut le village de Sarrebruck, puis ils ont dû retraiter sous la pression numériquement supérieure des armées Prussiennes. Ce fut ensuite une série d'engagements où la France fit payer chèrement les revers de ses armes. Les batailles de Haguenau et Wessembourg avaient pour objet d'empêcher la jonction des troupes de MacMahon et de Bazaine; elles furent très meurtrières. A la bataille de Haguenau les Français perdirent plusieurs mille morts et blessés, 2,200 prisonniers, une mitrailleuse et trois canons. Le six août

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