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districts des mines. Si les profits sont grands, l'entreprise est périlleuse; sans parler des Peaux-Rouges qui, le couteau à scalper dans la main, errent au fond de ces solitudes, les convois de marchandises ont encore à redouter les pillards européens, plus audacieux, plus avides que les Sioux et les Cheyennes. La nature ne se montre pas moins hostile. Entre les pics de la Sierra Madre et ceux du Wasatch s'étend la Bitter Creek, l'un des districts les plus sauvages que l'on puisse imaginer. Pas un arbre, pas un arbrisseau n'y repose la vue; des pierres tumulaires ou des ossements épars sur le sol racontent des drames lugubres; ici, cinq marchands ont été massacrés par les Sioux; là, repose une jeune fille morte de froid et de fatigue au moment où elle se rendait à la terre promise des Mormons; ce bloc de pierre marque la place d'une rixe sanglante qui éclata entre les voleurs de grand chemin. Le climat est en harmonie avec les sauvages passions des hommes. L'hiver, disent les colons, y commence en août et dure jusqu'en juillet; les gelées sont si fortes que les bêtes de somme périssent, et que les conducteurs eux-mêmes, malgré les lourds vêtements dont ils se couvrent, sont souvent victimes de la rigueur du froid. De violentes tempêtes de neige et de grêle, qui fondent parfois sur la vallée, ajoutent encore aux difficultés du voyage; les mules et les bœufs, affolés par l'ouragan, s'enfuient dans toutes les directions; tandis que les marchands cherchent à les ramener, des Peaux-Rouges ou des malfaiteurs yankees tombent sur eux et pillent le convoi.

(A continuer.)

ÉMILE JONVEAUX.

CHRONIQUE DU MOIS.

Le mois de juin est celui des prévisions. Le cultivateur y entrevoit sa prospérité et forme des projets pour l'avenir; le commerce y devine ses succès et alimente son ambition; le barreau jette les derniers efforts de son éloquence, et l'avocat lance un regard de pitié sur les clients qu'il a ruinés et un œil de convoitise sur ceux qui ne sont pas les siens. Les touristes se préparent aux pélégrinations; les villes se dépeuplent et les campagnes s'ornent de l'élite de la société. Le sixième fils de la vieille mère Mil huit cent soixante et dix n'a pas été aimable. L'humanité, comme la végétation, a subi les effets de son caprice; la sécheresse a nui à la croissance des pâturages et le temps passé ne revient plus; la variété de la température a decimé les rangs des mortels, surtout parmi les enfants; et bien de petites holocaustes ont été sacrifiés pour les fautes innombrables de notre civilisation.

Pour sûr, le ciel est irrité. Une immense conflagration s'est abattue et sur les cités et sur les campagnes. La vieille ville de Champlain a donné le signal, cinq cents maisons sont devenues en un seul jour la proie des flammes. Le Saguenay a vu ravager 10,000 milles de ses campagnes dont les habitants ont regardé ensevelir en quelques heures, leurs hardes, leur nourriture, les grains qu'ils avaient confiés à la terre ou ceux qu'ils y réservaient. Dans le Nouveau Brunswick, à la Baie des Chaleurs, au Lac Supérieur, à la Baie de Tonnerre, au fort Williams, d'immenses incendies ont parcouru les forêts, les prés et les champs, ne laissant après elles que ruines, décombres et désespoir. Montréal, malgré son admirable organisation télégraphique et la vigilence de ses hardis pom

piers, n'a pu empêcher la victoire de cet élément irrité. L'Europe a été le théâtre de ses exploits; plusieurs campagnes ont été ravagées par son passage; la forêt de Fontainebleau a vu disparaître plusieurs âcres de ses arbres séculaires, témoins de tant de bienfaits, de tant de gloire; mais aussi de tant d'intrigues et de crimes.........

Constantinople a été témoin d'un des plus grands désastres qui ait jamais eu lieu, et son quartier le plus riche s'est affaissé sous le souffle brûlant de ce rapide fléau.

Le Canada s'est ému au récit de tant de malheurs, la religion a fait entendre la grande voix du devoir et a commandé la charité ; la patrie a fait vibrer la puissante voix du cœur et a demandé l'aumône; les mères ont aperçu dans ces champs dévastés, des enfants déguenillés, et elles ont versé une larme et une obole; la jeune fille a entendu un cri de détresse et elle a sacrifié une petite jouissance; nos couvents ont envoyé leur denier. Partout les âmes sont compatissantes et quand leur tour viendra, au jour des calamités, Dieu le leur rendra. C'est le temps des examens, pourquoi nos institutions qui font de si belles représentations ne s'en serventelles pas pour convertir un amusement en un but charitable?

Cependant l'horizon n'a pas toujours été chargé ; les jours d'espérance ont lui à travers ses désastres; la Fête-Dieu s'est fêtée dans toutes nos paroisses catholiques; c'est la démonstration d'un peuple qui croit, et je ne connais rien de plus majestueux que de voir défiler, au milieu d'une population de diverses croyances, une nation qui prie hautement et assez pénétrée de l'excellence de ses principes religieux pour pouvoir les traduire en plein air.

