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publique verrait-elle, non des alliées, mais des ennemis de la France dans ces nations affranchies d'un passé qui nous fut hostile, appelées à une vie nouvelle, dirigées par des principes qui sont les nôtres, animées de ces sentiments de progrès qui forment le lien pacifique des sociétés modernes ?

"Une Europé plus fortement constituée, rendue plus homogène par des divisions territoriales plus précises, est une garantie pour la paix du continent, et n'est ni un péril ni un dommage pour notre nation. Celle-ci, avec l'Algérie, comptera bientôt plus de 40 millions d'habitants; l'Allemagne 37 millions, dont 29 dans la confédération du Nord, et 8 dans la confédération du sud; l'Autriche, 35; l'Italie 26; l'Espagne 18. Qu'y a-t-il dans cette distribution des forces européennes qui puisse nous inquiéter."

Telles étaient les espérances de Napoléon III, qui avait à compter sur la générosité de ses alliés. Cette politique était grande et généreuse, les vues étaient larges et bien combinées. Mais les succès de la Prusse ont enflé son ambition et elle veut détruire l'équilibre projetée par la France en fesant accepter le trône d'Espagne par un Prince Prussien auquel il est offert. Napoléon réclame, elle renonce à ses prétentions; mais il faut se garantir pour l'avenir. La Prusse ne veut pas abandonner pour toujours ses desseins exagérés, et la France vole aux frontières. Les deux armées sont en présence. Les autres Puissances consultent leurs intérêts, et ne manqueront pas, quand les antipathies naturelles auront fait place à la réflexion, de se jeter du côté de la France qui aura acquis la reconnaissance du monde entier.

Montréal, 25 juillet 1870.

B. A. TESTARD DE MONTIGNY.

ERRATA.

A l'article: Les miettes de l'histoire, page 426, 8ème ligne, lisez : " mais Ezéchiel Hart ayant eu la singulière destinée."

A la page 429, ligne 28ème, au lieu de "Craig était de la famille Hart," il faut lire : Craig était ami de la famille Hart."

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LES LEPREUX DE TRACADIE.

Ah! little think the gay licencious proud,
Whom pleasure, power and affluence surround...
Ah! little think they while they dance along...
How many pine?... how many drink the cup

Of bateful grief!... how many shake

With all the fiercer tortures of the mind!

(THOMPSON'S SEASONS, The Winter.)

Je rentrai plein de rage dans ma demeure, en criant: "Malheur à toi, Lépreux ! malheur à toi!" Et comme si tout avait contribué à ma perte, j'entendis l'écho qui, du milieu des ruines du château de Bramafan, répéta distinctement: "Malheur à toi!" Je m'arrêtai, saisi d'horreur, sur la porte de la tour, et l'écho faible de la montagne répéta longtemps après: "Malheur à toi!"

(Xavier de MaistRE, Le Lépreux de la cité d'Aoste.)

Il y a longtemps qu'on le dit, le Bas-Canada est l'instrument dont se sert la Providence de Dieu pour évangéliser la terre de l'Amérique, instruire les ignorants, secourir les pauvres, soigner les malades, élever les enfants dans le bon chemin, sur la face de cet immense continent. Au Chili, au Brésil, au Pérou, dans l'Orégon, à la Rivière Rouge, à Terreneuve, jusque dans les immenses steppes glacées de l'Amérique russe et de la Baie d'Hudson, le Canada envoye des évêques, des prêtres, des missionnaires, des religieux, des religieuses, exercer toutes les œuvres de la charité chrétienne, et faire connaître partout les descendants des héros et des martyrs qui ont jadis fondé cette colonie de la Nouvelle-France. Même aujourd'hui, notre pays ne cesse de vérifier la remarque que je viens de faire ; par là, il continue l'entreprise commencée par Jacques-Cartier et ses compagnons, continuée par Champlain et Mgr. de Laval; entre

prise qui consiste à porter la lumière de la vraie foi aux infidèles et à tous ceux qui en sont privés, et qui a déterminé l'établissement de ce pays. Bien aveugle serait celui qui ne verrait pas dans ce rôle important que remplit le Canada avec une mystérieuse constance depuis bientôt trois siècles, la main de la Providence qui a permis que d'autres nations en Amérique devinssent plus grandes par la richesse, plus puissantes par la politique, plus influentes par le commerce, plus fortes par les travaux matériels; mais qui n'a pas voulu qu'aucune contribuât davantage à l'œuvre religieuse, à l'œuvre catholique, que le plus petit de tous les peuples, le peuple du Canada!

