Page images
PDF
EPUB

susceptible de s'abandonner à tant d'ironie acerbe. 11 fut surpris et à la fois émerveillé ; elle lui apparaissait sous un jour nouveau. Ce n'était plus une ravissante poupée, imperturbablement gaie et aima. ble, ne s'appliquant qu'à montrer ses dents éclatantes dans un sourire, c'était une créature de chair et d'os soumise aux emportements passionnels, et de plus, une femme réfléchie, d'un cœur loyal et chaud. Toutes ces observations, il n'eut le temps ni de les analyser ni même de les formuler; il les fit à la hâte, comme un voyageur égaré distingue son chemin à la lueur furtive des éclairs dans une nuit d'orage, et sans cesser d'écouter la jeune femme.

G. DE PARSEVAL-DESCHÊNES.

(A continuer.)

CHRONIQUE DU MOIS.

Nous voilà au mois de mai; c'est le mois des cœurs tendres et des amoureuses espérances. C'est le mois de Marie, dont les autels se couvrent des milliers de fleurs que produit la saison, c'est le mois des douces affections où l'âme se réchauffe aux rayons d'un amour filial, et qui produit des actes de suave piété. Le lis de Syrie, le lilas oriental, la marguerite de Sicile et la tulipe de Virginie, penchés gracieusement dans des porcelaines de Chine et du Japon, répandent autour des statues de la Vierge cet air de fraicheur qui sied si bien au jour d'espérance; mêlez, jeunes filles, aux délicieux parfums des roses, à la fumée odorante de la myrrhe embrasée, vos ferventes prières qui montent comme l'encens que brûlent les prêtres du Sanctuaire. Tous les soirs, dans les humbles chapelles consacrées à la Mère d'un Dieu, laissez tomber de votre bouche l'onctueux amour qui déborde de votre cœur. J'aime, ah oui! j'aime ces accents de l'âme qui, au milieu des flots d'harmonie, de lumière et de vœux, coulent comme des perles aux pieds de la Reine des Anges; j'aime quand le soir vous chantez les louanges de Marie et que l'écho de vos douces voix se confond avec les tintements de l'Ave Maria.

Le monde prête l'oreille. Rome s'occupe en ce moment à définir l'un des dogmes les plus importants par les dissentiments qu'il a soulevés. Il s'agit de donner aux paroles du divin crucifié son éternelle interprétation. Pierre est-il infaillible? Décision grande et sublime qui devra rejeter du bercail plusieurs brebis prétentieuses pour la consolation du troupeau docile. Ecoutons à genoux et prions surtout par nos actes de tous les jours.

Le Saint Père a atteint, le 13 du courant, sa soixante-dix-huitième année. On a coutume d'accuser les révolutionnaires de bien des misères.-A coup sûr on ne les accusera pas de cette longévité.

Ici la Religion du Christ vient de recevoir un soufflet. L'Eglise, d'après un jugement récent, n'aurait plus droit de sanctionner ses lois. On peut être catholique à sa manière et rester dans son sein malgré elle; c'est là l'intention du Juge, qui a été plus loin en intention qu'en acte. Car le jugement ordonne la sépulture de Guibord d'après les us et coutumes du Canada. Or, d'après les us et coutumes, c'est prouvé, des gens du calibre du défunt ont la sépulture qui lui a été offerte. L'Institut-Canadien a tort, à mon avis; mais il fait comme bien d'autres qui sont attachés aux rigoureux principes de la doctrine, tant que leurs intérets ne sont pas froissés, et qui préfèrent voir périr un principe avec ses défenseurs, plutôt que de compromettre une cause personnelle.

L'Angleterre marche dans une voie de progrès: Il était temps: protégée par les reflets des institutions qui ont présidé à sa formation, elle commençait à n'en avoir plus que quelques lambeaux qui suffisent encore à lui faire rebrousser chemin. Elle les recueille et se lance dans le catholicisme. Mais c'est une œuvre de longue main. Aussi les adversaires de sa religion primitive semblent-ils prévenir le coup et ont proposé une enquête sur l'existence, le caractère et le développement des institutions religieuses. Sur la question de l'éducation on cherche à introduire l'enseignement séculier; c'est la théorie de nos écoles mixtes, qui a ému ici les catholiques et qui a fait protester là bas les disciples del'enseignement confessionnel.

Les protestants ont des théories bien élastiques; après avoir épuisé leurs expédients en matière de religion, les voilà qui se lancent dans les théories politiques. La bible en main, sans doute, en voilà un qui, après avoir parcouru l'Amérique, fait proposer à Londres l'émancipation politique de la femme. Celui la doit être malheureux en ménage et veut envoyer la sienne en Parlement. C'est peut être un remède au divorce.

Que ne propose-t-on pas dans ce Parlement anglais? Ne vient-on. pas de demander aussi que le mariage entre beau frère et bellesœur soit permis? Allons, ayez des mœurs.

Le même gouvernement vient de faire publier l'état de la dette anglaise. Il est de vingt milliards trente cinq millions cent quarante mille soixante et quinze francs. Depuis 1821, le gouvernement a amorti 707,927,950 francs. En voici un qui consacre le principe américain "Qui s'endette s'enrichit." J'en connais beaucoup qui s'y sont ruinés.

