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votent pour aucun président, ne tiennent aucun meeting, pour lesquels les droits de la presse. et de la tribune sont un vain rêve, exercent cependant aux Etats-Unis une grande influence. Ils instruisent la jeunesse, prêchent par leur exemple l'esprit de sacrifice, et leur institution serait vraiment salutaire si leur mysticisme ne s'égarait dans de folles rêveries. Ils prétendent vivre en compagnie des anges et avoir plus de commerce avec les morts qu'avec les vivants. Assis dans leurs cellules, occupés à leurs travaux, ils aperçoivent autour d'eux une foule d'esprits, ils entendent des voix, et leur regard rêveur, perdu dans l'espace, l'expression étrange de leur visage, dénoteraient l'absence complète de la raison, si on ne les voyait en même temps montrer un bon sens rare dans les actes ordinaires de la vie. "Un matin, raconte M. Dixon, sœur Antoinette entra dans ma chambre avec un air grave et recueilli. Elle tenait à la main un billet ouvert qu'elle me présenta en me disant: "Vous allez partir, frère, gardez ce papier en souvenir du temps que vous avez passé parmi nous; c'est l'hymne que, cette nuit, "j'ai entendu chanter par les anges.-Signez-le, sœur Antoinette," lui demandai-je. Elle traça son nom au bas du cantique, et je jetai un rapide regard sur la feuille de papier qu'elle me tendait. La rime laissait à désirer, et les lois de la syntaxe n'étaient pas observées d'une façon très-scrupuleuse; les esprits, sans doute, négligent ces vulgaires détails. Autant qu'il est permis de juger les œuvres du ciel d'après les règles de ce bas monde, les anges sont plus forts sur la musique que sur l'orthographe, car ils ont dicté aux croyants des marches très-belles.

ÉMILE JONVEAUX.

(A continuer.)

LES FETES PATRONALES DES

CANADIENS FRANCAIS.

Dans le cours du mois de juin de l'année 1615, trois Pères Récollets mirent pied à terre sur le rivage de Québec: leurs noms étaient Joseph leCaron, Denis Jamay, et Jean Dolbeau. Ces trois récollets furent les trois premiers curés de Québec, et de toute la Nouvelle-France. Ils étaient accompagnés d'un Frère du même ordre, Le Frère Pacifique, une des plus intéressantes figures de cette époque primitive.

Neuf années plus tard-en 1624-Le Père leCaron, dans un mémoire adressé au Père Provincial de son ordre, à Paris, écrivait comme suit:

"Nous avons fait une grande solennité où tous les habitants se sont trouvés et plusieurs sauvages, par un vœu que nous avons fait à St. Joseph, que nous avons choisi pour le patron de ce pays et le protecteur de cette église naissante."

D'année en année, à partir de 1624, la Saint-Joseph, il y a lieu de le présumer a dû être célébré avec tous les honneurs: avec tous les honneurs religieux, au moins. Cependant, de 1624 à 1637, il n'en est fait aucune mention dans nos anciennes annales.

Dans la Relation de 1638, le Père LeJeune fait de cette solennité la description suivante :

"La Feste du glorieux Patriarche St. Joseph, Père, Patron, et Protecteur de la Nouvelle-France, est l'une des grandes solennités de ce païs; la veille de ce jour, qui nous est si cher, on arbora le drapeau, et fit-on jouer le canon. Monsieur le gouverneur fit faire

des feux de réjouissance aussi pleins d'artifices que j'en aie guères vus en France."

Suivent de minitieux détails sur le feu d'artifice, accompagnés d'un dessein. "L'on avait dressé un pan sur lequel paraissait le nom de Saint Joseph en lumières; audessus de ce nom sacré brillaient quantité de chandelles à feu d'où partirent 18 ou 20 petits serpentaux qui firent merveille."-11 y eut des fusées, un petit château flanqué de quatre tourelles, quatre roues mouvantes, une croix à feu qui paraissait comme diamants. Enfin, il y eut tant et tant, que le tout ne manqua pas de jeter dans l'étonnement et français et sauvages qui n'avaient jamais rien vu de pareil.