Ces réflexions me sont inspirées par la lecture de plusieurs lettres et autres documents, dont quelques uns sont inédits, qui donnent les détails les plus navrants sur une classe d'infortunés qui existe et souffre à nos portes, dans la province du Nouveau-Brunswick, sans autre espoir de cesser de souffrir qu'en cessant d'exister. Je veux parler des Lépreux de Tracadie. Les plus malheureux de tous les hommes, non-seulement ils n'ont pas l'espoir de la guérison pour les soutenir à traîner leur misérable vie; mais ils n'ont pas même la consolation, généralement, d'inspirer des sentiments de pitié à leurs semblables : c'est un sentiment d'horreur qu'ils répandent autour d'eux. Ce ne sont pas des regards de compassion qui se reposent sur leurs traits défigurés et monstrueux, sur leurs plaies béantes; ce sont des regards de terreur et de dégoût. Eh bien, ces malheureux n'ont pas échappé à la charité des religieuses canadiennes; car il y a deux ans, 'l'Hôtel-Dieu de Montréal envoyait à Tracadie six de ses membres, qui s'étaient volontairement sacrifiés et dévoués pour le reste de leurs jours, aux soins des Lépreux. Le gouvernement protestant du Nouveau-Brunswick, pour lequel ces infortunés étaient depuis longtemps un embarras, a confié avec joie à ces vénérables religieuses, la garde du Lazaret et le traitement des malades, rendant par là un bel hommage aux ordres religieux de l'Eglise catholique. De fait, il était grandement temps que ce secours arrivât, car, comme on le verra plus tard, tous reconnaissent qu'avant la venue des sœurs, les Lépreux ne reçurent guère les soins qu'exige leur état.

La lecture des lettres et des autres documents qui m'ont été communiqués sur ce triste sujet m'a vivement intéressé. J'y ai trouvé

1 Les révérendes sœurs partirent de Montréal le 12 septembre 1868 et arrivèrent à Tracadie le 29 du même mois. Voici les noms de ces femmes dévouées : Sœur Pagé, supérieure ; sœur Quesnel, assistante; sœur Viger dite St. Jean de Goto; sœur Brault; sœur Clemence, converse; sœur Luména, tourrière. Depuis cette date, la sœur Pagé est revenue en Canada; les sœurs Sicotte et Reid sont parties pour Tracadie le 12 juin 1869.

l'un des tableaux les plus saisissants que l'on puisse tracer de la misère humaine, et j'ai cru qu'une description de ce phénomène morbide intéresserait les lecteurs de ce recueil, tout en leur faisant admirer la grandeur des œuvres catholiques. Dans ce que l'on va lire ici, il n'y a aucune observation personnelle à moi; je n'ai pas visité les lépreux de Tracadi; je ne pourrai donc rapporter que les opinions, les remarques des autres, résumer leurs récits et donner le résultat de leurs études. Du reste, je n'appartiens pas à la noble faculté médicale; je ne discuterai donc pas une question fort grave qui a été soulevée; celle de savoir si la maladie qui règne à Tracadie est bien la lèpre, ou si elle n'est pas plutôt une syphilis déguisée, aggravée faute de soins, par des circonstances externes ou par des traitements erronnés; ensuite, dans le cas où cette maladie serait vraiment la lèpre, sous quelle classe faut-il la ranger? Est-ce l'éléphantiasis des Grecs, ou l'éléphantiasis des Arabes, la leucée, le vitiligo des Latins, la lèpre du Moyen-Age, ou la psoriasis? Je m'abstiendrai avec prudence de traîter une si importante question, qui semble diviser même les médecins les plus habiles en diagnostic.

