Page images
PDF
EPUB

alors à ce luxe, mais aussi aux yeux des convives européens, toutefois, il y avait un petit inconvénient pour les dits convives: celui de ne pas connaître un seul des plats qu'on nous avait servis, tant était monsieur Petit un artiste français......

.....

"La danse recommença environ une demi heure après dîner qu'eut lieu le départ des évêques, et continua avec une ardeur toujours croissante, lorsque les cruelles mamans, commençant à s'inquiéter de certaines promenades sentimentales que faisaient leurs demoiselles, dans les entre-actes de la danse, après la disparution de Phochus, rappellèrent leurs jeunes nymphes, non en les menaçant et armées de javelots comme la déesse Calypso, mais d'un ton assez maussade au dire des cavaliers. A neuf heures, tout le monde était rentré dans l'enceinte des murs de Québec."

Il parait que nos gouverneurs Sir John Young et Sir N. F. Belleau affectionnent Spencer Wood, autant et plus que Sir James Craig. Puisse le noble château, où se sont assis à diverses reprises, nos Princes du sang: le Prince de Galles, le Prince Alfred, le Prince Arthur, continuer à ajouter à l'éclat de la ville capitale et à faire les délices de ses hôtes.

Sillery, 28 Juin 1870.

J M. LEMOINE

LE LAC DÉSOLÉ.

C'était l'été; pourtant, au sommet de la montagne, un vent âpre et froid menaçait de convertir en neige la pluie qui tombait à torrents. Il faisait si sombre, qu'a cent pas de distance, on avait peine à distinguer la maison, récemment blanchie à la chaux, qui s'élevait sur les bords du lac. Le feu venait d'être allumé dans la cuisine, et la femme de l'aubergiste cuisait sur le gril un plat de poisson, tout en balançant un berceau posé près du foyer. Dans la salle à manger, l'hôtelier, étendu sur un banc, maugréait contre les mouches qui s'acharnaient sur son front et le réveillaient chaque fois qu'il commençait à s'endormir. Une servante filait nu-pieds dans un coin, en regardant d'un air d'ennui profond, à travers les vitres ternies, la tempête qui se déchaînait au dehors. En ce moment, un robuste garçon d'auberge entra ; il se secoua comme un chien que l'on a jeté à l'eau, et, d'un air bourru, fit jaillir autour de lui les larges gouttes de pluie dont ses vêtements étaient couverts. Pas une parole cependant ne fut prononcée; chacun paraissait craindre que le nuage qni planait sur le logis ne fût gros de querelles prêtes à éclater au moindre souffle.

La porte du dehors s'ouvrit. Des pas, qui cette fois devaient être ceux d'un étranger, retentirent dsns le vestibule. L'hôtelier ne bougea pas; la servante seule se leva pour introduire le nouvel arri

vant.

Un homme en tenue de voyage s'arrêta sur le seuil, demandant si c'était bien là l'auberge du Lac-Désolé. Sur la réponse affirmative de la jeune fille, il jeta son manteau ruisselant sur la table, son sac de nuit à côté, puis il se laissa tomber sur le banc. Il était

visiblement épuisé de fatigue; toutefois, il ne voulut ni ôter sa casquette trempée par la pluie, ni même déposer sa canne : il comptait sans doute continuer son chemin après une courte halte. La servante restait debout devant lui attendant ses ordres; mais il paraissait avoir complétement oublié qu'il n'était pas seul, et bientôt, appuyant sa tête contre la muraille, il ferma les yeux. La salle obscure retomba dans un morne silence.

Enfin l'hôtelière apporta le repas. Un petit garçon qui la suivait tenait une lumière; il considéra l'étranger avec de grands yeux, tandis que l'aubergiste, étirant ses bras et ses jambes, se levait du banc sur lequel il était étendu, bâillait et se mettait à table, sans s'occuper du voyageur. Ce fut sa femme qui s'approcha du taciturne inconnu pour l'engager à prendre quelque chose; mais il refusa d'un signe de tête.

Nous n'avons à vous offrir que des poulets et des canards, reprit l'hôtesse; la viande de boucherie est trop chère pour de pauvres gens comme nous. Bien peu de messieurs viennent ici, depuis que la nouvelle route a été ouverte derrière le Jochberg, et que la poste, qui auparavant passait devant notre maison, prend l'autre côté. Dans les beaux jours, un piéton ou un peintre monte parfois pour faire une esquisse du lac; mais cela ne nous rapporte pas grand'chose, et la pêche ne donne guère de profit. Cependant, si monsieur voulait passer la nuit chez nous, les lits sont bons, et nous lui donnerions une chambre qui a été reblanchie il y a huit jours. De plus, nous avons dans la cave un petit tonneau de bière, un autre de bon vin du Tyrol, et nous fabriquons nous-mêmes une eau-de-vie de gentiane dont chacun fait l'éloge.

L'étranger répondit qu'il coucherait. Du reste, il ne lui fallait d'autre boisson qu'un peu d'eau fraîche. Là-dessus, il se leva sans faire attention aux gens assis à table, sans même leur adresser un regard, bien que l'enfant de dix ans, à la mine éveillée, se fût approché de lui et ne quittât pas du regard sa chaîne de montre, qui brillait à la pâle lueur de la chandelle. La servante prit un second flambeau sur le poêle, conduisit le voyageur dans une pièce voisine; puis après lui avoir apporté une cruche d'eau, elle le laissa livré à ses réflexions.

Dès qu'il se fut éloigné, l'hôtelier murmura contre lui une malédiction.

- Quand, par hasard, il vient quelqu'un ici, on peut être sûr que c'est un vagabond qui ne consomme rien, et qui finit par s'en aller sans payer le prix de sa chambre. Nous serons bien heureux encore s'il n'emporte pas les draps.

