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d'argent. Les récoltes étaient abondantes, mais le produit ne suf fisait pas à payer les dépenses, de sorte que la société se serait infaillement dissoute, sans l'assistance inattendue qui lui fut apportée par l'un de ses membres les plus infimes, un pauvre trapeur canadien, nommé Sewell.

La vente des piéges, depuis ceux qui servent à prendre les ours jusqu'aux simples souricières, forment aux Etats-Unis où pullulent les bêtes malfaisantes, une branche de commerce considérable. Les Américains n'avaient cependant point encore cherché à exploiter cette industrie, et laissaient aux fabriques allemandes le soin de les approvisionner. Cette lacune frappa le frère Sewell. En trappeur expérimenté, il trouvait aux piéges envoyés d'Europe beaucoup de défauts qu'il était possible de faire disparaître. Il se mit à l'œuvre et réussit à construire des appareils plus légers plus simples, plus meurtriers. Le bruit s'en répandit dans tout l'Etat de New-York, les commandes affluèrent à Onéida; Sewell engagea des ouvriers, établit des forges, et quelques mois plus tard, l'article allemand détrôné par son rival, restait dédaigné au fond des magasins. En une seule année, la famille communiste fabriqua pour quatre cent mille francs de piéges; aujourd'hui encore, malgré la concurrence, elle tire de ce commerce sa principale ressource.

Le phalanstère d'Onéida-Creek est donc parvenu, non seulement à vivre, mais à prospérer; si un mal intérieur le mine, le frère qui est chargé de faire aux étrangers les honneurs de l'établissement, en dissimule avec soin les ravages. On assure même que le père Noyes, encouragé par le succès, songe à élargir le champ de ses travaux. Onéida ne suffit plus à son zèle apostolique ; il veut aller se fixer à New-York pour y propager sa doctrine.

"Le nombre des communistes de la Bible s'accroîtra rapidement, disait à M. Dixon un chef des shakers qui suivait d'un œil jaloux les progrès des perfectionnistes. Leurs dogmes répondent aux honteuses convoitises que, dans notre pays, un grand nombre de gens éprouvent sans avoir le courage de les avouer. Les hommes sont las et ennuyés, les femmes fantasques. Noyes couvre les passions du manteau de la religion leur donne pleine carrière, permet de s'y livrer sans remords, en étouffant le cris de la conscience; il sanctionne l'amour libre, et l'amour libre a de profondes racines dans le cœur de nos compatriotes."

Triste aveu que nous voulons croire aggravé par la rivalité de secte. Mais de tous les faits rapportés par M. Dixon, ressort une vérité incontestable, c'est que l'Amérique est travaillée par une maladie intérieure dont les progrès s'accentuent chaque jour davantage malgré son esprit pratique, son rare bon sens, son activité

admirable, elle devient la proie d'aberrations monstrueuses. Em politique comme en religion, la liberté laissée sans contre-poids conduit au morcellement; l'atmosphère morale des Etats-Unis est chargée de tempêtes; nous avons vu quelle terrible guerre ont allumée les tendances séparatistes; la question de l'esclavage n'en fut que le prétexte, la cause était au cœur même de la société, dans l'absence des forces de cohésion qui maintiennent les Etats. Chacun revendiquait ses droits, nul ne songeait à ses devoirs; les sectes comme les provinces se croyaient libres de déserter la patrie, quand l'obéissance à ses lois devenait incommode, et nous savons qu'aujourd'hui encore, les Mormons, les shakers, les perfectionnistes et bien d'autres, soutiennent cette prétention.

Si le séparatisme'n'a point abouti, pour la religion comme pour la politique, à des luttes sanglantes, il n'y a pas moins profondément bouleversé les esprits. Aucune secte ne put échapper à cette rage d'indépendance, d'individualisme, chacune d'elles se fractionna en un nombre infini d'Eglises; tous les dogmes furent mis en question, et le doute étendit ses ailes funèbres sur les intelligences. Mais on ne touche point à Dieu sans ébranler du même coup l'ordre social; les principes fondamentaux sur lesquels il repose furent niés audacieusement; on attaqua la propriété, on voulut abolir le mariage. Les femmes commencèrent à se demander si c'était pour elles une obligation d'aimer leurs maris, de nourrir leurs enfants. Au milieu de cette confusion, que devenait la famille? Les nombreux meetings où se débattait avec acrimonie les droits des deux sexes, nous permettent de conjecturer quelles devaient être les querelles du foyer domestique.