Le dessein qui représente ce feu de réjouissance, si plein d'artifices, est reproduit exactement dans les Relations des Jésuites (édition de Québec (1858); et je crois vraiment que Québec n'en a jamais eu d'aussi beau. Il avait été préparé par les sieurs Bourdon et Beaulieu.

A part M. de Montigny, toutes les notabilités de Québec, et tous. les habitants des paroisses environnantes assistaient à ce spectacle.

A la fin de son récit, le Père LeJeune ajoute: "Le jour de la Fête, notre église fut remplie de monde et dévotion, quasi comme en un jour de Pâques."

Après 1637, cette fête se renouvelle tous les ans jusqu'à 1651, et on en trouve la description soit dans les Relations, soit dans le Journal des Jésuites.

Cependant, en 1648, le Père LeJeune nous dit:

"A la St. Joseph on ne fit pas de feu de joie la veille comme de coutume. J'en fus en partie cause, comme ne goûtant guère cette cérémonie qui n'avait aucune dévotion qui l'accompagnât."

En 1649, le même Père LeJeune écrit:

"On refit cette année le feu de la veille de St. Joseph, mais on sépara le matériel d'avec le spirituel."

Enfin, en 1650, le Père Le Jeune nous fait la confession suivante :

"La veille de St. Joseph il y eut un feu fort froid c'est-à-dire tout simple, sans artifices ni fusées. M. le gouverneur me fit prier par sa femme d'y mettre le feu, lui étant indisposé; je le fis, mais avec grande répugnance."

Ainsi, en 1647, pas de feu de joie, et le Père LeJeune en est, en partie, cause. En 1649, on sépare le matériel d'avec le spirituel; et en 1650, on fait un feu fort froid!

Malgré la distance qui nous sépare de cette époque reculée, il est aisé de comprendre pourquoi, à partir de 1647, le feu de joie perd, d'année en année, de son intensité, jusqu'au point de devenir en

1650, un feu fort froid! En effet, cette époque correspond juste au temps des dissensions qui eurent lieu entre nos anciens gouverneurs et Mgr. de Laval, à propos de la fameuse question du trafic des liqueurs enivrantes. On le sait, ce ne fut pas seulement à propos du feu de joie de Saint-Joseph que le matériel fut, à cette époque, séparé d'avec le spirituel.

De 1651 à 1660, il n'est pas dit un mot de cette fête.

Pour les deux dernières fois, en 1660 et 1661 il en est parlé. En 1661, il y eut trois feux de joie l'un, au collége des Jésuites, l'autre chez M. Couillard, dont la maison était située dans le jardin du séminaire : le troisième se fit aux Ursulines. A partir de cette époque, la Saint-Joseph, suivant toute apparence, a cessé d'être une fête populaire, mais a continué d'être une fête religieuse, jusqu'à ce jour. Tous les ans, à chaque nouvel anniversaire, on annonce au prône de nos églises, qu'une grande messe sera chantée en l'honneur de Saint Joseph, premier Patron du pays.

En même temps que Saint Joseph se célébrait avec la solennité que je viens de décrire, une autre fête prenait naissance en Canada, laquelle devait, deux siècles plus tard, supplanter la Saint-Joseph, et comme fête populaire, tout à la fois; cette nouvelle fête était celle de Saint-Jean-Baptiste, ou plutôt celle de la Saint-Jean, comme on l'appelait alors. La première description de la Saint-Jean se trouve dans la Relation de 1646.

"Le 23 (juin), dit cette Relation, se fit le feu de la Saint-Jean, sur les huit heures et demie du soir, M. le Gouverneur envoya M. Tronquet pour savoir si nous irons; nous allâmes le trouver, le Père Vinont et moi, dans le fort. Nous allâmes ensemble au feu. M. le Gouverneur l'y mit. Lorsqu'il le mettait, je chantai le Ut quaent Laxis, et puis l'Oraison... On tira 5 coups de canon, et on fit deux ou trois fois la décharge de mousquets. Nous en retournâmes entre 9 et 10."