-Non, répondit la femme, ces gens-là commencent par faire

connaissance avec les provisions de la cuisine et du cellier; ils essayent d'amadouer l'aubergiste par de bonnes paroles. Ce monsieur, au contraire, ne veut ni boire ni manger; pour sûr, il est malade, ou il a du chagrin.

En ce moment l'étranger rentra:

- Ne pourrais-je, dit il, avoir, quand la pluie cessera, un canot pour faire une promenade sur le lac et pêcher à la lueur des torches. Peu importe le prix, je payerai ce qu'il faudra.

La femme poussa son mari du coude, comme pour lui dire : Tu le vois, tu te trompais. Au moins ne le contrarie pas.

L'hôtelier, qui voyait dans cette excursion un profit tout clair, répondit, en adoucissant un peu sa voix rude:

- Du moment que ça vous fait plaisir, monsieur, les deux canots que je possède sont à votre disposition. Nous n'avons pas l'habitude ici de pêcher la nuit ; mais si ça vous amuse, libre à vous d'essayer. Le garçon va vous montrer les filets et les barques, ensuite il préparera des torches.

Il fit signe au domestique, qui avait continué de manger de grand appétit, et ouvrit lui-même la porte au bizarre inconnu.

La pluie tombait toujours, et devant la maison, les gouttières ruisselaient et clapotaient. Mais l'étranger semblait ne pas s'en apercevoir d'un pas rapide, il se dirigea vers le lac, et promena sur les deux canots, comme pour choisir le plus sûr, la lumière que le domestique lui avait apportée. Les embarcations étaient abritées sous une sorte d'auvent; les instruments de pêche étaient jetés pêle mêle dans un coin.

Le voyageur saisit un prétexte pour envoyer au logis le garçon d'auberge; puis il chercha sur le rivage deux lourdes pierres qu'il mit dans le plus grand des deux canots. Cela fait, il aspira l'air avec force, puis s'arrêta pour regarder l'eau sombre qui, aussi loin que sa lumière pouvait atteindre, était mouchetée par des myriades de gouttes de pluie. Le vent se tut un moment, le ciel était noir, les lames se brisaient en écumant contre la quille des deux petites barques. Un refrain monotone, qui partait de la maison, servait d'accompagnement à ce bruit sinistre ; c'était le chant avec lequel l'hôtesse cherchait à endormir son enfant. L'air, d'une mélancolie vague, trahissait, non les joies, mais les soucis maternels, et rendait. plus lugubre encore l'aspect désolé de ce sombre coin du monde.

Le voyageur ne tarda pas à rentrer. Sur la route du midi on entendait retentir le claquement d'un fouet et grincer des roues, que les profondes ornières du chemin escarpé mettaient à une rude épreuve. Au même moment, une voiture parut au tournant de la route et s'arrêta devant l'auberge; des flambeaux brillèrent à la

porte, une voix féminine fit précipitamment plusieurs questions auxquelles l'hôtesse répondit du ton le plus respectueux; puis deux voyageurs descendirent, portant quelque chose qui était soigneusement enveloppé dans des couvertures. Le domestique aida le cocher à conduire les chevaux dans l'écurie, et quelques minutes après, tout était redevenu silencieux.

Ce spectacle avait été pour l'étranger comme une lanterne magique dont les images glissaient devant ses yeux, sans éveiller en lui la moindre curiosité. Uue fois encore, il tourna ses regards vers la masse de nuées qui obscurcissait le ciel, sans doute dans l'espérance d'y apercevoir une éclaircie; mais son œil ne rencontra partout que ténèbres. Alors, d'un pas lent, il regagna la maison. Des lumières brillaient, des ombres allaient et venaient dans la chambre opposée à la sienne. Il remit la lenterne au domestique, le chargea de lui procurer les hameçons et les amorces dont il avait besoin, et s'enferma chez lui.

Une chandelle avait été mise dans un flambeau d'étain bossué qui se trouvait sur la table boiteuse. Il l'alluma, puis il ouvrit la fenêtre, et regarda un instant le petit bassin formé par la gouttière, et dans lequel un bouchon de liége dansait sans repos ni trêve. Au-dessus de sa tête, l'étranger ne pouvait rien distinguer, une ombre opaque et noire s'étendait partout; mais dans la gorge où le lac est encaissé, le vent hurlait comme un lion captif, et les arbres, plantés près de la maison, gémissaient sous la fureur des torrents de pluie. Un vent humide et froid venait par la fenêtre ouverte. Cependant le voyageur paraissait écouter avidement la lugubre harmonie de la tempête, et ce fut seulement quand une bourrasque lui fouetta la grêle en plein visage qu'il se recula. Puis il se promena de long en large dans la chambre, les mains derrière le dos, le visage calme, le regard indifférent et vague. Enfin il tira de son sac de voyage un encrier, s'installa près de la chandelle fumeuse et traça les lignes suivantes :

"Je ne veux pas entrer dans mon sommeil, mon bon Charles, sans te dire bonsoir. Pendant les courtes heures que nous avons passées ensemble, il y a six semaines, tu as vu sans doute combien je suis fatigué. J'aurais dû à ce moment t'ouvrir mon cœur, comme j'en avais l'habitude depuis tant d'années; j'aurais dû t'exposer ce singulier cas de pathologie morale. Si je l'avais fait, je pourrais à cette heure fumer tranquillement mon dernier cigare, au lieu de t'ennuyer de mon récit et d'avoir la maussade corvée de t'écrire avec cette mauvaise plume. Mais alors mes lèvres étaient comme scellées. Et puis, suivant toute apparence, nous n'aurions pas été du même avis; et comme, en fin de compte, chacun de nous aurait

« PreviousContinue »