Cependant, comme l'opinion générale est que la maladie de Tracadie est l'éléphantiasis des Grecs, je donnerai à titre de renseignement les caractères principaux que les auteurs s'accordent à reconnaître à cette terrible affection. Le lecteur pourra ensuite comparer ces symptômes avec ceux que nous rencontrerons chez les lépreux de Tracadie.

Sur les bords fangeux du comté de Gloucester, dans le NouveauBrunswick, à 50 milles de Miramichi, à 25 au sud de Caraquet, baignés par les eaux du Golfe St. Laurent généralement si pures, près d'une petite rivière, s'élève un village qui en porte le nom.

La situation qu'il occupe est triste au suprême degré, et l'horizon qu'il commande ne contient aucun objet propre à charmer l'œil, ou même à arrêter le regard. D'un côté, les eaux basses et troublées de la mer sur lesquelles une voile vient rarement égayer la vue; de l'autre, la ligne monotone, d'un littoral plat, dépouillé, diversifié seulement par quelques cabanes de pêcheurs. Tout le paysage qui entoure ce lieu est morne et désolé ; le vaste océan même ne présente pas ici de ces spectacles grandioses qui révèlent la puissance de Dieu et émeuvent l'âme de l'homme sensible jusque dans ses fibres les plus profondes. La nature tout autour est triste et mélancolique, et l'on n'a rien fait pour réparer cette désolation; les quel

ques constructions que l'observateur aperçoit sont pauvres et misé-rables, disgracieuses et laides: des chaumières, des cabanes, une modeste église pour laquelle on a fait peu de frais d'architecture, plus loin un grand édifice, sombre, affreux à voir, entouré d'un haut mur, dont j'expliquerai bientôt la destination.

Enfin, tout ici semble triste, les habitants, les bâtisses, jusqu'à la nature; et le voyageur passant par cette localité malheureuse, serait tenté de s'écrier: Ce lieu est un lieu maudit. En effet, ce lieu si désolé, c'est l'empire de la fille ainée de la mort, suivant l'expression forte de Job; et maudit ont dû le croire plus d'un des infortunés confinés dans le grand édifice sombre que je viens de signaler; car ce lieu, c'est Tracadie; ce grand édifice sombre, c'est le Lazaret, et ses habitants sont les lépreux, les pauvres lépreux! "Oui, s'écrie M. Gauvreau dans une de ses lettres, Tracadie est frappé d'un anathème public, et il en sera de même de tout autre endroit, si jamais il arrive qu'un ou plusieurs lépreux réussissent à s'y introduire. "

Je dois à la bienveillance de M. l'abbé Ferdinand Gauvreau, curé actuel de la paroisse de St. Jean-Baptiste de Tracadie, quelquesrenseignements précieux sur les origines de cette paroisse et les prêtres qui l'ont tour à tour desservie.

On n'y a pas tenu de registres de baptêmes, mariages et sépultures avant l'année 1798.

Depuis cette date j'usqu'en 1842, Tracadie fut desservie par les curés de Caraquet, l'une des paroisses voisines. C'est ainsi que MM. Toyer (ou Soyer), Urbain Defroy, mort à St. Valier, diocèse de Québec, où il était curé; Huot, qui signait sans mettre son nom de baptême; Philippe Auguste Parent, mort le...... à St. Pierre, Isle d'Orléans; Thomas Cook, plus tard évêque du diocèse des Trois-Rivières; François Lefebvre de Bellefeuille, décédé le 5 Septembre 1836, à St. Roch de l'Achigan, diocèse de Montréal, où il était curé; Louis Théophile Fortier; H. McHavron; Joseph Couture, mort à St. Isidore, diocèse de Québec; Hector Drolet, mort dans le diocèse de St. Hyacinthe; Jean Marie Madran, mort au Petit Rocher, Nouveau-Brunswick, exercèrent l'un après l'autre leur saint ministère dans la paroisse de Tracadie. Le 24 octobre 1842, arriva le premier curé résidant, M. François Xavier Stanislas Lafrance, qui y resta jusqu'au mois de janvier 1852. M. Lafrance est depuis décédé dans le diocèse de St. Jean, Nouveau-Brunswick,

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