En 1647, 48, 49, 50, même cérémonie.

Dans la Relation de 1650 on lit: "Le 23, le feu de la Saint-Jean, duquel je m'excusai, prévoyant qu'on m'y ferait mettre le feu à l'ordinaire, et ne jugeant pas à propos de laisser courir cette coutume, qui n'avait point été pratiquée du temps de M. de Montmagny. Ce fut M. le Gouverneur qui y mit le feu. Le P. Laplace assista en surplis et en étole avec Saint-Martin pour y chanter le Te Deum."

y

A partir de 1650, il n'est plus fait mention ni de feu ni de la fête de la Saint-Jean, à Québec; cependant, cette fête, mi-religieuse, mi-populaire, s'est perpétuée, jusqn'à une époque très récente dans toutes celles de nos paroisses qui sont désignées sous le vocable de

St. Jean à Saint Jean Port Joly, à Saint Jean-Deschaillons, à Saint Jean, Ile d'Orléans, etc.

M. de Gaspé nous a laissé dans ses "Anciens Canadiens" de jolis détails sur la célébration de Saint Jean, à Saint-Jean-Port-Joli. "La Saint Jean-Baptiste, dit M. de Gaspé, ne manquait pas d'attirer un grand concours de pélerins, non-seulement des endroits voisins, mais des lieux les plus éloignés......Il se faisait de grands préparatifs dans chaque famille pour cette occasion solennelle. On faisait partout le grand ménage, on blanchissait à la chaux, on lavait les planchers qu'on recouvrait de branches d'épinettes, on tuait le veau gras, et le marchand avait bon débit de ses boissons......Le seigneur offrait le pain bénit......Ce n'était pas petite besogne que la confection de ce pain bénit et de ses accessoires de cousins pour la multitude qui se pressait, non seulement dans l'Eglise, mais aussi en dehors du temple.

"Il était entendu que le seigneur et ses amis dînaient, ce jour là, au presbytère, et que le curé et les siens sou paient au manoir seigneurial...... De tous côtés s'élevaient des abris, couverts de branches d'érable et de bois résigneux où l'on débitait des rafraichissements. Les traiteurs criaient sans cesse, d'une voix monotone, en accentuant fortement le premier et dernier mot: "A la bonne bière! Au bon raisin! A la bonne pinprenelle !"-et les papas et les jeunes amoureux stimulés pour l'occasion, tiraient avec lenteur, du fond de leur gousset, de quoi régaler les enfants et la créature."

C'était le soir la veille de la Saint-Jean,-c'est-à-dire le 23 juin,qu'avait lieu le feu de joie. Voici comment cette cérémonie se passait dans ma paroisse natale, à Saint-Jean, Ile d'Orléans.

Sur l'ordre du seigneur, un des habitants transportait sur la grève en face de l'église, le bois nécessaire au feu: c'était du bois de cèdre invariablement. Après avoir chanté un salut, le curé, revêtu de l'étole, se rendait au bûcher. Il le bénissait et ensuite faisait sortir du feu nouveau, en frappant le callou avec le briquet. Avec l'amadou ainsi enflammé, le curé mettait le feu au bûcher, et quelque compagnie de miliciens faisait une décharge de fusils, au milieu des cris de toute la foule. Presque toute la population de l'île se donnait rendez vous à Saint-Jean, pour cette solennité. La coutume était de s'y rendre à cheval, les femmes en croupe, derrière leurs maris.

La Saint-Jean n'était pas la seule fête qui fût ainsi célébrée dans nos campagnes; chaque paroisse chômait également la fête de son patron; mais la Saint-Jean parait l'avoir emporté sur toutes les autres par l'éclat, le brouhaha, etc. A cause des nombreux désor

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