La France vient de traverser une crise; si la transpiration était nécessaire à l'Empereur pour sa maladie chronique, il doit en être guéri. Quel sudorifique qu'un plébiscite! Non, mais sans badiner,, le peuple français est impossible: il crie depuis des années, depuis,

près d'un siècle pour la liberté; on la lui offre toute entière, il n'en veut plus; peuple d'enfants, mais d'enfants turbulents. Ce que vous voulez, on le sait, ce n'est pas la liberté; c'est le tracas et la révolution; de crainte que la paix s'établisse d'une manière stable, vous repoussez ce qui servait de motif à vos réclamations. Par bonheur qu'il y a déjà sur le sol français une majorité qui est décidée à en finir avec ce manège-là, et le plébiscite est voté, en entraînant avec lui des prises de journaux, des résignations de ministres, des assemblées tumultueuses, des barricades mêmes. Une barricade...ça doit avoir une bonne mine sur le boulevard Sébastopol, doucettement caressé par l'œil des canons de la gare de Strasbourg.

Jusqu'à Garibaldi qui publie une proclamation à l'armée fran çaise, l'invitant à lever le drapeau révolutionnaire! Je ne sais sì c'est le même Garibaldi qui a laissé des souvenirs de sa bravoure à Monte Rotondo (Montre-ton-dos, comme disait Veuillot) et qui est actuellement, comme un bon républicain, à cheval sur ses principes au milieu de la vieille Lutèce. Mais combien y a-t-il donc d'éditions de Garibaldi? Je vois que trois frégates italiennes croisent autour de l'île de Capral pour empêcher Garibaldi de se rendre à Naples, parce que c'est un fait connu que ses deux fils font cause commune avec les insurgés du sud d'Italie.

De la France, il nous vient quelques nouvelles qu'il sera bon de glaner.

Le marquis de Talhouet, ex-ministre des Travaux Publics, a été nommé vice-président du Corps Législatif.

Abel-François Villemain, membre de l'Académie Française et pair de France, grand officier de la Légion d'Honneur, si bien connu dans le monde littéraire, vient de mourir à Paris. Ses œuvres lui survivent.

Prosper Duvergier, de Hauranne et Xavier Marmier viennent d'être élus membres de l'Académie Française.

Un décret du journal officiel nomme le duc de Grammont, ministre des Affaires Etrangères; Jacques Mige, ministre de l'Instruction Publique, et Charles Ignace Plychon, ministre des Travaux Publics.

Le Prince de la Tour d'Auvergne a été nommé ambassadeur à Vienne.

Le Général Charles Marie Auguste Goyon, qui était à la tête de l'armée d'occupation à Rome en 1860, est mort à Paris le 17

courant.

L'Espagne est toujours à la recherche d'un roi. On a parlé du prince Frédéric de Prusse; mais il parait que le parti progressiste a finalement fixé son choix sur le ci-devant régent Espartero. Il refuse, parait-il, d'accepter cette dignité, parce qu'il est trop vieux... ou trop sage.

La cour de Rome a refusé au clergé espagnol la permission de prêter serment à la loi fondamentale de l'Etat, exigé par un décret du 17 mars, quoique le Ministre d'Etat Espagnol eut envoyé une

déclaration au Secrétaire de Sa Sainteté qu'on n'exigeait des prélats aucun serment contraire aux commandements de Dieu et de l'Eglise.-Rome a interprété la constitution autrement. En attendant, on légifère sur le mariage et on le sécularise. Je ne sais si c'est en vertu du même principe, que le ministère espagnol promet un bill abolissant l'esclavage.

Le gouvernement Russe continue la croisade contre la Pologne catholique. Le général Ostensaken a annoncé que l'intention du gouvernement Russe est d'interdire l'entrée de la Pologne à tout vicaire apostolique. C'est le droit de la force à défaut de la force du droit. Les Puissances laissent faire en attendant qu'il leur en arrive autant.

"Vous leur fites, seigneur,

En les croquant beaucoup d'honneur."

Mais quand il n'y a pas de danger, là on est empressé à se montrer zélé pour maintenir la justice. Le pauvre petit gouvernement de Grèce n'a pas empêché une troupe de brigands de massacrer quelques nationaux étrangers; auprès des autres nations le pauvre Royaume de Grèce a tout au plus

[ocr errors]

Tondu dans un prẻ la largeur de sa langue."

Et on le menace comme si cela valait la peine. Le monde est plein de Don Quichottes. Sur les trônes, sur les marches de l'autorité, dans les Ministères, sur le banc, et partout.

La Chambre de Munich vient de repousser le Bill abolissant la peine de mort par 76 voix contre 971. Voilà une nation qui ne se croit pas encore autorisée à ôter de dessus la tête des coupables l'épée de Damoclès. Je suis pour l'abolition de la peine de mort, dans les pays où l'on voudra m'assurer qu'on est assez vertueux pour s'en passer.

La peine de mort disparaîtra de nos Codes, je le pense, mais comme toutes les lois, celle-ci est créée par les mœurs. L'adoucissement des peuples a fait disparaître une foule de punitions barbares, nécessaires pour le temps, remplacées par d'autres moins rigoureuses qui ont le même effet. Rendez le peuple meilleur et vous aurez aboli de fait la peine de mort.

Les Etats-Unis n'ont pas peu à faire avec leurs vieux amis, les Sioux. Vingt mille se sont répandus dans les plaines, et Dieu sait quel fléau c'est. Nos voisins n'ont pas volé celui-là, et il n'ont que ce qu'ils méritent. Voilà des années que l'on massacre ces pauvres sauvages, on s'empare de leurs terres, on les repousse au fonds des forets. Les forets pour eux sont assez profondes; mais leur cœur est rempli et il faut qu'il déborde.

« PreviousContinue »