La Saint Jean-Baptiste, cette fête nationale qui émeut les cœurs canadiens, a aussi été chômée par tous; cette fête, devenue religieuse, renferme à elle seule une preuve de notre nationalité. On se plaint qu'elle n'a pas eu cette année la splendeur des années passées. On ne doit pas, je pense, en conclure qu'il y a parmi les canadiens un affaiblissement du sentiment national. Ceci tient à bien des circonstances, la principale cause est, disons le, l'esprit d'exclusion que possède une certaine coterie qui ne trouve rien de bon de ce qui n'est pas fait par elle, et qui s'attribue de plus tout ce que les autres font. Il y a des gens parmi nous qui ne disent pas : "périsse la Patrie plutôt qu'un principe," mais" périsse la Patrie plutôt que sauvée par autre que par nous."

Grâce au courage de nos braves miliciens qui n'étaient pas tous pourtant au lieu du combat, les Féniens ont été repoussés sur toute la ligne. Ces hordes sont allées se consoler de leur défaite avec nos voisins qui n'auront pas de motif à les narguer,et si les Yankees

poussent encore les fils de la verte Erin à de nouvelles esclandres, ceux-ci pourront leur répondre comme au renard qui a la queue coupée :

"

'Mais tournez-vous, de grâce, et l'on vous répondra."

Quelques journaux d'une suprême politique anglaise, profitent de la circonstance pour faire patte de velours à Jonathan et lui donner crédit de ce résultat. Halte-là ! Si vous voulez payer vos bévues vis-àvis de la Maison Blanche, payez les avec votre monnaie, et non au détriment de notre honneur national qui est trop précieux pour une telle marchandise. Messieurs les anglais vous devriez savoir qu'on n'est pas tellement attaché à vous qu'on puisse sacrifier notre fierté à vos actes de sot orgueil ou de lâcheté. Nous ne vous devons rien ; ce que nous avons en fait de liberté politique, nous l'avons conquis. Vous ne nous aimez pas non plus, car vous ne nous avez accordé quece que vous n'avez pas pu nous refuser. Nous sommes quittes de sorte que si vous voulez régler vos comptes, nous n'aurons aucun reliquat de compte.

Dans tous les cas, cette prétention a soulevé la bile de nos nationaux qui s'ennuient d'avoir à défendre seuls les intérêts de l'Angleterre,et l'hon. Campbell est parti, avec une bonne poussée de l'opinion publique, pour aller dire à Gladstone: "Faites des bêtises tant qu'il vous plaira; mais venez les boire."

Plusieurs ont fait un pas vers l'annexion. "Les peuples se meuvent et Dieu les mène; " les phases providentielles par où nous sommes passés ne nous permettent pas de croire à l'annexion; les oies ont sauvé le capitol Romain, mais ceux qui siégent au capitol de Washington finiront par perdre la République Américaine avant qu'on en fasse partie.

La Colombie Anglaise vient d'envoyer à notre gouvernement des délégués pour négocier l'entrée de cette Province dans la Confédération. Cette union est appelée à ouvrir le Pacifique à notre commerce, et le chemin de fer projeté entre le Canada et la Colombie sera tout simplement le plus court transit entre l'Europe et l'Asie. Les bases de cette union sont arrêtées; c'est tout un événement politique dont nos hommes publics seront fiers.

Le Nord-Ouest ne paraissait pas satisfait du Bill de Manitoba. Les Métis, il faut le dire, ont eu raison d'être méfiants, après les insultes qu'ils ont reçues du Haut-Canada; Riel surtout avait garde d'exiger une amnistie générale; c'était inutile pour lui de se mettre à bord du Bellerophon.

L'honorable John Young, gouverneur du Canada, vient d'être nommé gouverneur de la terre de Rupert.

Plusieurs nominations ont été faites dans notre administration. M. Chamberlin, membre pour Missisquoi, est imprimeur de la Reine pour la Puissance; M. Huot, membre pour le Quartier St. Roch de Québec, est Maître des Postes pour Québec.

M. Napoléon Casault est Juge de la Cour Supérieure, et l'hon. M. Tupper a accepté le portefeuille de Président du Conseil Privé.

Le Prince Arthur a quitté le Canada, enchanté de son séjour. Il emporte dans la mère patrie de doux souvenirs de l'urbanité des Canadiens et de l'excellence de nos grandes institutions religieuses qu'il a visitées. Encore un qui rendra témoignage que notre religion est loin d'être un obstacle à notre loyauté.

Il a quitté nos parages revêtu des insignes de la dignité de Chevalier Grand-Croix du Très-Honorable Ordre de St. Michel et de St. George. Chose significative, c'est dans la salle St. Patrice qu'il les a reçues.

La fameuse cause Guibord vient d'être entendue en Révision devant les Honorables Juge Berthelot, McKay et Torrance. Deux de ces Juges sont protestants; ce qui prouve à quoi nous mène la théorie de faire décider de telles causes par le tribunal civil, laquelle théorie si elle était mise en pratique dans ce pays soumettrait les causes ecclésiastiques de cinquante religions diverses à des Juges qui ont déjà assez de connaître le droit civil. Dans tous les cas, le caractère intègre de ceux qui composent le Tribunal en Révision nous laisse à espérer que cette cause sera jugée avec impartialité.

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