L'Amérique a triomphé, grâce à son indomptable énergie, de la scission qui menaçait la grandeur et l'existence même de lE'tat; luttera-t-elle avec autant de succès contre l'ennemi, plus dangereux encore, qui s'attaque aux sources mêmes de la vie morale, la religion et la famille? Déjà, au travers des extravagances enfantées par le besoin d'innovations religieuses, on distingue le retour des esprits vers un principe salutaire, celui de l'autorité en matière de foi; lasses de chercher en elles-mêmes une vérité qu'elles n'arrivent point à saisir, les intelligences invoquent la révélation divine, demandent au ciel de leur donner sur la terre un guide, et s'inclinent avec empressement devant tous les faux prophètes qui se disent envoyés de Dieu. Il y a dans le despotisme même inauguré par la plupart des nouvelles sectes un enseignement profond. La liberté et l'autorité sont toutes deux filles du ciel, leur union seule assure la paix et la prospérité des sociétés politiques ou religieuses; ce sont les deux forces qui maintiennent l'équilibre du monde

moral; dès que l'une d'elles l'emporte sur l'autre, le désordre ne manque jamais de se produire, la liberté devient anarchie, le pouvoir dégénère en absolutisme. La religion chrétienne nous a, la première, donné le modèle de la conciliation parfaite de ces deux éléments. Avec son admirable sagesse, elle a trouvé le secret d'accroître la liberté humaine et de rendre l'autorité plus forte, en appuyant l'une et l'autre sur Dieu. Elle proclame la soumission. de l'esclave vile, sans mérite aucun ; c'est la liberté qui seule donne du prix à la vertu, et selon nos livres saints, le Créateur l'a respectée jusqu'au point de lui permettre de défigurer son œuvre. " Plutôt que la troubler, dit Schiller, il laisse le cortége des maux se déchaîner sur le monde; lui, qui a tout créé, on ne peut l'apercevoir, il s'est discrètement voilé sous des lois éternelles; l'esprit fort les voit, mais ne le voit pas.-Pourquoi un Dieu ? dit-il; le monde se suffit à lui-même.-Et la dévotion d'aucun chrétien ne le célèbre autant que le blasphème de l'esprit fort." Quant au pouvoir, il a reçu la consécration la plus sainte, il descend du trône même de l'Eternel, il est une délégation de l'omnipotence du Créateur; mais pour empêcher ses écarts, le Christ pose les conditions de sa puissance: "Que celui d'entre vous qui veut être le premier, soit votre serviteur, à l'exemple du Fils de l'homme qui n'est pas venu pour être servi, mais pour servir."

Suivant leur caractère, les différents peuples penchent vers l'un ou l'autre de ces deux principes, les nations de race latine vers l'autorité, celles de race anglo-saxonne vers la liberté; les unes et les autres connaissant leurs tendances, doivent chercher à dévelop per en elles l'élément le plus faible pour arriver à un şage équilibre. Les Etats-Unis qui, sur un sol vierge, ont créé tant de merveilles, qui possèdent des qualités si sérieuses et si solides, comprendront cette vérité d'où dépend son avenir. Avec la fougue de la jeunesse, les Américains se jettent dans tous les excès, mais ils ont la fibre pratique pour ne pas reconnaître à temps le péril. Leurs sectes même les plus bizarres, ont conservé un élément sauveur, l'amour du travail, et les luttes vivifiantes contre la nature ont d'ordinaire pour effet de chasser du cerveau les folles rêveries.

ÉMILE JONVEAux.

AU RUISSEAU,

Tu verras quelques aurores
Se peindre dans ton miroir,
Tu rendras des bruits sonores
Sur des rocs que tu décores
D'écume qu'on aime à voir.

Tu réfléchiras l'image
De quelques arbres vieillis ;
Où, s'échappant du nuage,
Tu sentiras que l'orage
Te fait traîner des débris.

Tantôt tu seras tranquille,
Et chaque étoile des cieux
Sur ta surface mobile
Dormira souple et docile
harmonieux.

Comme un cygne

Tantôt tes eaux vagabondes
Sur l'obstacle rugiront;
Des voix sourdes et profondes,
Les doux sanglots de tes ondes
Avec les vents pleureront.

Tu fuieras vers la rivière

Et de là vers l'océan ;

Puis, au fond de la clairière,
Ta source qui désaltère

Se tarira lentement.

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